Le Monde - 07.09.2019

(Barré) #1

MLemagazine du Monde —7septembre 2019


Jeune pousse.Paul Maheke,


corpsdélié.ParRoxanaAzimi


Est-ceune danse,une improvisation ou
une performance?Paul Maheke, 34 ans, qui
expose jusqu’au 29 septembreàlaFriche la
Belle-de-Mai,àMarseille,avant d’enchaîner
avec lafoireFrieze,àLondres en octobre, puis
le prestigieuxfestivalPerforma,àNewYork en
novembre, joue surtous cestableauxavec flui-
dité. Si l’artiste français nominé pour le prix
Ricardproduit aussi objets et installations,
soncorpsresteson support premier,qu’il
considèreàlafoiscomme une surfacedepro-
jection et un outil d’émancipation.
Très tôt, Paul Mahekeaapprisàseconfronter
au regardportésur soncorps, qu’ilad’abord
sculptéaveclepatinage artistique de haut
niveau–ilseraentraîné par lecoach de
la championne SuryaBonaly.Rappelons-le,et
ce n’estpas anodin pour la suitedel’histoire,
la championne de Franceaux incroyables
prouessestechniques fut souvent moquée
pour sa silhouettemusculeuse etathlétique,
àl’opposé des canonsféminins de l’époque.
Mais l’ado estalorsfandeMichael Jackson,
personnage qui n’auraeudecesse de se
métamorphoser.
Étudiantàl’école d’art deCergy, Paul Maheke
se trouverad’autresrepères,féminins pour
la plupart, Orlan,Vanessa Beecroft ou Cindy
Sherman, des artistesqui ont manipulé leur
corps ou sareprésentation. Après une série
d’autoportraits, le jeune homme glissevers
la performance, d’abordfurtive, puis de plus
en plus scénarisée,enempruntantàl’esthé-
tique intime du night-club,avecses jeux
de rideaux et de pénombre.«Les corps margi-
nalisés créent dufantasme,dudégoût ou de
l’attirance,explique l’artiste quiconfie s’être
fait harceler par des curateurs aprèscertaines
performances.Il fallait que je me protège en
utilisant l’obscurité, mais aussi en m’adressant
au public, en prenant les devants.»
En 2014, dans une vidéotournée entre
La Réunion, l’Islande et l’île deVassivière,
dans le Limousin,Paul Mahekequestionne
la construction des archétypes.AuSalon
de Montrouge,oùilexpose la même année,
il s’entend direque son travail nefait pas
«africain».Mais qu’est-cequ’êtreafricain ou
noir?Plutôt que de fuircettequestion, le
Londonien d’adoption s’en empare, en mettant
en scène uncorpsreconquis, affranchi des
questions decouleur et de genre, archive
«detout ce qu’il aenregistréetdecequi lui
aété légué»,qu’il s’agisse desracines
congolaises de son père, membreduclan
matriarcal lele,oudelalectureassidue
des auteures de la troisièmevagueféministe.
Un héritagetout sauf normatif.
Ooloi,dePaulMaheke, jusqu’au 29septembre,
FrichelaBelle-de-Mai, Marseille. http://www.lafriche.org

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Jean Chris

tophe

Lett. AJ Dungo/Cas

terman
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