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SAMEDI 7 SEPTEMBRE 2019 culture| 25
Peter Lindbergh,
photographe
de femmes
en liberté
L’artiste, célèbre pour avoir fait
émerger les « supermodels »
des années 1990, est mort mardi
3 septembre, à Paris. Il avait 74 ans
DISPARITION
L
a photographie la plus cé
lèbre de Peter Lindbergh,
prise en 1988, en noir et
blanc, montre des filles
qui rient aux éclats, pieds nus sur
la plage, les cheveux au vent, vê
tues d’une chemise d’homme
blanche. Sa simplicité, sa sponta
néité affichée avaient complète
ment pris de court les responsa
bles du magazine Vogue améri
cain qui l’avaient oubliée dans un
tiroir. Elle en est ressortie à l’ini
tiative de la nouvelle rédactrice
en chef, Anna Wintour. Peter
Lindbergh, devenu l’un des plus
célèbres photographes de mode
avec ce style « glamour naturel »,
est mort mardi 3 septembre, à
Paris, à l’âge de 74 ans.
Peu porté sur les retouches,
aimant les taches de rousseur et
le grain de peau, il déplorait le ca
ractère artificiel et irréaliste des
images de mode. Sur son compte
Twitter, il avait épinglé sa phrase :
« Voilà quelle devrait être la res
ponsabilité des photographes
aujourd’hui : libérer les femmes, et
finalement tout le monde, de la
dictature de la jeunesse et de la
perfection. »
Né le 23 novembre 1944 à
Leszno, ville polonaise annexée
par les nazis, Peter Lindbergh, de
son vrai nom Peter Brodbeck,
grandit dans la région indus
trielle de la Ruhr, « le lieu le plus
moche du monde », aimaitil à
dire. Sa famille est très modeste,
et il commence par travailler
comme étalagiste dans un grand
magasin, avant de rejoindre l’Aca
démie des beauxarts de Berlin. Il
y goûte peu l’enseignement
tourné vers la peinture tradition
nelle, et prend la tangente : passe
une année entière à Arles, sur les
traces de Van Gogh, un lieu qui
restera fondateur pour lui, et où il
mettra en scène nombre de ses
images. De retour en Allemagne,
il poursuit ses études d’art avant
de devenir l’assistant d’un photo
graphe commercial, Hans Lux, et
d’ouvrir son propre studio. L’as
cension pour lui est rapide : il re
joint l’équipe du magazine Stern,
qui collabore alors avec de grands
noms comme Helmut Newton et
Guy Bourdin.
Contacté par le prestigieux
Vogue américain, dont il apprécie
peu l’esthétique, il propose
en 1988 la fameuse série sur la
plage, qui contraste totalement
avec l’esthétique sophistiquée et
les cheveux bouffants caractéris
tiques des années 1980. Peter
Lindbergh en a assez des « photos
vernis à ongles des années 1950 ».
Un style plus naturel
Son style de photo est pionnier,
mais l’identité des mannequins,
peu connus à l’époque, annonce
aussi une nouvelle ère : en 1990,
plusieurs d’entre elles se retrou
vent en couverture du Vogue bri
tannique, qui a demandé au pho
tographe d’imaginer la femme
des années 1990. Peter Lindbergh
fait poser Naomi Campbell, Linda
Evangelista, Tatjana Patitz,
Christy Turlington et Cindy
Crawford en jean, dans la rue, le
regard farouche, peu maquillées,
sans volonté de paraître sexy. La
photo symbolise l’arrivée des su
permannequins des années 1990,
beautés à la forte personnalité qui
« ne sortent pas du lit à moins de
10 000 dollars », selon les mots de
Linda Evangelista.
« J’ai toujours été attiré par les
femmes qui avaient une identité
très forte et auxquelles je donnais
pleine liberté, expliquait en 2010
Peter Lindbergh au Monde. C’était
une petite révolution à l’époque où
les mannequins devaient être lis
ses, parfaits, interchangeables. »
L’image va marquer l’époque : le
chanteur George Michael recru
tera les mêmes modèles pour le
clip de sa chanson Freedom.
Peter Lindbergh va imposer un
style plus naturel, avec des noirs
expressionnistes venus du ci
néma ou des poses empruntées à
des photographes du passé,
d’August Sander à Marc Riboud.
Une de ses images célèbres mon
tre Kate Moss en salopette
en 1994, en hommage aux photo
graphies de Walker Evans
pendant la Grande Dépression. Il
a aussi lancé dans les années 1990
des séries de mode très narrati
ves, où le modèle se retrouve
plongé dans une fiction – dans un
projet pour Vogue Italia en 1990,
Helena Christensen croise des ex
traterrestres en Californie.
Avec ses photos flatteuses dé
nuées de provocation ou de
sexualisation outrée, son esthé
tique élégante et peu déran
geante, Peter Lindbergh séduit
un large public. A partir des an
nées 1990, la photo commerciale
nues, mais des actrices qu’il a
photographiées au naturel, sans
retouche, dans des moments fra
giles, comme Robin Wright ou
Kate Winslet.
Affable et bavard, habillé sim
plement, accueillant les visiteurs
avec gentillesse dans son studio
parisien, le photographe alle
mand pratiquait avec assiduité la
méditation transcendantale et se
tenait à l’écart du monde de la
mode, évitant soigneusement
les rendezvous de la fashion
week ou les défilés. « Ce n’était
pas la mode qui m’intéressait!
confiaitil encore au Monde
en 2010. Ni le clinquant de cet uni
vers, encore moins ses mondani
tés, la mode était comme un spon
sor me permettant de faire des
images. Mon vrai sujet était les
femmes. »
Peter Lindbergh avait des mots
durs pour la photo de mode
d’aujourd’hui, soumise aux dik
tats des annonceurs et des com
municants, privée d’idées et sur
tout d’âme : « C’est une vache : elle
mange un truc, avale, régurgite et
puis remâche la même chose et re
commence. » Face à la retouche
dans les magazines et à la culture
du selfie, Peter Lindbergh conti
nuait de défendre la possibilité
d’une photographie authenti
que : « La beauté vient d’un carac
tère fort, des questions ou du trou
ble que fait naître un regard, pour
quoi pas des rides et de l’expé
rience que reflète un visage. »
claire guillot
Peter Lindbergh, le 7 juillet 2018, en Camargue. PAOLO ROVERSI
« La beauté
vient d’un
caractère fort,
des questions
ou du trouble
que fait naître
un regard »
PETER LINDBERGH
LES DATES CLÉS
23 NOVEMBRE 1944
Naissance à Leszno (Pologne)
1988
Série sur la plage pour le Vogue
américain
1990
« Une » du Vogue britannique
avec les futurs « supermodels »
2016
Exposition itinérante
« A Different Vision on Fashion
Photography »
2019
Expose à la Fondation
Giacometti à Paris
3 SEPTEMBRE 2019
Mort à Paris
grands musées comme le Victoria
and Albert Museum ou le Centre
Pompidou, et il a été exposé
en 2008 aux Rencontres d’Arles,
avec les nombreuses images réali
sées non loin, sur la plage de
Beauduc.
Auteur de plusieurs campagnes
de publicité, très recherché par les
magazines, de Vogue à W en pas
sant par Rolling Stone ou Vanity
Fair, il a aussi été le seul à signer
trois éditions du célèbre calen
drier Pirelli, en 1996, 2002 et 2017.
Dans le dernier, pas de femmes
La photo (1988) à l’origine de sa notoriété internationale. PETER LINDBERGH/COURTESY OF PETER LINDBERGH
attire les collectionneurs, et Peter
Lindbergh figure parmi les « Big
Four » de la photo de mode, aux
côtés de Richard Avedon, Irving
Penn et Helmut Newton – cer
tains de ses tirages ont dépassé
les 150 000 dollars en vente aux
enchères.
A l’écart du monde de la mode
Preuve de son succès, il a rejoint la
galerie Gagosian, qui lui a consa
cré une première exposition à Pa
ris en 2014. Ses images figurent
aussi dans les collections de
En partenariat avec la Ligue des droits deL’HommeetmediaPart
avant-Première du fiLm « nous Le PeuPLe »
de Claudine Bories etPatrice Chagnard
mardi 17 sePtemBre À 20H
au CinÉma Les 7Parnassiens
98 Boulevard du Montparnasse, 75014Paris
la séance sera suivie d’un débat avec les réalisateurs etedWY PLeneL
au CinÉma Le
18 sePtemBre
Réservation sur
https://www.parnassiens.com/reserver/