10 |france VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019
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Pour sa rentrée,
Larcher fait
la leçon à Macron
Dette, immigration... Le président
du Sénat durcit le ton face à l’exécutif
J
e suis celui qui suis », c’est
par une formule qu’il ad
met « totalement ambi
tieuse et biblique » que le
président du Sénat a défini
son rôle mercredi 4 septembre,
pour une rentrée qui l’installe,
plus qu’avant, en fer de lance
d’une droite en recomposition
face à Emmanuel Macron. Lors
de cette conférence de presse,
audelà de cette référence au
nom de Dieu dans la Bible, il a
également endossé le rôle d’op
posant au chef de l’Etat, se po
sant en alternative au duel entre
« le président de la République de
La République en marche et le
Rassemblement national ».
Si Gérard Larcher hausse le ton,
c’est que « la réduction à un choix
binaire m’inquiète pour la démo
cratie, assuretil. J’ai une respon
sabilité comme président du Sé
nat à assumer car ce pays ne peut
pas rester sans contrepouvoir.
Une démocratie sans contrepou
voir, c’est une démocratie qui, un
jour, termine dans la fragilité la
plus absolue et qui peut se retrou
ver dans les bras de valeurs qui ne
sont pas totalement les valeurs de
la démocratie. Donc j’assume ».
Dans les salons du Petit Luxem
bourg, voilà donc le troisième
personnage de l’Etat qui fait la le
çon au gouvernement. « La sai
son 1 n’a pas été très convain
cante », lance le sénateur des Yve
lines qui exige, pour l’Acte II du
quinquennat des « réponses pré
cises à des questions simples ».
Son premier sujet de préoccupa
tion : la gestion des finances pu
bliques par l’exécutif. « Le gouver
nement a significativement ré
duit ses ambitions en matière de
redressement des comptes pu
blics » et « renoncé à baisser l’en
dettement ». « En cas de retourne
ment conjoncturel ou de remon
tée brutale des taux, la France ris
que de perdre la pleine maîtrise
de ses choix budgétaires », pré
vientil. « Il donne l’alerte sur
quelque chose sur lequel l’exécutif
doit absolument se ressaisir »,
salue Philippe Bas, président Les
Républicains (LR) de la commis
sion des lois sénatoriale.
Tour de France
Si en début de quinquennat,
Gérard Larcher mettait en avant
son état d’esprit « constructif »,
les relations avec le sommet de
l’Etat n’ont cessé de se dégrader,
en particulier depuis l’affaire
Benalla. Avec Emmanuel Ma
cron, le dialogue se poursuit
mais sans chaleur. S’il salue tou
jours certaines réussites du pré
sident de la République – comme
l’organisation du G7 à Biarritz, ou
la reprise du dialogue avec la Rus
sie – le président du Sénat livre
ses critiques sans état d’âme. « Je
voudrais que cette saison 2Acte II
ne ressemble pas à la précédente
sur deux sujets : l’Europe et la poli
tique migratoire », lancetil. Il dé
plore une relation francoalle
mande « appauvrie » et juge « in
dispensable de renforcer la lutte
contre l’immigration clandestine
et les réseaux de passeurs ».
Sur les retraites, « les Français
sont un peu perdus », estimetil,
jugeant « incontournable » de po
ser clairement la question de
l’âge. Quant à la réforme des col
lectivités locales, « il va falloir pas
ser des déclarations aux actes »,
prévientil, soulignant que l’exé
cutif avait promis pour juillet
d’éclairer les mécanismes de
compensation de la suppression
de la taxe d’habitation. La crise
des « gilets jaunes » fait figure
d’argument massue pour jus
tifier de sa position sur la révi
sion constitutionnelle afin de li
miter la diminution du nombre
de parlementaires.
Mais le détour par les territoires
lui offre surtout une voie de pas
sage pour peser dans une droite
toujours en miettes. En faisant
un pas de côté visàvis du parti
Les Républicains, déboussolé et
occupé par la désignation d’un
successeur à Laurent Wauquiez,
le sénateur a pris une longueur
d’avance pour préparer l’avenir.
Embarqué depuis juin, après la
défaite des européennes, dans
un tour de France de la droite et
du centre destiné à renouer les
liens en vue des élections muni
cipales, Gérard Larcher assure
que « ça n’est nullement concur
rent de ce que doivent faire les
partis politiques ».
Sept nouvelles étapes l’atten
dent d’ici au 10 octobre et la
conclusion de son initiative par
la publication d’une plateforme.
La veille, Contrepouvoir, son livre
d’entretiens avec la journaliste du
Figaro Marion Mourgue aura paru
aux éditions de l’Observatoire.
Assis au premier rang mercredi,
Bruno Retailleau, président du
groupe LR au Sénat, justifie le pre
mier rôle institutionnel et politi
que joué par le président de la
Chambre haute. « On entre dans
une lessiveuse électorale qui est
éminemment liée aux territoires.
C’est à la fois l’angle mort du ma
cronisme et, comme institu
tion, le centre du rôle du Sénat. »
Le sénateur Philippe Bas abonde :
« Gérard Larcher est en train de re
coudre la droite et le centre en par
tant du terrain, estimetil. Sa dé
marche n’exclut pas, au contraire,
elle appelle une restructuration
des appareils politiques de la
droite et du centre. »
Cette compatibilité n’empêche
pas l’entourage du président d’af
firmer que ses conventions réu
nissent désormais plus de monde
que la rentrée de LR à La Baule
(environ 400 personnes samedi
dernier). « Il trace son sillon. Il a sa
stratégie », souligneton, tout en
démentant quelque ambition
présidentielle que ce soit. D’au
tres dans sa famille politique ju
gent que le président du Sénat est
loin de se borner à la sauvegarde
de sa majorité. Pour un député LR,
« il joue sa carte perso, de sauveur
de la droite, pour 2020 mais aussi
bien audelà ».
julie carriat
et manon rescan
Tiraillés, les macronistes choisissent de ménager le dissident Villani
Alors que le mathématicien a confirmé, mercredi, sa candidature aux municipales parisiennes, LRM a critiqué sa décision sans l’exclure
C
édric Villani a réussi la pre
mière étape de son coup
de force. Le fils rebelle de la
Macronie a beau avoir confirmé,
mercredi 4 septembre, son inten
tion de se présenter en dissident à
la Mairie de Paris, il ne sera pas ex
clu de La République en marche
(LRM) pour autant. La question a
été réglée, lundi 2 septembre, à
l’Elysée, à l’occasion du déjeuner
hebdomadaire entre Emmanuel
Macron et son premier ministre,
Edouard Philippe, indiquent des
proches du dossier. La décision a
ensuite été officialisée mercredi
par le patron du parti présidentiel,
Stanislas Guerini. Pas question de
transformer le mathématicien en
victime. En dépit de sa fronde, il
restera dans le parti. Quitte à créer
une périlleuse jurisprudence...
Adoubé en juillet par la com
mission nationale d’investiture de
LRM, Benjamin Griveaux de
meure son candidat officiel. « Il n’y
a qu’un seul candidat » de LRM
pour les municipales à Paris, « il
s’appelle Benjamin Griveaux », a
martelé mercredi Stanislas Gue
rini. Ajoutant : « J’ai la conviction
qu’il est le seul aujourd’hui qui peut
battre Anne Hidalgo », la maire so
cialiste de la capitale.
L’ancien porteparole du gou
vernement a désormais pour mis
sion officieuse de mener active
ment campagne et de s’imposer
dans les sondages, afin de forcer
son concurrent au rassemble
ment derrière lui. Faute d’y parve
nir, il court le risque de se faire
« débrancher », au profit de son ri
val... « La campagne peut avoir un
vrai impact », juge un ténor de la
majorité. Ces prochaines semai
nes, les macronistes vont avoir
l’œil rivé sur les sondages.
Exclure, ne pas exclure? La
question a suscité un immense
cassetête au sein de l’exécutif et
du parti cet été, et fait naître des
tensions. « Le problème, c’est
qu’on n’a que deux mauvaises
options dans cette histoire, con
fiait, il y a peu, un responsable du
parti. Soit on exclut Villani, et il
peut se poser en martyr. Soit on ne
l’exclut pas, et cela divise nos trou
pes dans la capitale, tout en créant
un précédent dangereux, qui peut
permettre à certains de justifier
leur dissidence ailleurs. »
Espoir qu’il rentre au bercail
Les partisans d’une ligne dure,
soutenue notamment par des fi
dèles de Benjamin Griveaux,
avaient de solides arguments pour
eux. Les statuts du parti sont
clairs : d’après l’article 33, tout
« candidat à un poste électif pour
lequel les instances compétentes
du mouvement ont investi un autre
candidat » se trouve « luimême
mis en dehors du mouvement ».
Donc exclu automatiquement, de
facto. En outre, comme tous les
participants à la course à l’investi
ture, Cédric Villani s’était engagé
par écrit à soutenir le candidat
désigné. Il aurait donc été logique
de sanctionner son incartade,
comme le président de la commis
sion d’investiture, Alain Richard,
puis celui de l’Assemblée natio
nale, Richard Ferrand, en ont
brandi la menace.
Les tenants d’une réaction plus
conciliante, eux, ont souligné que
le pataquès actuel résultait en
bonne partie de la manière dont le
mathématicien avait été « humi
lié » lors des vraies fausses primai
res. Et que l’exclusion risquait
d’être mal perçue. « Je ne vois pas
comment on pourrait l’exclure, on
passerait pour des sectaires », cons
tatait fin août un responsable ma
croniste. « Si on l’exclut, cela envoie
un message négatif de caporalisa
tion et pourrait obérer les condi
tions de la victoire, qui suppose un
rassemblement à venir », appuyait
mardi une source au sein de l’exé
cutif. En outre, comment sanc
tionner un élu qui se dit totale
ment loyal au chef de l’Etat et re
vendique la même démarche que
lui en 2016, celle d’un « homme li
bre », en dehors des partis?
C’est cette ligne qui l’a emporté,
avec l’espoir affiché que Cédric Vil
lani pourra rentrer à terme au ber
cail, comme une brebis égarée.
Mais, pour l’heure, le député de
l’Essonne savoure sa liberté.
« Avant l’été, j’ai participé à un pro
cessus de désignation dont j’ai pu
constater l’inadaptation, atil
expliqué dans son discours de
candidature, au fond d’un café du
14 e arrondissement bondé de jour
nalistes et de militants. J’ai pu me
surer les limites du fonctionnement
d’appareil politique que nous dé
noncions il y a peu. » Puis il a passé
l’été à consulter : « Vous m’avez dit :
“Vous êtes libre, allezy !” », atil
poursuivi.
A présent, il n’a aucune envie de
rendre les armes et compte mener
une intense campagne de terrain.
Elle commencera vendredi par
24 heures de rencontres, avec no
tamment la visite d’un internat et
celle d’un cinéma indépendant.
Ce n’est que plus tard qu’arrive
ront les propositions et les « idées
fraîcheur » promises par le menu
devant lequel Cédric Villani a fait
sa déclaration.
denis cosnard
et alexandre lemarié
Gérard Larcher,
président
du Sénat, lors
de l’université
d’été de LR,
à La Baule
(Loire
Atlantique),
le 31 août.
SÉBASTIEN SALOM-GOMIS/
AFP
« Gérard Larcher
est en train
de recoudre
la droite et le
centre en partant
du terrain »
PHILIPPE BAS
sénateur LR de la Manche
à entendre tous les acteurs du dos
sier, un accord sur la réforme des institu
tions n’aurait jamais été aussi proche
d’être trouvé entre le Sénat et le gouverne
ment. « Les discussions ont permis de beau
coup avancer », reconnaît ainsi Philippe
Bas, président de la commission des lois du
Sénat (Les Républicains). Le gouvernement
a présenté le 28 août une version rema
niée de la réforme. Trois nouveaux textes
(constitutionnel, loi organique, loi ordi
naire) remplaceront ceux dont l’examen
avait été interrompu par l’affaire Benalla
en juillet 2018. « Nous sommes assez pro
ches d’un accord sur le texte constitution
nel, a assuré Nicole Belloubet. En revanche,
il y a sans doute un dialogue à continuer, à
prolonger sur les deux autres textes. »
La version 2019 est expurgée d’un thème
de fâcherie avec le Sénat : la modification
de la procédure parlementaire. Elle revoit
aussi deux chiffres à la baisse : la dose
de proportionnelle pour l’élection des dé
putés – elle ne serait que de 20 % au lieu
de 25 % –, et le nombre de parlementaires,
qui ne diminuerait plus que de 25 % (contre
30 %). Deux concessions faites aux séna
teurs, dont l’accord est nécessaire à l’adop
tion de l’essentiel de la réforme. Elles ne
sont pas encore suffisantes : Gérard Lar
cher tient à ce que le moins de départe
ments possible ne disposent plus que
d’un sénateur après la baisse du nombre
d’élus. La version du gouvernement pré
voit 261 sénateurs, lui en veut 20 de plus.
Processus gelé
Autre ligne rouge : l’exécutif veut repous
ser d’un an les prochaines sénatoriales,
et organiser en septembre 2021 un renou
vellement intégral et non partiel du Sénat.
Lors de sa conférence de presse de rentrée
le 4 septembre, Gérard Larcher s’y est op
posé, renvoyant le gouvernement à la
Constitution, qui évoque un renouvelle
ment « partiel ». Selon des sources macro
nistes, ce point pourrait toujours être né
gocié dans la phase qui s’annonce. Car le
gouvernement a décidé de geler le proces
sus et de ne pas inscrire la réforme des ins
titutions au menu du Parlement tant qu’il
n’y aurait pas d’accord.
Un nouveau sujet de crispation avec les
locataires du Palais du Luxembourg. « C’est
ignorer le Parlement !, s’est indigné Gérard
Larcher. Le rôle du Parlement c’est d’enrichir
un texte et donc d’ouvrir le débat. » « Nous
sommes disponibles » pour les discussions,
atil toutefois assuré, sans qu’on y voit
plus clair sur la possibilité de cette réforme
d’aboutir tant elle est devenue le serpent
de mer du quinquennat.
ma. re.
Réforme des institutions : des concessions insuffisantes
« Assez ouvert »
sur la bioéthique
Débattre de bioéthique sans
diviser davantage les Français,
telle est la promesse de Gérard
Larcher. Mercredi, ce dernier a
annoncé être personnellement
« assez ouvert sur ce sujet-là »,
alors que l’Assemblée s’apprête
à examiner dès la semaine
prochaine en commission le texte
prévoyant notamment l’ouver-
ture de la PMA à toutes les fem-
mes. « J’ai une responsabilité de
faire que l’orchestre Sénat puisse
exprimer des choses différentes,
mais de manière que la polypho-
nie ne soit pas disharmonieuse »,
a-t-il déclaré. « Il n’y a pas que la
PMA », a-t-il noté avant d’évoquer
le don d’organes ou l’importance
des recherches scientifiques.
« Tous ces sujets-là méritent
autre chose que des manifesta-
tions dans la rue », a-t-il ajouté
alors que La Manif pour tous
a prévu de se mobiliser contre
le texte le dimanche 6 octobre.