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VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 france| 9
Violences conjugales : les forces de
l’ordre face à leurs responsabilités
Un grand audit est annoncé dans 400 commissariats et gendarmeries
L’
exercice d’autocritique
s’annonce d’ores et déjà
des plus sensibles.
Edouard Philippe a annoncé, en
ouverture du Grenelle sur les
violences conjugales, mardi 3 sep
tembre, un grand audit de
400 commissariats et brigades de
gendarmerie, afin d’évaluer les
conditions dans lesquelles sont re
çues les victimes et la façon dont
sont menées les investigations en
pareil cas. Le gouvernement sait
qu’un long chemin reste à parcou
rir : les nombreux témoignages de
femmes gardant un souvenir cui
sant de leur accueil par les forces
de l’ordre parlent d’euxmêmes.
Les travaux de l’inspection géné
rale de la police nationale (IGPN),
qui sera chargée de cette plongée
au sein des commissariats, seront
particulièrement surveillés. L’ob
jectif est d’identifier les « dysfonc
tionnements », qui auraient pu
être évités par une meilleure prise
en charge. Pour mener à bien sa tâ
che, la police des polices va réo
rienter un dispositif déjà existant.
Chaque année, le cabinet des
audits de l’IGPN passe déjà au
crible quelque 200 commissa
riats, en auditionnant le chef de
service, en faisant des visites sur
prises, en jouant à « l’usager mys
tère », ou en réalisant des entre
tiens avec des victimes.
C’est ce dernier volet qui sera
particulièrement mis à contribu
tion d’ici à la fin de l’année et
en 2020. Dans chaque circonscrip
tion auditée, les inspecteurs en
tendront une dizaine de victimes
de violences conjugales. Un rap
port sera ensuite rédigé sur cha
cun des commissariats concernés
et une synthèse permettra de se
faire une idée de la situation.
« Une opération nécessaire », juge
la direction générale de la police
nationale. Au sein des forces de
l’ordre, on observe avec prudence
ce volontarisme de la hiérarchie.
« Si on regarde en détail, c’est cer
tain qu’il y a beaucoup de situa
tions où les choses ne vont pas,
admet volontiers Philippe Capon,
secrétaire général de l’UNSAPo
lice. On a un problème d’effectif et
de formation à ces problématiques.
S’il s’agit d’améliorer les choses,
nous sommes d’accord. S’il s’agit de
faire de la communication et de
faire croire aux gens qu’il y aura un
accueil spécialisé 24 heures sur 24,
ce qui est impossible, on va créer de
la déception inutilement et ça va
nous retomber dessus. »
Limites de l’uniforme
Parmi les autres mesures annon
cées par le premier ministre, celle
concernant les prises de plainte
directement en milieu hospita
lier inquiète sur le mélange des
genres. En revanche, la « grille
d’évaluation du danger », qui doit
être mise en place pour aider les
agents d’accueil, et les formations
continues qui doivent être créées
sont plébiscitées.
Actuellement, la question des
violences conjugales ne fait pas
l’objet d’un module spécifique
dans la formation initiale des po
liciers. Elle est incluse au sein des
« interventions pour différend fa
milial », « une des missions les plus
dangereuses et donc les plus étu
diées à l’école », assureton à la di
rection générale de la police na
tionale. « C’est très délicat pour
plein de raisons, vous rentrez dans
l’intimité des gens, sur un moment
de conflit, il y a une charge émo
tionnelle très importante. On fait
souvent face à des réactions très
agressives, parce qu’on est l’in
trus », explique un fonctionnaire
chevronné.
Aucun policier interrogé ne nie
l’existence des failles, mais ils
s’étendent plus volontiers sur les
situations équivoques auxquelles
ils ont fait face. Et pointent tous les
limites de l’uniforme face à la
complexité des affaires touchant à
la sphère familiale. « Je suis assez
dubitatif sur toutes ces annonces,
résume un haut gradé. Ça prouve
surtout l’affaissement du social en
France. On se tourne vers la police
pour régler tous les problèmes. Où
sont les collectivités locales, les
systèmes d’accompagnement, les
services psychiatriques? On nous
demande d’être présents dans tous
ces compartiments, alors que ce
n’est pas notre rôle. »
Le mouvement n’est pourtant
pas près de s’arrêter. Le Grenelle
des violences conjugales dure
jusqu’au 25 novembre et l’allocu
tion d’Edouard Philippe ne souf
frait d’aucune ambiguïté : le mi
nistère de l’intérieur en sera l’un
des acteurs majeurs.
nicolas chapuis
La délégation parlementaire au
renseignement veut plus de moyens
Censée assurer une fonction de contrôle démocratique,
cette instance manque de mains et d’accès aux informations
L
a Délégation parlemen
taire au renseignement
(DPR) n’aurait pu mieux
souligner la modestie de ses
moyens et de ses prérogatives.
Elle vient de publier, mercredi
4 septembre, son rapport an
nuel... pour 2018. Et outre des
considérations, déjà entendues,
sur la lutte contre la radicalisa
tion et le terrorisme, et l’avenir
de l’Europe du renseignement
ainsi qu’un dégagement, plus
inédit, sur les ressources humai
nes dans le monde du secret, l’in
térêt du texte réside bien dans ce
constat : la faiblesse chronique
du contrôle démocratique du
renseignement en France.
Certes, on part de loin. Née de la
loi du 9 octobre 2007, la DPR ne
s’est vu reconnaître une fonction
de contrôle qu’en 2014, puis il a
fallu attendre le vote de la pre
mière loi sur le renseignement,
en 2015, pour qu’elle étende le
champ de son activité audelà de
quelques réunions avec les direc
teurs de services et d’un rapport
squelettique. Mais son périmètre
demeure limité. « Les moyens doi
vent être repensés et mis en cohé
rence », assure la DPR, pour assu
mer « la montée en puissance de
l’évaluation et du contrôle parle
mentaire de la politique publique
du renseignement ».
Manque de temps
La DPR veut ajouter des embau
ches à l’équipe de quatre person
nes qui travaillent pour elle, dont
une à mitemps. Elle veut aussi
changer sa gouvernance, qui la
prive de temps et de moyens. Elle
est composée de huit parlemen
taires, à parité de députés et de
sénateurs. Les présidents des
commissions des lois et de la dé
fense des deux chambres en sont
membres de droit et président, à
tour de rôle, la délégation. Ces
fonctions, très chronophages,
empêchent, de fait, leurs respon
sables de remplir leur rôle à la
tête de la DPR.
La tâche est d’autant plus com
pliquée, écrit la DPR, qu’elle est
privée d’informations qu’elle
juge essentielles, celles des rap
ports des services d’inspection
des administrations. « Ces élé
ments constitueraient une base de
travail précieuse », ditelle. Or la
loi lui donne accès à cette ma
tière. « Encore fautil, relèvetelle,
que la DPR soit informée de l’exis
tence de ces rapports, (...) et la DPR
aimerait juger ellemême de la
pertinence des documents utiles,
voire indispensables, à l’exercice
de son contrôle. »
En 2018, la DPR a même essuyé
des refus. L’inspection générale
des finances n’a pas voulu lui
transmettre un rapport sur la pro
tection des entreprises stratégi
ques. Et le directeur général de la
sécurité intérieure (DGSI) a inter
dit à la commission de vérifica
tion des fonds spéciaux, émana
tion de la DPR, l’accès au travail de
l’inspection interne sur la gestion
des sources. La DPR demande
donc « la communication de la
liste des rapports de services d’ins
pection ministériels et interminis
tériels » et de ceux produits par
« les organes de contrôle interne
des services de renseignement ».
« Enjeu majeur »
Dans son rapport 2017, la DPR
avait commencé à se rebiffer. Elle
avait évoqué des « pistes de ré
flexion sur l’avenir du contrôle
parlementaire des services de ren
seignement ». L’espoir a fait long
feu. Dans son rapport 2018, on lit
que « le débat sur la loi de pro
grammation militaire 2019
n’a pas permis de dégager de con
sensus sur les évolutions à appor
ter au cadre juridique actuel ».
L’ensemble des amendements
déposés depuis quatre ans pour
renforcer ses pouvoirs ont été re
jetés, faute de consensus. Il s’agis
sait, notamment, « d’auditionner
des agents des services, autres que
directeurs » ou de « faire état,
dans son rapport public de graves
dysfonctionnements ».
Ne s’avouant pas vaincue, Yaël
BraunPivet (LRM), à la tête de
DPR entre 2018 et 2019, et actuelle
présidente de la commission des
lois à l’Assemblée nationale,
donne rendezvous au gouverne
ment en 2020 pour une nouvelle
loi sur le renseignement qui per
mettra notamment, espèretelle,
de remettre à plat le fonctionne
ment de la DPR. « L’enjeu démo
cratique est majeur, écrit la DPR, et
le Parlement doit se donner les
moyens de remplir avec toute l’ef
fectivité que cela requiert, sa mis
sion de garant de l’Etat de
droit. »
jacques follorou
« La DPR aimerait
juger elle-même
de la pertinence
des documents
utiles, voire
indispensables,
à l’exercice de
son contrôle »,
écrit la délégation
S A N T É
Marseille : le corps d’un
disparu retrouvé après
15 jours dans un hôpital
Après quinze jours de recher
ches, un septuagénaire atteint
de démence, disparu d’un ser
vice hospitalier marseillais
où il attendait une séance de
chimiothérapie, a été retrouvé
mort, deux étages plus haut,
dans une unité désaffectée du
même établissement. Entré
à l’hôpital de la Conception le
19 août et venu spécialement
du Var pour son traitement,
l’homme avait dû patienter
dans une salle d’attente
pendant plusieurs heures.
Une autopsie a été menée,
mercredi 4 septembre, « qui
n’établit pas l’intervention
d’un tiers », a précisé le procu
reur de Marseille, Xavier
Tarabeux. Une enquête est
en cours pour déterminer
les circonstances exactes
de la mort. − (AFP.)
PA R L E M E N T
Enquête du Sénat sur
la présence d’un buste
d’Hitler dans ses caves
Après la révélation par Le
Monde de la présence d’un
buste d’Hitler, legs de l’occu
pation allemande, dans les
caves du Sénat, son président,
Gérard Larcher, a dit l’ignorer.
Mais des recherches « en pro
fondeur » ont été lancées.
Le Monde a révélé que ce
buste ainsi qu’un drapeau
nazi de 2 mètres sur 3 sont
conservés depuis la seconde
guerre mondiale dans les ré
serves du Sénat. Le palais du
Luxembourg a été occupé
entre 1940 et 1944 par l’état
major général de l’armée de
l’air allemande. « J’ai demandé
à la questure [chargée de la
gestion de l’institution] d’ap
profondir les recherches sur
l’ensemble des objets », a dé
claré M. Larcher. − (AFP.)
J U S T I C E
L’enquête sur la mort
de Steve Maia Caniço
dépaysée à Rennes
L’enquête sur la mort de
Steve Maia Caniço lors de la
Fête de la musique à Nantes
a été dépaysée, mercredi
4 septembre, à Rennes. Une
décision « cohérente » pour
l’avocate de la famille du
jeune homme, « compte tenu
du caractère sensible et
politique du dossier ». La
disparition de cet animateur
périscolaire de 24 ans, dont
le corps a été retrouvé le
29 juillet dans la Loire, a sus
cité une très forte émotion et
de vives critiques sur l’inter
vention des forces de l’ordre.
La demande de dépaysement
avait été lancée il y a un mois
par les deux juges d’instruc
tion nantais chargés de l’en
quête pour « homicide invo
lontaire ». − (AFP.)
Ile d’Oléron : la justice
autorise le coq Maurice
à continuer de chanter
Le tribunal correctionnel de
Rochefort (CharenteMari
time) a jugé, jeudi 5 septem
bre, que le coq Maurice pou
vait continuer de chanter,
rejetant la plainte des voisins
qui l’accusaient de les ré
veiller dès l’aube. Cette af
faire, très médiatisée, était
devenue un symbole pour
les défenseurs de la ruralité.
« Maurice a gagné [et] les plai
gnants devront verser à sa
propriétaire 1 000 euros de
dommages et intérêts », se fé
licite Julien Papineau, avocat
de la propriétaire du volatile,
Corinne Fesseau. – (AFP.)
L’exécutif reconnaît des failles
L’actualité vient d’illustrer à deux reprises les problèmes de prise
en charge par les forces de l’ordre des violences conjugales.
Christophe Castaner, ministre de l’intérieur, a reconnu que l’inter-
vention policière à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), le 31 août,
avait été un « échec ». Une jeune femme de 21 ans a été battue
à mort et son compagnon a été mis en examen. Des témoins des
faits avaient alerté la police. Une enquête de l’IGPN a été ouverte.
De son côté, Emmanuel Macron a fait l’expérience directe des diffi-
cultés rencontrées par les victimes. Le chef de l’Etat, en déplace-
ment au 3919, la plate-forme d’accueil téléphonique des victimes,
le 3 septembre, a été témoin du refus d’un gendarme d’accompa-
gner à son domicile une femme ayant peur de son conjoint violent.