Le Monde - 06.09.2019

(vip2019) #1

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ÉCONOMIE  &  ENTREPRISE


VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

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Immobilier : Paris franchit un cap historique


Le seuil des 10 000 euros le mètre carré a été dépassé. En dix ans, le prix moyen d’un logement a crû de 66 %


P


aris est une fête pour les
propriétaires, mais le
ticket d’entrée coûte de
plus en plus cher. Selon
les données publiées par la cham­
bre des notaires, jeudi 5 septem­
bre, le prix moyen du mètre carré
dans la capitale a bien franchi le
cap des 10 000 euros en août. Il
pourrait atteindre 10 280 euros en
octobre, soit une hausse de plus
de 66 % en dix ans. Cinq arrondis­
sements sont déjà au­delà de
12 000 euros et tous dépassent les
8 000. L’envolée est sans com­
mune mesure avec celle observée
dans d’autres métropoles, même
dynamiques, comme Nantes,
Lyon ou Bordeaux. A tel point
qu’il faut gagner au minimum
11 000 euros à deux pour acheter
75 m², selon les calculs du courtier
Vousfinancer.com!
Est­on face à une bulle sur le
point d’exploser? Le terme fait dé­
bat. « On ne peut pas vraiment par­
ler de bulle, estime Thomas Lefeb­
vre, qui chapeaute les études de la
plate­forme d’estimation en ligne
Meilleursagents.com. La situation
n’est pas comparable avec l’envo­
lée de 2009 à 2011, quand l’immo­
bilier parisien avait bondi de 40 %
en deux ans. A l’époque, les inves­
tisseurs échaudés par la chute des
marchés financiers plaçaient leur
argent dans la pierre pour reven­
dre au plus vite. Aujourd’hui, la
hausse est justifiée par les fonda­
mentaux du marché. »

Appétit d’emprunt
Si les prix atteignent des niveaux
stratosphériques, c’est en raison
notamment de la baisse excep­
tionnelle des taux d’emprunt.
Pour les crédits immobiliers, ces
derniers sont aujourd’hui cinq
fois moins élevés qu’au début des
années 2000. Il est donc nette­
ment plus facile de s’endetter.
D’après l’Observatoire Crédit Lo­
gement CSA, les taux des prêts
(hors assurance) atteignaient en
moyenne 1,2 % en juillet dans
toute la France.
A la faiblesse des taux s’ajoute
l’allongement de la durée des
prêts. En 2018, ils s’étalaient en
moyenne sur 19,9 ans. En outre,
« la part d’apport personnel exigé
par la banque a également été re­
vue à la baisse », souligne Michel
Mouillart, professeur d’écono­
mie à l’université Paris­Ouest.
Toutes les conditions sont réu­
nies pour permettre aux aspi­
rants à la propriété de s’endetter.
En témoigne le fort dynamisme

des crédits à l’habitat enregistré
en juillet : + 6,5 % (après + 6,3 % en
juin et en mai).
Cet appétit d’emprunt pour­
rait­il devenir dangereux, et pla­
cer certains ménages en situation
de ne plus pouvoir rembourser?
Pour le Haut Conseil de stabilité fi­
nancière (HCSF), instance chargée
de limiter les menaces du système
financier, « les risques sont à ce
stade maîtrisés, en raison des spé­
cificités du marché français ». Les
banques n’accordent, en effet, que
des prêts à taux fixe (pour 98,5 %
des crédits souscrits en 2018), ce
qui limite les dangers liés à une
possible remontée des taux d’in­
térêt. La quasi­totalité bénéficie,
par ailleurs, d’une caution, d’une
hypothèque ou d’une garantie. Et
les banques doivent aussi tenir
compte du poids des rembourse­
ments mensuels par rapport aux
revenus de leurs clients.

Prudence toutefois : le HCSF
souligne que « le renforcement »
de la dynamique des prix et des
transactions immobilières « pour­
rait devenir préoccupant ». Car le
marché parisien a ceci de particu­
lier que c’est la hausse des prix qui
nourrit la demande. Cette der­
nière n’est pas entretenue par la
poussée démographique (Paris
perd plutôt des habitants), l’aug­
mentation du nombre de ména­
ges (elle est continue depuis les
années 1970) ou même l’arrivée
de riches étrangers. « C’est une spé­
culation sur le moyen et le long
terme, observe Philippe Crevel, di­
recteur du Cercle de l’épargne.
L’idée de la plus­value est rentrée
dans la tête des gens. »
Pourtant, même à Paris, l’im­
mobilier peut se retourner.
En 1991, au début de la guerre du
Golfe, le marché avait dégringolé.
Cette chute, qui s’est prolongée

jusqu’en 1997, a provoqué une
baisse de 40 % des prix. Plus ré­
cemment, entre 2011 et 2015, on a
également assisté à une contrac­
tion de l’ordre de 10 %, sur fond de
hausses d’impôts et de dégrada­
tion des aides fiscales à l’acces­
sion à la propriété.

Gare à l’euphorie
Aujourd’hui, la conjoncture sou­
tient davantage le marché. La
Banque centrale européenne ne
semble pas décidée à relever ses
taux directeurs, ce qui devrait
maintenir les taux d’emprunt au
plancher. La récession menace à
l’échelle mondiale, mais le ralen­
tissement est pour le moment as­
sez indolore en France. De plus,
l’emploi se porte bien, le taux de
chômage étant passé de 10,5 %
en 2015 à 8,7 % cette année.
Mais gare à l’euphorie... Les per­
mis de construire ont marqué le

pas en 2018, selon le Service de la
donnée et des études statistiques
du ministère de la transition
écologique et solidaire, chargé de
les mesurer. Or, souligne Thomas
Grjebine, économiste au Centre
d’études prospectives et d’infor­
mations internationales (CEPII) et
spécialiste des cycles immobi­
liers, « la dynamique de la cons­
truction et celle des prix sont histo­
riquement très corrélées, y com­
pris sur Paris ». Il n’est pas exclu,
pense le chercheur, « qu’on entre
dans une phase de transition »,
avec une correction de l’ordre de
5 % à 7 %.
Autre élément penchant en fa­
veur d’un tassement : « On ob­
serve un décalage croissant entre
l’augmentation des prix et celui
des loyers à Paris, note Thomas
Grjebine. Les rendements sont
faibles. Par ailleurs, les salaires ne
suivent pas du tout la hausse des

Taxe foncière : la mauvaise surprise de la rentrée


La revalorisation de la valeur locative des logements entraîne une hausse de cet impôt pour certains propriétaires


T


out a commencé cet été
dans l’Isère, lorsque
l’Union nationale de la
propriété immobilière (UNPI),
une association qui défend les
propriétaires, a vu arriver près de
300 adhérents désemparés. Tous
avaient reçu une lettre de l’admi­
nistration fiscale indiquant que
leur taxe foncière allait augmen­
ter fortement. « Nous nous som­
mes dit que quelque chose d’anor­
mal se passait avec ces augmenta­
tions comprises entre 8 % et 30 % »,
explique Pierre Hautus, directeur
général de l’UNPI. Un contribua­
ble grenoblois a ainsi indiqué à
l’UNPI que sa taxe foncière pas­
sait de 2 323 à 2 549 euros, soit
226 euros en plus à payer cette fin
d’année. Un autre a indiqué dans
un courrier que la taxe de
1 289 euros pour son apparte­
ment situé en centre­ville grim­
pait de 188 euros. La raison de ces
hausses : une revalorisation de la
valeur locative du logement.

Cette valeur est un élément­clé
dans le calcul de la taxe foncière
payée chaque année par les pro­
priétaires. Elle est fixée par l’ad­
ministration fiscale en accord
avec les communes et repose sur
le loyer théorique que le proprié­
taire serait en mesure de recevoir
s’il mettait le logement en loca­
tion. Elle dépend de la surface, du
standing de l’immeuble, de l’état
d’entretien de la construction,
mais aussi du secteur où est situé
le bien. « Un quartier mal desservi
par les transports en commun et
peu demandé n’aura pas la même
valeur locative qu’un apparte­
ment de centre­ville dans un quar­
tier recherché », explique­t­on à la
direction générale des finances
publiques (DGFIP).
Le souci est que les valeurs loca­
tives actuelles sont calculées sur
la base des conditions du marché
locatif du... 1er janvier 1970 pour
les propriétés bâties, et même de
celui de 1961 pour les terrains! De­

puis quarante­neuf ans, aucune
révision d’ampleur n’a eu lieu. Or
certains quartiers à l’époque peu
prisés sont aujourd’hui très re­
cherchés. Une révision de grande
ampleur serait donc nécessaire,
mais les gouvernements succes­
sifs ont retardé l’échéance, no­
tamment à la demande des élus
locaux. Ces derniers redoutent,
en effet, la réaction de leurs admi­
nistrés furieux de voir leur feuille
d’impôt gonfler d’un coup. Sur­

tout que l’inverse n’est pas vrai.
Les quartiers qui se sont dégradés
ou qui sont désormais situés à
côté d’un équipement générant
des nuisances devraient voir leur
taxe foncière baisser, « mais en gé­
néral, l’harmonisation se fait à la
hausse », prévient M. Hautus.

Une mesure d’équité
En dépit de ces difficultés, le gou­
vernement a décidé de passer à
l’action. « Un article dans le projet
de loi de finances pour 2020 qui va
être présenté prochainement au
conseil des ministres prévoit de
s’attaquer au problème », explique
Léah Chambord, chargée de mis­
sion finances et fiscalité à France
urbaine, qui représente les métro­
poles et les grandes villes de
France. La DGFIP le confirme et
rappelle que les locaux profes­
sionnels ont déjà fait l’objet d’une
réforme en 2017. Pour France ur­
baine comme pour la DGFIP, cette
revalorisation est une mesure

d’équité des contribuables devant
l’impôt : « Les chambres de bonne
qui avaient des toilettes sur le pa­
lier dans les années 1970 et qui ont
depuis longtemps une petite salle
de bain doivent payer le juste
prix », estime­t­on à la DGFIP.
D’ores et déjà, des commissions
se réunissent régulièrement lo­
calement pour revaloriser la va­
leur de certains logements.
En 2017 et 2018, la valeur locative
de 134 000 locaux a été revue et
pour 2019, 69 000 nouveaux
biens ont été réévalués. Les loge­
ments des 300 adhérents de
l’UNPI sont sans doute parmi ces
derniers. Par ailleurs, la réévalua­
tion est automatique lorsque des
gros travaux sont entrepris,
comme des extensions ou la
construction d’une piscine...
Dans ce cas, l’administration est
informée par le permis de cons­
truire ou la déclaration de tra­
vaux déposée en mairie. Pour les
améliorations qui ne nécessitent

pas de permis de construire,
comme l’aménagement de com­
bles ou l’installation d’une nou­
velle salle de bain, c’est souvent
lors de la vente du logement que
la taxe foncière est actualisée.
Avec la loi de finances, c’est dé­
sormais l’ensemble des loge­
ments qui devrait être concerné.
« On sent que le gouvernement
cherche de l’argent et on peut se
demander si ce n’est pas pour com­
penser la suppression de la taxe
d’habitation qui va réduire forte­
ment les recettes des collectivités »,
s’interroge M. Hautus. « Faux », ré­
pond Léah Chambord qui indique
que les contours de la réforme se
précisent et que les communes
recevront une partie de la TVA
pour compenser la baisse des re­
cettes. En attendant, les 31 mil­
lions de contribuables assujettis à
la taxe foncière risquent de voir
leur impôt augmenter fortement
l’an prochain.
nathalie coulaud

prix. » Si on considère la distribu­
tion des revenus à Paris, seuls
24 % des habitants de l’agglomé­
ration peuvent aujourd’hui
s’acheter un logement de 36 m²
(surface minimum jugée décente
pour deux personnes), estime
Meilleursagents.com.
Malgré un large accès au crédit,
les acheteurs potentiels ont peu
de chances de devenir propriétai­
res s’ils ne bénéficient pas d’un
bel apport personnel. De fait, le
marché parisien est surtout en­
tretenu par les revendeurs, qui
disposent à l’achat d’un capital
constitué.
Les primo­accédants, eux, sont
de plus en plus contraints de
s’éloigner du centre. Un mouve­
ment qui a fait bondir les prix
dans les communes de petite et
grande couronne.
élise barthet
et véronique chocron

Le souci est
que les valeurs
locatives
actuelles sont
basées sur les
conditions du
marché locatif du
1 er janvier 1970
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