Le Monde - 06.09.2019

(vip2019) #1

14 |économie & entreprise VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019


0123


Le gouvernement britannique


annonce la « fin de l’austérité »


Le chancelier de l’Echiquier programme une hausse des dépenses


londres ­ correspondance

E


n temps normal, l’an­
nonce des grandes lignes
budgétaires (spending re­
view) pour l’année à ve­
nir est l’événement de la semaine,
voire du mois, à la Chambre des
communes. Mercredi 4 septem­
bre, alors que Sajid Javid, le chan­
celier de l’Echiquier, entamait
l’exercice, les députés ont pour­
tant commencé à quitter leur
place. Même Boris Johnson, le
premier ministre, s’est levé de son
banc, avant d’être rappelé à l’ordre
par l’un de ses ministres. La dra­
maturgie du Brexit et la bataille
politique à mort qui se déroule
au Parlement ont relégué au se­
cond plan la réalité économique.
En temps normal, pourtant, l’an­
nonce de M. Javid aurait marqué
un profond virage : « Après une
décennie de redressement, nous
tournons la page de l’austérité. »
Le grand programme de coupes
budgétaires, débuté en 2010, qui a
dominé la politique du gouverne­
ment conservateur, est terminé.
Cela fait déjà quelques années
qu’il a été réduit. Mais le chan­
celier de l’Echiquier promet dé­
sormais d’augmenter les dépen­
ses. En plus du budget déjà
prévu par son prédécesseur, il
va injecter 13,4 milliards de li­
vres (14,9 milliards d’euros) sup­
plémentaires, pour l’année,
d’avril 2020 à mars 2021.

Si cela ne s’apparente pas réelle­
ment à un plan de relance, cela
représente quand même une
somme considérable : une aug­
mentation de 4,1 %, en valeur
réelle, du budget de fonctionne­
ment du gouvernement britan­
nique. « La hausse la plus forte de­
puis quinze ans », affirme M. Javid.
De quoi annuler les deux tiers des
coupes budgétaires effectuées de­
puis 2010 pour les dépenses cou­
rantes, selon les calculs de l’Insti­
tute for Fiscal Studies, un groupe
de réflexion.

Une surenchère de promesses
En cette période préélectorale,
alors que Boris Johnson réclame à
cor et à cri une élection législative
anticipée (que le Parlement lui re­
fuse), l’annonce fleure bon le ca­
deau populiste. Mais elle marque
aussi un important virage rhéto­
rique, les conservateurs s’étant
battus cette dernière décennie
pour paraître, au contraire, le plus
père la rigueur possible.
Désormais, quelle que soit la
tournure des événements dans
les mois qui viennent – Brexit ou
pas, élection ou pas –, l’austérité
est terminée. Ce sera le cas si
M. Johnson parvient à rester au
pouvoir. Ce sera aussi le cas si
les travaillistes gagnent les élec­
tions. Jeremy Corbyn, à la tête du
Labour depuis quatre ans, a fait
du combat contre les coupes bud­
gétaires son cheval de bataille.

Entre les deux partis, l’heure est
désormais à la surenchère dans
les promesses. John McDonnell,
numéro deux du parti travailliste,
estime que les décisions de M. Ja­
vid ne vont pas assez loin : « N’in­
sultez pas l’intelligence des Britan­
niques. Ce sont des promesses élec­
torales. Les tories ont regardé les
sondages pour connaître les deux
ou trois sujets qui inquiétaient les
gens, et y ont mis aussi peu d’ar­
gent que possible. »
Les priorités de M. Javid vont
aux promesses que M. Johnson
répète depuis qu’il a accédé au
10 Downing Street : 750 millions
de livres pour commencer à em­
baucher 20 000 policiers, 1,8 mil­
liard pour les écoles primaires et
secondaires, 1 milliard pour l’aide
aux personnes âgées en situa­
tion de dépendance... Le service
de santé, qui a été exempt
des coupes les plus drastiques de­
puis 2010, mais croule sous la de­

mande et sous l’inflation du prix
des soins, reçoit également une
aide supplémentaire, en hausse
de 3,1 % en valeur réelle.
En grande partie, il s’agit de re­
faire ce qui a été défait depuis
près de dix ans. Les effectifs des
forces de l’ordre avaient juste­
ment baissé de 20 000 policiers
en une décennie. Les écoles vont
progressivement retrouver le ni­
veau de financement par élève
d’avant la crise. « Et vous voudriez
qu’on se réjouisse de ça? », s’agace
M. McDonnell.
Cette série de promesses, qui
restera lettre morte si le gouver­
nement de Boris Johnson perd le
pouvoir, respecte les limites des
règles budgétaires que les conser­
vateurs se sont auto­imposées.
En particulier, Philip Hammond,
le prédécesseur de M. Javid, avait
promis que le déficit « structurel »
(corrigé du cycle de la croissance)
ne dépasserait pas 2 % du PIB.
« J’ai toujours cru à l’importance
de vivre dans la limite de
nos moyens, explique M. Javid.
Même avec ces dépenses sup­
plémentaires, nous respecterons
nos règles budgétaires. »
Pas si sûr, réplique l’Institute for
Fiscal Studies : « Ce sera serré,
même si la sortie de l’Union euro­
péenne se passe en douceur. »
Et en cas de « no deal », une sortie
sans accord, le ralentissement
économique risquerait de pro­
voquer une soudaine hausse des
emprunts.
Le Royaume­Uni peut cepen­
dant se le permettre. Le déficit,
qui avait atteint 10 % du PIB
en 2010, est désormais de 1,2 % du
PIB. Quant à la dette, après avoir
doublé, elle est en légère baisse
depuis deux ans, à 83 % du PIB.
éric albert

La dramaturgie
du Brexit et la
bataille politique
au Parlement
ont relégué
au second plan
la réalité
économique

« Portabilité des données » :


sous pression, Facebook riposte


Sommée de permettre qu’on quitte le réseau social avec ses contacts
et ses contenus, l’entreprise liste ses objections dans un Livre blanc

P


ortabilité des données. »
Cette expression technique
désigne la possibilité pour
l’utilisateur d’un réseau social de
récupérer ses contacts ou ses
contenus pour les emporter vers
un service concurrent. De plus en
plus de pouvoirs publics ou d’asso­
ciations y voient un moyen de
limiter la domination de plates­
formes comme Facebook ou You­
Tube. Conscient de cette pression,
le réseau social fondé par Mark
Zuckerberg a publié, mercredi
4 septembre, un Livre blanc sur la
question. Son objectif : montrer
que la mise en œuvre de cette por­
tabilité soulève des questions juri­
diques et techniques.
« Nous sommes favorables à la
portabilité et nous voulons amé­
liorer nos outils. Beaucoup de voix
vont dans ce sens. Mais il y a peu
de lignes directrices sur la façon
de le faire », justifie Erin Egan, vi­
ce­présidente responsable de la
protection de la vie privée chez
Facebook. Celle­ci rappelle que
M. Zuckerberg avait jugé, dans
une tribune en mars, que la por­
tabilité était l’un des domaines
dans lesquels davantage de « ré­
gulation » serait souhaitable.
Le Règlement général sur la pro­
tection des données européen et la
loi de protection des consomma­
teurs de l’Etat de Californie, aux
Etats­Unis, imposent déjà qu’un
utilisateur puisse récupérer les in­
formations qu’il a soumises à un
réseau social. Avec la mise à jour de

sa fonction « Téléchargez vos in­
formations », Facebook estime
être en conformité avec ces textes.
Mais, reconnaît Mme Egan, cet outil
n’est « pas très pratique et certains
voudraient un transfert direct vers
d’autres services ».
En effet, télécharger un gros fi­
chier avec les contenus de ses
billets Facebook ne suffit pas à
migrer vers un autre réseau so­
cial. Certains prônent une por­
tabilité plus poussée et même
une « interopérabilité » qui per­
mettrait de communiquer avec
ses contacts sur d’autres réseaux.
« Des régimes plus stricts peuvent
être imposés par le biais de régula­
tions de secteurs », préconise un
rapport sur « La politique de la
concurrence à l’ère numérique »
rédigé en mars par des experts de
la Commission européenne.

« Qui est responsable? »
En France, La Quadrature du Net,
avec 74 autres organisations de
défense des libertés sur le Web,
a demandé, fin mai, au gouverne­
ment de forcer les grands réseaux
à être « interopérables ».
Facebook estime qu’exporter la
liste de ses « amis » vers un autre
service peut poser un problème
de respect de la vie privée :
« Que se passe­t­il si les personnes
concernées ne sont pas d’ac­
cord? », demande Mme Egan. Fau­
drait­il leur demander une forme
de « permission »? « Et si vous
transférez des photos où certains

de vos amis sont identifiables? »,
poursuit la responsable. Face­
book prépare pour octobre un
prototype d’outil de portabilité
des photos, au sein du Data Trans­
fer Project, un groupe réunissant
Google et d’autres plates­formes.
Mme Egan soulève un autre
point : « Qui est responsable, en
cas d’usage problématique, par
un service concurrent, des don­
nées transférées? » Une allusion à
la polémique Cambridge Analy­
tica, en mars 2018, lorsqu’on a
reproché à Facebook d’avoir
transféré des données vers des
tiers, sans contrôle.
Facebook ne cherche­t­il pas à
retarder l’avancée de la portabi­
lité? « Nous ne ralentissons pas
les choses, nous avançons », ré­
pond Mme Egan, alors que Face­
book va organiser des « ateliers »
avec des experts, à Berlin, à
Washington ou à Singapour.
La Quadrature du Net n’est tou­
tefois pas convaincue : « L’intero­
pérabilité, c’est justement l’idée
que les gens puissent contrôler
quelles données ils mettent sur
quel réseau social, explique
Martin Drago, juriste de l’associa­
tion. Et l’interopérabilité entre
Orange et SFR pour le téléphone,
ou entre Gmail et La Poste pour les
courriels, n’a pas vraiment posé de
question de vie privée... » Le volon­
tarisme de Facebook est en tout
cas un signe que les débats sur la
portabilité vont s’animer.
alexandre piquard

Dorian n’est pas la seule menace
climatique qui rôde en ce mo­
ment le long des côtes américai­
nes. Lundi 9 septembre, un oura­
gan d’un autre genre devrait at­
teindre les rivages californiens.
Ce jour­là, près d’une trentaine
de procureurs généraux d’autant
d’Etats américains devraient an­
noncer le lancement d’une en­
quête coordonnée sur les prati­
ques antitrust de Google. Une
pratique qui permet aux justices
des Etats de combiner leurs for­
ces et de faire pression sur les
autorités fédérales pour qu’elles
lancent à leur tour une enquête
approfondie. C’est ce qui s’était
passé dans les années 1990
autour du cas Microsoft, accusé
d’utiliser son monopole sur Win­
dows pour entrer sur de nou­
veaux marchés.
C’est la saison des intempéries
à Mountain View, le siège de
Google. La firme n’arrête pas
d’empiler les sacs de sable face
aux vagues qui déferlent. Elle a
déjà été touchée par la tornade
Margrethe Vestager, la commis­
saire européenne à la concur­
rence, qui a infligé plus de 8 mil­
liards d’euros d’amendes à la
firme et entame une nouvelle
enquête. Aux Etats­Unis, sa filiale
YouTube va devoir payer
170 millions de dollars (154 mil­

lions d’euros) pour avoir exposé
les enfants à des vidéos inappro­
priées et collecté des données
personnelles les concernant.
Enfin, le Financial Times a sou­
levé un nouveau lièvre, mercredi
4 septembre, avec l’accusation
d’un concurrent qui a porté
plainte en Irlande, en affirmant
que la firme exploitait les don­
nées de particuliers à des fins pu­
blicitaires sans les prévenir, ce
qui est contraire au règlement
général sur la protection des
données européen.

Victime de son succès
Bien sûr, Google n’est pas la seule
victime de cette nouvelle météo
politique. Facebook avait essuyé
les premiers vents de la tempête
avec les scandales à répétition
sur la protection des données
privées et Amazon est également
dans le collimateur des autorités
pour son appétit sans limites.
Google apparaît de plus en plus
victime de son succès. Sa réus­
site, dans le domaine de la publi­
cité sur le Net, est tellement écla­
tante que toute tentative pour
sortir de cette prison dorée est
interprétée comme un abus de
position dominante. Et les politi­
ques, comme les cyclones, finis­
sent toujours par s’attaquer aux
îles les plus paradisiaques.

PERTES & PROFITS|CONCURRENCE
p a r p h i l i p p e e s c a n d e

Ouragan en vue


sur Google


D I S T R I B U T I O N
Daniel Kretinsky
au capital de Casino
Vesa Equity Investment, la
holding d’investissement dé­
tenue majoritairement par
l’homme d’affaires tchèque
Daniel Kretinsky, actionnaire
indirect du Monde, détient
4,63 % du capital de Casino, a

annoncé la société, jeudi
5 septembre.

M É D I A S
Orange cesse la
diffusion de BFM-TV
Après Free, Orange a coupé,
jeudi 5 septembre, le signal des
chaînes d’Altice (BFM­TV, RMC
Story et RMC Découverte).

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