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VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 0123 | 29
D
éjà dixhuit ans en
Afghanistan : « C’est ri
dicule », dit Donald
Trump. Le président
veut « en finir avec ces guerres
sans fin », ces campagnes lointai
nes que l’Amérique mène depuis
le 11 septembre 2001. Il a donné
des ordres : septembre 2019 mar
quera le début d’un retrait défini
tif d’Afghanistan, où un accord de
paix serait en vue. Bientôt, le
même mouvement aura lieu en
Syrie, puis en Irak. Il suffit de dire
qu’on a gagné. Pas si simple. Si les
EtatsUnis veulent partir, le dji
hadisme connaît, lui, un retour
en forme dans la région.
Au lendemain des attentats de
2001, les Américains s’étaient fixé
un objectif stratégique : trans
former le « Grand Moyen
Orient », berceau du djihadisme,
du monde arabe à l’Afghanistan.
Hébergée par le régime des tali
bans, alors au pouvoir à Kaboul,
AlQaida avait revendiqué l’atta
que contre les EtatsUnis. On
chassa les talibans (et AlQaida)
du pays. On installa leurs oppo
sants au pouvoir (la coalition de
l’Alliance du Nord). Mais, au lieu
de laisser ceuxci se débrouiller,
les Occidentaux restèrent en
Afghanistan. On allait « transfor
mer » ce pays, en guerre depuis
1979, lui apporter stabilité politi
que et début de démocratie. On
appelait cela « construire un Etat ».
La vraie cible du président
George W. Bush était l’Irak de
Saddam Hussein. Les dictatures
arabes, interdisant toute oppo
sition, avaient engendré le djiha
disme, forme suprême de la vio
lence terroriste islamiste, di
saiton à Washington. L’absence
de démocratie au MoyenOrient,
cause première de l’islamisme
militant, avait accouché des at
tentats de 2001.
Saddam Hussein représentant
la quintessence de la dictature
arabe, il fallait commencer par
lui, le chasser du pouvoir puis oc
cuper le pays le temps d’y implan
ter un début de démocratie jef
fersonienne. C’était la meilleure
façon de protéger l’Amérique, et
puis, effet de domino quasi méca
nique, après l’Irak viendrait la Sy
rie et, même audelà du monde
arabe, peutêtre aussi l’Iran des
ayatollahs. On appelait cela
« étendre la démocratie ».
Tel était le credo profond des
néoconservateurs américains.
On sait ce qu’il en fut – des années
de guerres qui ont dessiné
cette terre de désastres qu’est le
MoyenOrient d’aujourd’hui. Les
historiens, rendant compte de la
complexité de cette séquence, di
ront la part de responsabilité des
EtatsUnis et celle des acteurs lo
caux. Pour Donald Trump, la si
tuation est simple : Washington a
terrassé l’islamisme le plus viru
lent, notamment l’organisation
Etat islamique (EI), un dérivé d’Al
Qaida ; le devoir accompli, les
Américains peuvent quitter la ré
gion. Trump sera le président qui
a sorti les EtatsUnis des pièges
du Grand MoyenOrient. Bon ar
gument électoral pour le scrutin
présidentiel de novembre 2020.
Il y a juste une difficulté : en ce
moment, l’EI, soidisant « défaite
à presque 100 % », fait sa « ren
trée » et les talibans restent im
battables. Les EtatsUnis sont sur
le point d’annoncer un accord
avec ces derniers, qu’ils combat
tent sans succès depuis plus de
quinze ans. Mais jamais les tali
bans, opérant de leurs bases pa
kistanaises, n’ont été aussi actifs.
Ils multiplient les atrocités contre
la population : 16 morts, 119 bles
sés à Kaboul le 2 septembre (voir
l’article de Ghazal Golshiri dans
Le Monde daté du 4 septembre).
Plus grave, depuis cinq ans, l’EI
s’est bien implanté dans le pays,
avec quelque 3 500 combattants.
Eux aussi tuent et mutilent à plai
sir, y compris à Kaboul (63 morts
miaoût dans une attaque lors
d’un mariage).
La renaissance de l’EI
L’accord entre les EtatsUnis et les
talibans, négocié au Qatar, est
un curieux donnantdonnant. Les
EtatsUnis retireraient l’essentiel
de leur contingent (14 000 hom
mes) et s’engageraient à laisser
les talibans revenir au pouvoir à
Kaboul. Ces derniers garantiraient
qu’aucune organisation djiha
diste ne s’en prendra aux Occiden
taux depuis l’Aghanistan. L’EI a
des appuis dans la branche la plus
dure des talibans, celle qui pour
rait refuser l’accord de Doha : ni
les uns ni les autres n’ont été dé
faits. L’Amérique s’apprête à quit
ter un pays en guerre. Sans avoir
« gagné » ni « perdu »?
Courant juillet, devant ses colla
borateurs, Trump était encore
plus triomphaliste concernant la
Syrie et l’Irak : « On a fait un bou
lot formidable, on a démoli 100 %
du califat [proclamé par l’EI à l’été
2014] et on va rapidement se reti
rer de Syrie. » « On sera dehors d’ici
peu de temps et on les laissera [les
Syriens] se débrouiller tout seuls »,
atil dit, avant d’ajouter : « La Sy
rie peut régler ses propres affaires
avec l’appui de l’Iran et de la Russie
et aussi de la Turquie. Nous [les
EtatsUnis], nous sommes à
10 000 kilomètres de là. » Autre
ment dit, ce n’est pas notre
sphère d’influence.
Sauf que, là aussi, en Syrie
comme en Irak, l’EI connaît une
renaissance, mobilisant entre
15 000 et 18 000 hommes, selon
des rapports officiels des Etats
Unis et des Nations unies publiés
cet été. L’EI mène une gué
rilla de plus en plus active de
part et d’autre de la frontière en
tre les deux pays. L’organisation
a été chassée de « ses » villes,
elle n’a plus le profil d’un
« Etat », elle ne contrôle que des
villages dans le désert, mais elle
reconstitue ses forces.
Indifférent à ce que les Etats
Unis ont pu promettre aux uns et
aux autres dans la lutte contre le
djihadisme (aux Kurdes, notam
ment), Trump aimerait accomplir
ce que Barack Obama avait es
quissé : refermer le moment in
terventionniste américain au
MoyenOrient – ce qui interdit au
président d’aller trop loin dans
son conflit avec l’Iran. Obama sa
vait que sa politique de retrait re
latif et raisonné impliquait de
prendre quelques distances à
l’égard de l’Arabie saoudite et d’Is
raël, les alliés traditionnels de
Washington dans la région, et de
tenter un dialogue avec l’Iran.
Trump en estil capable ?
S
ix semaines ont suffi. Arrivé en fan
fare au pouvoir fin juillet, le flam
boyant Boris Johnson vient d’échouer
lamentablement son examen de passage
devant l’institutionclé de la plus vieille dé
mocratie du monde, le Parlement de West
minster. Dès la rentrée parlementaire,
mardi 3 septembre, il a perdu sa faible majo
rité et, dans la foulée, a été humilié par le
vote d’une motion permettant aux députés
de lui ravir la maîtrise de leur ordre du jour.
Le lendemain, le premier ministre, qui a
juré de sortir de l’Union européenne
« coûte que coûte » le 31 octobre, a essuyé
deux nouveaux revers. Une proposition de
loi approuvée par la Chambre des commu
nes l’oblige à solliciter de l’Union euro
péenne (UE) un report de cette date au
31 janvier 2020 si, comme il est probable,
aucun accord n’est trouvé. Le texte vise à
empêcher M. Johnson de réaliser son des
sein ravageur : un « no deal », ce brutal dé
couplage avec le continent. Les Lords ayant
levé leur obstruction, la loi devrait être
adoptée définitivement dès lundi, compro
mettant la promessephare d’un Brexit à la
fin octobre.
L’impasse est telle que M. Johnson a été
contraint d’annoncer des élections législa
tives anticipées pour le 15 octobre. Nouvel
échec : il n’a pas obtenu la majorité requise
des deux tiers. L’opposition travailliste est
bien décidée à ne pas tomber dans son
piège qui consisterait, une fois le principe
du scrutin avalisé, à oublier le texte exi
geant un report du Brexit ou à reporter le
vote audelà du 31 octobre, une fois le di
vorce consommé avec l’UE. Pour le Labour,
pas question d’accepter des élections tant
que la proposition de loi destinée à éviter
une sortie de l’UE sans accord n’est pas vo
tée et promulguée.
Nouvel épisode cinglant d’une lutte sécu
laire au RoyaumeUni, l’affrontement entre
le premier ministre et les députés porte à
leur paroxysme les tensions générées par
le référendum de 2016 sur le Brexit. En vo
tant pour sortir de l’UE contre l’avis de
Westminster, les Britanniques ont affaibli
la démocratie parlementaire, pierre angu
laire de leurs institutions.
La détermination de Boris Johnson à por
ter l’estocade s’est retournée contre lui. Ni la
décision de suspendre le Parlement ni les
menaces de retirer l’investiture aux députés
conservateurs rebelles n’ont suffi. Au con
traire : il n’a fait que fédérer opposants au
Brexit et élus modérés, outrés par les atta
ques contre le Parlement, dans ce que l’his
torien Simon Schama qualifie d’« étrange
moment révolutionnaire britannique ».
Alors que la démocratie donne de sérieux
signes de faiblesse en d’autres points du
continent européen, il faut se réjouir de
cette résistance de Westminster. La vieille
démocratie britannique n’est pas prête à
céder au diktat d’un Boris Johnson et de
son conseiller Dominic Cummings, l’ap
prenti sorcier du Brexit.
Mais le sursaut bienvenu des députés
masque les périls à venir. La stratégie de
Downing Street consiste désormais à pré
senter les parlementaires comme des traî
tres au Brexit et à les jeter en pâture aux
électeurs. La montée du vocabulaire guer
rier (« reddition », « collaborateurs ») en té
moigne. Le pari de M. Johnson consiste à
gagner les élections en jouant le « peuple
des brexiters » contre les élites de Londres,
qui seraient vendues à l’UE. Une stratégie
risquée, et pas seulement pour le Royau
meUni. Que le populisme gangrène la plus
enracinée des démocraties serait une terri
ble nouvelle pour tout le continent.
L’ACCORD
SUR L’AFGHANISTAN
ENTRE LES ÉTATSUNIS
ET LES TALIBANS
EST UN CURIEUX
DONNANTDONNANT
DANGER
POPULISTE AU
ROYAUMEUNI
INTERNATIONAL|CHRONIQUE
pa r a l a i n f r a c h o n
Retrait de Trump,
retour du djihad?
DONALD TRUMP
AIMERAIT
ACCOMPLIR
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