Le Monde - 06.09.2019

(vip2019) #1

28 |idées VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019


0123


LA  FACE  CACHÉE 
DE  L’ÉCONOMIE. 
NÉOLIBÉRALISME 
ET  CRIMINALITÉS
de Clotilde
Champeyrache
PUF, 302 p., 21 €

Dorian et Donald | par serguei


RENDRE L’ÉCONOMIE CRIMINELLE VISIBLE


LE LIVRE


E


conomiste et spécialiste
des mafias, auxquelles elle
a déjà consacré plusieurs
ouvrages, Clotilde Champeyrache
reprend dans ce livre une syn­
thèse de ses travaux antérieurs,
qui offre au lecteur une descrip­
tion minutieuse des mécanismes
économiques mis en œuvre dans
les différentes configurations


  • incroyablement variées! – des
    activités illégales, bien loin des
    mythologies construites par la
    littérature et le cinéma. Mais
    l’auteure ajoute à cela deux di­
    mensions importantes, qui font
    l’originalité de son travail.
    Tout d’abord, elle tente de cerner
    les frontières de cette économie
    criminelle. Rejetant l’idée, large­
    ment répandue, d’une séparation
    nette entre « économie légale » et
    « économie illégale », elle ajoute à
    la liste des « marchés criminels »

  • c’est­à­dire l’échange de produits
    et services illégaux (drogue, pros­
    titution, contrefaçon, déchets
    dangereux, espèces protégées, mi­
    gration clandestine) – les prati­
    ques illégales effectuées dans le


cadre d’activités légales – corrup­
tion, entente, extorsion, chantage,
expropriation, abus de pouvoir,
fraude, évasion fiscale –, qu’elle ré­
sume sous le terme de « déviance
entrepreneuriale » ; ou encore les
activités légales exercées par les
acteurs de l’économie criminelle


  • blanchiment, entreprises ma­
    fieuses –, qui ne sont en rien un si­
    gne de « rédemption » des crimi­
    nels, mais bien le prolongement
    de leur pouvoir de nuisance.


S’attaquer aux territoires
Ensuite, elle s’interroge sur les
conditions de l’expansion de cette
économie criminelle. S’il a déjà été
souvent montré comment la
croissance et la dérégulation du
commerce mondial, et en particu­
lier des échanges financiers, cou­
plées à l’affaiblissement des Etats,
ont favorisé l’extension des activi­
tés criminelles, l’auteure va plus
loin ici. Elle montre comment le
cadre idéologique – le triomphe
des économistes néolibéraux
vantant l’efficacité des marchés,
l’utilitarisme individuel et l’affai­
blissement de la régulation publi­
que – a désarmé les références

éthiques et juridiques de la lutte
contre la criminalité, au point de
légitimer certaines pratiques illé­
gales ou suspectes en les incluant
dans le PIB des pays, comme la
prostitution ou les jeux en ligne.
Pour l’auteure, lutter contre la
criminalité est indispensable au
maintien de la cohésion sociale et
institutionnelle de nos sociétés.
Mais, pour que cette lutte soit ef­
ficace, elle doit s’appuyer sur les
réalités de son fonctionnement.
Les activités « légales » des crimi­
nels doivent être poursuivies,
tout comme les activités illégales
des « honnêtes gens ».
Il ne suffit pas de saisir des ton­
nes de drogue aux frontières, il
faut s’attaquer aux territoires
d’une économie criminelle qui ne
peut prospérer que parce qu’elle
s’ancre dans des villes, des régions,
des paradis fiscaux, dont elle con­
trôle les acteurs économiques et le
pouvoir politique. Tout comme il
faut en finir avec une approche
abstraite et théorisée du fonction­
nement de l’économie, il faut rom­
pre avec la vision d’une criminalité
omniprésente et insaisissable.
antoine reverchon

L


e projet de loi de finances 2020?
Ce sera celui du pouvoir
d’achat. » Pour qui suit les dé­
bats budgétaires depuis le début du
quinquennat, l’assertion de Lau­
rent Saint­Martin, député La Répu­
blique en marche (LRM) du Val­de­
Marne, a de quoi faire sourire, tant
elle semble reprendre les antiennes
des années précédentes.
Il y a deux ans, le 27 septembre 2017,
Gérald Darmanin, ministre de l’action
et des comptes publics, présentait le
premier budget de l’ère Macron avec à
la main un petit fascicule jaune, inti­
tulé Le Livret du pouvoir d’achat. En
quelques calculs simples, cas types à
l’appui, il se faisait fort d’expliquer
aux Français en quoi les mesures pri­
ses par le nouveau gouvernement al­
laient profiter à leur portefeuille.
Las, la polémique sur le « président
des riches », déclenchée par la sup­
pression de l’impôt de solidarité sur
la fortune (ISF) et l’instauration d’une
« flat tax » sur les revenus du capital,
vint percuter le récit imaginé par
Bercy. Les effets dilués de la suppres­
sion en deux temps des cotisations
chômage et maladie (en janvier puis
en octobre 2018), ajoutés aux angles
morts de mesures mal calibrées –
comme la hausse de la contribution
sociale généralisée (CSG) pour un cer­
tain nombre de retraités modestes,
uniquement parce que le revenu fis­
cal global de leur couple était plus
élevé –, le tout au sortir d’une décen­
nie de hausse de la pression fiscale,
achevèrent de brouiller le message.
Un an plus tard, rebelote : à
l’automne 2018, le gouvernement
vante les 6 milliards de baisses d’im­
pôts pour les ménages que contient le
budget 2019. Mais, mi­novembre,
l’augmentation du prix du carburant
sur fond de hausse de la taxe carbone
fait tout dérailler, et le mouvement
des « gilets jaunes » embrase la France.
La troisième tentative de l’exécutif
pour convaincre les Français qu’il
baisse leurs impôts sera­t­elle la
bonne? A Bercy, cela fait un moment

que l’on ne parle plus de pouvoir
d’achat, on préfère vanter des mesures
pour que « le travail paie ». Et pourtant
c’est peut­être le moment ou jamais.
Outre la baisse de 5 milliards de
l’impôt sur le revenu, le budget 2020
entérinera la poursuite de la revalo­
risation de la prime d’activité et de la
défiscalisation des heures supplé­
mentaires, ainsi que la suppression
du dernier tiers de la taxe d’habita­
tion pour 80 % des foyers... Côté éco­
nomies, le rabot des niches fiscales a
été revu à la baisse, tandis que l’ob­
jectif de suppression de 50 000 pos­
tes de fonctionnaires d’Etat a été
abandonné, compte tenu des annon­
ces du président sur la non­ferme­
ture d’écoles et d’hôpitaux à la suite
du grand débat.
Si bien que ce sont surtout les gran­
des entreprises qui devront davan­
tage mettre la main à la poche l’an
prochain. Quant au déficit public, of­
ficiellement attendu à 2,1 % du pro­
duit intérieur brut (PIB) l’an prochain,
il pourrait être légèrement plus élevé.

Des reculades qui font tiquer
A l’Elysée comme dans la majorité, le
raisonnement est clair : avec des
taux d’intérêt au tapis et un déficit
durablement sous le seuil des 3 %,
les Français n’iront pas leur repro­
cher de ponctionner les entreprises
ou de faire déraper les finances pu­
bliques de quelques dixièmes de
points de PIB supplémentaires. « Il
faut savoir ce que l’on veut : on ne
peut pas nous demander d’être par­
faits sur le déficit et de maintenir des
services publics de proximité. Nous
rendons du pouvoir d’achat aux
Français comme jamais depuis douze
ans, les entreprises créent des em­
plois et investissent. En plus, nous fai­
sons preuve de sérieux budgétaire, en
ne laissant pas filer la dette », souli­
gne M. Saint­Martin, qui sera rap­
porteur du budget en janvier 2020.
A Matignon et au cabinet du minis­
tre de l’économie, Bruno Le Maire,
en revanche, ces reculades font ti­
quer. La dette publique baissera net­
tement moins que prévu : désormais
attendue à 97 % du PIB en 2022, elle
n’aura diminué que de 1,4 point au
cours du quinquennat, contre plus
de 5 points espérés dans la loi de pro­
grammation votée début 2018. De
quoi donner prise aux critiques
outrées de la droite envers un gou­
vernement qui se voulait plus ver­
tueux que ses prédécesseurs.

CHRONIQUE |PAR AUDREY TONNELIER


Budget : les « gilets


jaunes », et après?


À BERCY, CELA FAIT UN 


MOMENT QUE L’ON NE PARLE 


PLUS DE POUVOIR D’ACHAT, 


ET POURTANT C’EST PEUT­


ÊTRE LE MOMENT OU JAMAIS


En finir avec l’élevage intensif,


cet ennemi de l’intérêt général


A l’occasion de la parution de son livre « Quand la faim ne justifie plus
les moyens », l’association de défense des animaux L214, rejointe
par près de 200 signataires du monde culturel, intellectuel, associatif
et de l’entreprise, lance un appel pour exiger une sortie de ce système
de production et pour une végétalisation de l’alimentation

Dans son ouvrage­manifeste paru aux édi­
tions Les Liens qui libèrent (240 pages,
14,80 euros), l’organisation L214 décrit
comment l’être humain a façonné les ani­
maux pour son usage (sélection génétique
accélérant leur croissance, entassement du
bétail dans des bâtiments surpeuplés,
souffrances...) et appelle à dépasser les
« oppositions stériles » entre végans et par­
tisans d’une consommation modérée de
viande. L214 considère qu’un consensus se
dessine pour demander à sortir d’un « mo­
dèle agricole moribond et mortifère ».

N


ous, citoyennes, citoyens, organi­
sations, conscients des enjeux
éthiques, environnementaux, sa­
nitaires et sociaux, ne voulons
plus des élevages intensifs et industriels
qui confinent les animaux dans des bâti­

ments fermés, dans des cages, dans des
bassins en béton, les forçant à vivre dans
des conditions de promiscuité extrêmes.
Nous ne voulons plus d’élevages inten­
sifs non respectueux de l’environne­
ment, fortement émetteurs de gaz à effet
de serre, producteurs d’algues vertes et
de pluies acides.
Nous ne voulons plus d’élevages inten­
sifs destructeurs de la biodiversité, ac­
teurs de la déforestation.
Nous ne voulons plus de ce système,
soutenu par l’argent public, ennemi de
l’intérêt général. Un système qui impose
des conditions de travail éprouvantes,
aliénantes et risquées, où les agriculteurs
se suicident davantage que dans toute
autre catégorie socioprofessionnelle.
Nous ne voulons plus des élevages in­
tensifs qui favorisent l’antibiorésistance

et l’émergence de nouveaux agents pa­
thogènes extrêmement dangereux.
Nous ne voulons plus d’un système
spéculatif créant des déséquilibres so­
ciaux et économiques dans de nom­
breuses régions du monde.
Nous ne voulons plus d’un modèle ali­
mentaire fortement carné et lacté qui
sous­tend ces modes de production et
qui met en danger notre santé.
Elus, responsables politiques, nous
n’en pouvons plus, au mieux de votre
immobilisme, au pire – et plus souvent –
de votre soutien actif au lobby de l’éle­
vage intensif.
L’urgence éthique, climatique, envi­
ronnementale, sanitaire et sociale im­
pose d’engager notre pays dans une
transition agricole et alimentaire : nous
devons nous diriger rapidement vers
une consommation essentiellement vé­
gétale, durable, saine, respectueuse de
l’environnement, des animaux et des
humains.
Aujourd’hui nous voulons des actes,
des mesures fortes et concrètes pour
sortir de l’impasse. Nous exigeons : un
moratoire immédiat sur l’élevage inten­
sif et l’interdiction de nouvelles cons­
tructions destinées à élever des animaux
sans accès au plein air ; un plan concret
de sortie de l’élevage intensif, avec ac­
compagnement des personnes qui en
dépendent aujourd’hui vers des produc­
tions alternatives ; une végétalisation
d’ampleur de l’alimentation en restaura­
tion collective publique ou privée.
Elus, responsables politiques, serez­
vous au rendez­vous ?

SONT NOTAMMENT
SIGNATAIRES
DE CETTE TRIBUNE

Isabelle Adjani, actrice ; Aurélien
Barrau, astrophysicien ; Stéphane
Bern, présentateur ; Allain Bougrain-
Dubourg, journaliste et président de
la Ligue pour la protection des oiseaux ;
Florence Burgat, philosophe ; Belinda
Cannone, romancière ; Jérémie
Carroy, créateur et directeur de
« La Relève et la peste » ; Yves Cochet,
ancien ministre de l’environnement,
président de l’Institut Momentum ; Cyril
Dion, auteur, réalisateur, poète, militant
écologiste ; Arielle Dombasle,
actrice et chanteuse ; Annie Ernaux,
femme de lettres ; David Foenkinos,
écrivain ; Dalibor Frioux, écrivain et
consultant ; Franz-Olivier Giesbert,
journaliste et écrivain ; Arno Klarsfeld,
avocat et écrivain ; Mélanie Laurent,
actrice et réalisatrice ; Frédéric Lenoir,
philosophe et écrivain ; Guillaume
Meurice, chroniqueur et humoriste ;
Amélie Nothomb, écrivaine ; Michel
Onfray, philosophe et essayiste ;
Corine Pelluchon, philosophe ;
Riss, directeur de la publication de
« Charlie Hebdo » ; Olivia Rosenthal,
écrivaine ; Véronique Sanson,
chanteuse, pianiste, auteure-compo-
sitrice-interprète ; Pablo Servigne,
chercheur ; Jacques Tardi, auteur-
illustrateur de bandes dessinées ;
Lambert Wilson, acteur.
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des signataires sur Lemonde.fr

AUJOURD’HUI,


NOUS VOULONS


DES ACTES, DES


MESURES FORTES


ET CONCRÈTES


POUR SORTIR


DE L’IMPASSE

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