Le Monde - 06.09.2019

(vip2019) #1
0123
VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 international| 3

Bruxelles envisage le pire, faute


d’une relance des négociations


Les Vingt­Sept n’ont reçu aucune proposition, tandis que Johnson
se targue d’« importants progrès » dans les négociations avec l’UE

bruxelles ­ bureau européen

F


ace à l’offensive des élus
britanniques opposés à une
sortie de l’UE sans accord,
Boris Johnson a assuré, mercredi
4 septembre à Londres, faire
d’« importants progrès » dans les
négociations avec l’Union. A
Bruxelles, le son de cloche est tout
autre. Le Royaume­Uni n’a, pour
l’heure, fait « aucune proposition
concrète » pour sortir de l’impasse,
a commenté ce même jour Mina
Andreeva, la porte­parole de la
Commission européenne.
Cette impasse porte le nom de
« filet de sécurité », ou « backstop »,
que prévoit l’accord sur le Brexit
afin d’éviter le retour d’une fron­
tière entre l’Irlande du Nord, qui
fait partie du Royaume­Uni, et la
République d’Irlande, membre de
l’UE. Cette disposition respecte les
accords du Vendredi saint qui ont
ramené la paix en Irlande du Nord,
mais maintient le Royaume­Uni
dans l’union douanière, ce dont le
nouveau premier ministre conser­
vateur ne veut pas entendre parler.
La Commission a rappelé que
c’était au Royaume­Uni de propo­
ser une solution alternative, et que
celle­ci devrait respecter les ac­
cords de paix en Irlande et pré­
server le marché unique. David
Frost, le sherpa de Boris Johnson
sur les affaires européennes, est
arrivé mercredi à Bruxelles pour
des entretiens à huis clos, au ni­
veau technique. « Ils vont peut­être
trouver une solution à laquelle
nous n’avions pas pensé », ironise
un bon connaisseur du dossier.
Alors que le Royaume­Uni s’en­
fonce dans une crise politique
sans précédent et que Boris John­
son subit défaite sur défaite au
Parlement britannique, l’exécutif
européen se prépare au pire. « Le

huit semaines de la date butoir.
D’ailleurs, a­t­elle rappelé, le
Royaume­Uni a plus à perdre que
les Vingt­Sept : un divorce sans
accord « aura de graves répercus­
sions économiques qui seront
proportionnellement bien plus
importantes au Royaume­Uni que
dans les Etats membres ».
Et si le Brexit était assimilable à
une catastrophe naturelle ou à un
dommage collatéral de la mondia­
lisation? La Commission a en tout
cas annoncé, mercredi, qu’elle
aurait recours, pour accompagner
les pays qui seraient le plus tou­
chés par un retrait sans accord du
Royaume­Uni, au fonds de soli­
darité de l’UE (à hauteur de
600 millions d’euros) et au fonds
d’ajustement à la mondialisation
(180 millions). Le premier est, en
temps normal, réservé aux Etats
victimes d’inondations ou d’oura­
gans. Le second sert « à aider les
travailleurs » qui sont « licenciés
quand leur entreprise fait faillite »,
a rappelé Mme Andreeva.
Et il n’est pas question que les
Britanniques bénéficient des
780 millions d’euros qui seront
mobilisables – si le Conseil et le
Parlement entérinent la proposi­
tion de la Commission – pour pan­
ser les plaies que leur décision
de quitter le navire européen
infligera à leurs partenaires. Ils
« n’auront pas accès à cet argent »,
précise­t­on à la Commission, où
l’on rappelle que d’autres fonds,
comme ceux de l’agriculture ou de
la pêche, pourraient également
être utilisés pour accompagner les
Vingt­sept dans cette épreuve.
virginie malingre

Cet article est le premier
de Virginie Malingre en tant
que correspondante au
bureau européen à Bruxelles

En embuscade, Nigel Farage se prépare aux élections


Le tribun d’extrême droite, chef du Parti du Brexit, dénonce « le spectacle donné par le Parlement à Londres »


REPORTAGE
doncaster (royaume­uni) ­
envoyée spéciale

L


a pinte de bière est à 5 livres
(5,50 euros), comme l’as­
siette de chili con carne. On
peut aussi acheter le tee­shirt bleu
ciel et blanc du Parti du Brexit (BP),
et Denise – « un prénom français,
s’amuse­t­elle, vous voyez qu’on
n’a rien contre l’Europe » – l’arbore
fièrement sous sa veste. Autour
d’elle, ils sont peut­être 600 « ordi­
nary people », comme chacun le
répète, à attendre Nigel Farage, ce
mercredi 4 septembre. Beaucoup
de cheveux gris, un militaire avec
ses décorations, des couples qui se
tiennent par le bras... On se croi­
rait dans un de ces meetings du
Rassemblement national, dans le
Nord­Pas­de­Calais : mêmes visa­
ges et mêmes mots dans cette An­
gleterre périphérique si semblable
à la France périphérique.
Denise n’a vu le leader du BP que
sur YouTube et à la télévision,
mais dans son salon de toilettage
pour chien, la plupart de ses
clients ont voté il y a trois ans pour
la sortie de l’Union européenne.
A Doncaster (Yorkshire), dans le
nord de l’Angleterre, le oui au
Brexit avait même frôlé les 70 %.
C’est dire si la campagne menée

alors parallèlement par Nigel Fa­
rage et Boris Johnson avait séduit
cette ancienne cité minière de
110 000 habitants devenue ville
du tertiaire, avec ses jobs de ser­
vice et son nœud autoroutier.
Aujourd’hui que le Brexit n’est
toujours pas effectif, Denise n’en­
tend parler autour d’elle que de
« Farage », parce que « de tous les
politiciens, il est le seul à vouloir
respecter cette chose simple : quit­
ter l’UE veut dire quitter l’UE ».
Assis derrière elle, Michaël et Da­
nuta ne disent pas autre chose.
Bien sûr, reconnaît ce couple dont
les parents polonais s’étaient
installés dans les années 1950 à
Doncaster pour travailler dans les
mines de charbon, « Boris est déjà
mieux que Theresa May »... Eux­
mêmes ont voté – « il y a long­
temps » – pour les conservateurs,
et le premier ministre Boris John­
son leur semble de bonne volonté.

Enfin séparé
Mais dans cette circonscription
tenue par le travailliste Ed Mili­
band, la plupart des gens autour
d’eux considèrent que « la seule
vraie alternative au Labour, ce ne
sont plus les conservateurs, c’est le
Parti du Brexit ». Ils rêvent d’un
Royaume­Uni enfin séparé du
continent, sans craindre le Brexit

sans accord qui effraie la majorité
des députés à Westminster.
Sur la scène, dans l’une des gran­
des salles de cet hippodrome où a
lieu le meeting de Nigel Farage, le
responsable local du BP présente
les candidats aux prochaines lé­
gislatives : une jeune blonde pim­
pante, un quinquagénaire d’ori­
gine indienne venu du Labour et
une jeune artiste noire. Ils ne res­
semblent en rien à leurs électeurs,
mais il s’agit ici de battre la gauche,
et le leader local assure qu’ils sont
aussi là « pour changer l’image » du
BP, fondé pour les élections euro­
péennes de mai par M. Farage
après qu’il a quitté le parti d’ex­
trême droite UKIP, accusé d’être
« raciste » et « tourné vers le passé ».
Quand le scrutin aura­t­il lieu?
Personne n’en sait rien, puisque à

Londres « c’est un bordel sans fin »,
souffle un vieil homme, et que les
députés ont refusé l’après­midi
même le retour aux urnes réclamé
par Boris Johnson. Qu’importe :
le Parti du Brexit a fait distribuer
des centaines de pancartes qui
proclament déjà « Je suis prêt ». Et
c’est cette forêt de « I’m ready » qui
accueille la star de la soirée.

« Siphonner des voix »
Costume gris et large sourire,
Nigel Farage n’a pas changé depuis
cette campagne référendaire dont
il fut, avec Boris Johnson, le héraut
victorieux. Il a toujours ce verbe
haut et cette façon de résumer en
une formule les peurs et les colè­
res de ses électeurs. « J’étais tout à
l’heure avec des gens ordinaires
comme vous, et ils étaient dégoûtés
du spectacle donné par le Par­
lement à Londres », dit­il, connais­
sant la détestation de son public
pour la capitale et les politiciens.


  • Theresa May...

  • Hou, hou! hue la foule.

  • ... n’a pas seulement été la plus
    mauvaise première ministre. Elle a
    été aussi la plus malhonnête! »
    Les rangs se soulèvent d’indi­
    gnation comme sous l’effet d’une
    houle. Mais l’orateur calme ses ef­
    fets d’un geste : « Boris est plus
    honnête... Mais qui croit en Boris? »


Il a dit cela d’un air à la fois mena­
çant et gourmand. C’est que le ré­
sultat d’une éventuelle élection lé­
gislative se jouerait aujourd’hui
entre Boris Johnson et Nigel Fa­
rage, bien plus qu’avec le leader du
Parti travailliste Jeremy Corbyn.
Non pas que Nigel Farage ait la
moindre chance de devenir pre­
mier ministre – il oscille entre 12 %
et 14 % dans les sondages – « mais
parce qu’il peut siphonner une par­
tie des voix des tories et a donc la
capacité de faire perdre Boris John­
son », analyse John Curtice, polità
l’université de Strathclyde.
Le leader du Parti du Brexit
n’ignore rien de la puissance que
la situation lui offrirait si un scru­
tin avait lieu. « Si Boris est déter­
miné à faire un Brexit clair et net


  • et déjà, il a viré les vingt et un dé­
    putés qui avaient peur, c’est un bon
    début –, alors nous ferons passer
    l’intérêt du pays avant celui du
    parti », explique­t­il. Il ne dit pas si,
    en cas de législatives, il retirerait
    alors ses candidats ou s’il aide­
    rait d’une quelconque façon les
    conservateurs version Boris John­
    son. Sa voix enfle alors : « Si Boris
    n’est pas prêt à ce Brexit sans appel,
    alors nous ferons battre les Remai­
    ners [partisans du maintien dans
    l’UE] et leurs complices! »
    raphaëlle bacqué


LA COMMISSION


A INDIQUÉ QUE DES 


PAYS TRÈS IMPACTÉS 


PAR UN BREXIT 


SANS ACCORD 


POURRAIENT 


BÉNÉFICIER DE FONDS 


DE SOLIDARITÉ


« FARAGE EST LE SEUL 


À VOULOIR RESPECTER 


UNE CHOSE SIMPLE : 


QUITTER L’UE VEUT 


DIRE QUITTER L’UE »
DENISE
sympathisante
du Parti du Brexit

peu de temps qui reste et la situa­
tion politique au Royaume­Uni ont
accru le risque que le Royaume­Uni
se retire sans accord » de l’Union, a
souligné la Commission mercredi.
En d’autres termes, elle juge de
moins en moins probable que
Londres ratifie d’ici au 31 octobre
l’accord de retrait qui a été négocié
durant des mois entre son négo­
ciateur en chef, Michel Barnier, et
l’ancienne première ministre bri­
tannique, Theresa May.

« Dans son rôle »
Dans ce contexte, la Commission
invite les Européens à ne surtout
« pas tabler sur l’hypothèse qu’une
troisième prolongation [du délai
pour réaliser le Brexit] sera de­
mandée par le Royaume­Uni et ac­
cordée par le Conseil européen ». Et
à se préparer au « no deal », en dé­
pit de la motion adoptée par les dé­
putés de Westminster enjoignant
à M. Johnson de demander un re­
port. « La Commission a raison, elle
est dans son rôle. Le “no deal” peut
advenir le 31 octobre. Même si un
report n’est pas non plus exclu »,
commente un diplomate.
La Commission ne veut en
aucun cas laisser penser à Lon­
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