Le Monde - 06.09.2019

(vip2019) #1

4 |international VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019


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En Italie, la revanche surprise du Parti démocrate


Le chef du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio, désormais allié à la gauche, devient chef de la diplomatie


rome ­ correspondant

L


a crise gouvernementale
la plus folle de l’histoire
italienne s’est achevée
paisiblement, mercredi
4 septembre, dans une séré­
nité tranchant avec la frénésie
des dernières semaines. En début
d’après­midi, le président du
conseil sortant, Giuseppe Conte,
s’est rendu au palais du Quirinal
pour y rencontrer le président de
la République, Sergio Mattarella.
Il lui a indiqué être parvenu à for­
mer un gouvernement d’alliance
entre la gauche et le Mouvement
5 étoiles (M5S, « antisystème »), et
entendait donc, selon la formule
consacrée, lever les « réserves »
avec lesquelles il avait accepté sa
désignation, jeudi 29 août. Puis il
s’est rendu devant les journalis­
tes, afin de lire la composition du
66 e gouvernement de l’histoire de
la République, qui devait prêter
serment jeudi matin, à 10 heures.
Un an et trois mois après
« Conte I », place donc à un
« Conte II », qui n’aura presque
rien à voir, hormis le nom, avec
son devancier. En effet, parmi les
vingt et un ministres désignés par
le président du Conseil, à l’excep­
tion du chef du gouvernement
lui­même, seuls quatre figuraient
déjà dans le précédent exécutif. Et
ils ne sont que deux, le ministre
de la justice, Alfonso Bonafede, et
le ministre de l’environnement,
Sergio Costa, à rester à leur place.
Le chef politique du M5S, Luigi Di
Maio, peut bien insister depuis
des jours sur la « continuité » entre
les deux exécutifs, « Conte II »
ressemble à « Conte I » comme ces
immeubles historiques dont on
ne conserve que la façade pour
mieux en bouleverser l’intérieur
de fond en comble.
Première nouveauté, le prési­
dent du conseil, Giuseppe Conte,
qui sort renforcé de la crise, ne
sera plus entouré de deux nu­
méros deux, représentant les
composantes de la coalition de
gouvernement. Le chef de la Li­
gue (extrême droite) Matteo Sal­
vini est relégué dans l’opposition
après avoir torpillé début août

son alliance avec le Mouvement
5 étoiles. Quant à Luigi Di Maio,
il a consenti à renoncer à son titre
de vice­premier ministre après
avoir tout fait pour le conserver.

Strict équilibre
Cependant, le premier ministre
sera tout de même flanqué d’un
proche du chef politique des
« 5 étoiles » : Riccardo Fraccaro,
ancien ministre des relations avec
le Parlement, à qui sera confiée la
fonction capitale de sous­secré­
taire à la présidence du conseil. Au
palais Chigi, il sera les yeux et les
oreilles de Luigi Di Maio, qui sup­
porte de moins en moins la popu­
larité et l’autonomie croissante
dont fait preuve Giuseppe Conte
depuis la rupture avec l’ex­minis­
tre de l’intérieur Matteo Salvini.

Pour le reste, le gouvernement
respecte un strict équilibre entre
ses deux composantes : dix mi­
nistres pour les « 5 étoiles », dix
pour le centre gauche – neuf pour
le Parti démocrate (PD), et le
ministère de la santé à Roberto
Speranza, qui sera l’unique re­
présentant de Libres et égaux,
une formation fondée par des
dissidents du PD.
Dans le même temps, les profils
« techniques » se font rares. Le
nouveau gouvernement comp­
tera une seule ministre ne venant
pas du monde politique, mais
pas n’importe laquelle : l’avocate
et ancienne préfète de Milan,
Luciana Lamorgese, aura la lourde
tâche de succéder à Matteo Salvini
à l’intérieur, avec pour mission de
dépassionner et de « dépolitiser »
un ministère qui vivait, depuis
quatorze mois, au rythme de la
campagne électorale permanente
de son dirigeant. Sa mission s’an­
nonce particulièrement délicate :
la remise à plat de deux décrets
sur la sécurité, édictés par le chef
de la Ligue, risque d’être l’un des
premiers sujets de discorde dans
les prochaines semaines entre les
deux forces de la coalition.
Du côté des « 5 étoiles », Luigi Di
Maio quitte le ministère du travail
et du développement économi­
que pour rejoindre la prestigieuse
Farnesina, siège du ministère des
affaires étrangères. Pour l’ancien

vice­premier ministre, qui reste le
chef de la délégation du M5S au
gouvernement, c’est mieux qu’un
lot de consolation. Mais dans le
même temps, cette nomination
aura pour effet de l’éloigner des
dossiers économiques et sociaux,
cœur des revendications du mou­
vement, tout en lui confiant la
charge des questions diplomati­
ques, sur lesquelles il n’a pas
particulièrement brillé par le
passé – et qui, d’ailleurs, sont loin
d’être des priorités pour le M5S.
Six mois à peine après sa ren­
contre retentissante, en banlieue
parisienne, avec des représen­
tants des « gilets jaunes », qui avait
provoqué une crise inédite entre
la France et l’Italie, M. Di Maio
n’aura pas les mains libres sur les
dossiers européens : ceux­ci ont
été confiés au très proeuropéen
Enzo Amendola (PD).
D’autres acteurs importants du
premier gouvernement Conte,

côté « 5 étoiles », ont été renvoyés
sans ménagements : ainsi de
Giulia Grillo, ex­ministre de la
santé, très critiquée pour ses posi­
tions ambiguës sur la question de
la vaccination obligatoire, ou du
ministre des transports et des
infrastructures, Danilo Toninelli,
qui était devenu le symbole de
l’opposition du M5S au chantier
du tunnel ferroviaire Lyon­Turin
et, par extension, à l’ensemble des
grands travaux.

Discussion budgétaire périlleuse
Parmi les nouveaux ministres is­
sus de la gauche, le seul véritable
ténor à avoir accepté de tenter
l’aventure est Dario Franceschini,
partisan de longue date du dialo­
gue avec les « 5 étoiles », qui a été
intronisé comme le chef de la dé­
légation du PD au sein du gouver­
nement. Il retrouvera son poste
de ministre des biens culturels, à
peine plus d’un an après l’avoir
laissé à Alberto Bonisoli (M5S),
qui quitte l’exécutif. Il récupère
même dans l’opération le porte­
feuille du tourisme, qui avait été
détaché de son ministère pour
être rattaché à l’agriculture par le
gouvernement précédent.
L’ancien premier ministre Mat­
teo Renzi – qui a eu le premier,
après la rupture de Matteo Salvini
avec le M5S, l’idée de proposer
une alliance aux « 5 étoiles » en dé­
pit des résistances de l’actuelle di­

rection du Parti démocrate – avait
fait savoir, dès les premiers jours
de la crise, qu’il n’entrerait pas
dans le futur exécutif. Ses proches
les plus exposés sont eux aussi
restés à l’écart, mais plusieurs
de ses partisans, comme Teresa
Bellanova (politiques agricoles) et
Lorenzo Guerini (défense) feront
leur entrée au gouvernement.
Cependant, l’arrivée la plus im­
portante est peut­être celle du dé­
puté européen Roberto Gualtieri
(PD), qui remplacera Giovanni
Tria au ministère de l’économie,
mettant un terme à une longue
succession, depuis 2011, de « tech­
niciens » ou banquiers à ce poste.
A la veille d’une discussion budgé­
taire qui s’annonce très complexe
et périlleuse, ce fin connaisseur
des arcanes européens, très ap­
précié à Bruxelles, aura la lourde
tâche de tenter de desserrer la
contrainte budgétaire sur l’Italie,
pour empêcher l’augmentation
de la TVA et permettre la mise en
œuvre d’un ambitieux plan d’in­
vestissement. C’est sur ce dossier


  • ainsi que sur la question migra­
    toire – que le gouvernement
    Conte II, né dans les conditions les
    plus improbables, joue son avenir.
    Le vote de confiance des
    deux chambres, ultime étape de
    la naissance du nouveau gouver­
    nement, devrait avoir lieu en
    début de semaine prochaine.
    jérôme gautheret


Giuseppe Conte au palais du Quirinal, à Rome, le 4 septembre. ALESSANDRO DI MEO/AP

la première fois, fin mai 2018, il était
venu en taxi, comme pour signifier que le
chef de ce gouvernement d’un genre nou­
veau arrivait au pouvoir dans la peau d’un
citoyen comme les autres. Il paraissait em­
prunté, écrasé par la majesté du palais du
Quirinal et l’importance de ses nouvelles
fonctions. Mais le temps des commence­
ments est bien fini. Mercredi, Giuseppe
Conte s’est présenté à la présidence de la Ré­
publique en voiture officielle, avec l’assu­
rance d’un vieux routier de la politique.
Devant la presse, il a énoncé la composi­
tion du deuxième gouvernement Conte.
Un exécutif aux antipodes du précédent,
qui mènera sur de nombreux sujets une
politique opposée à celle conduite par l’Ita­
lie jusqu’au coup de force de Matteo Sal­
vini, le 8 août, qui a sonné la fin de l’al­
liance entre le Mouvement 5 étoiles (« anti­
système ») et la Ligue (extrême droite).
Giuseppe Conte a effectué l’exercice avec
une certaine aisance, comme si cela allait
de soi. Ce faisant, il montrait la longueur du
chemin parcouru en un an, en même temps
qu’une souplesse politique peu commune.

Au printemps 2018, Giuseppe Conte était
un parfait inconnu, un professeur de droit
de 53 ans originaire des environs de Foggia
(Pouilles), proche du M5S mais « apoli­
tique ». Sa mission première était de faire
respecter le contrat de gouvernement en­
tre le M5S et la Ligue, dont il n’était que le
garant, et les deux vice­premiers minis­
tres, Luigi Di Maio et Matteo Salvini,
l’avaient choisi en raison de son absence
de poids politique. Pendant quatorze
mois, ils n’ont pas manqué une occasion
de lui rappeler que s’il était premier minis­
tre, il ne fallait surtout pas qu’il se prenne
pour le chef du gouvernement.

Violent réquisitoire
Malgré tout, M. Conte s’est acquitté du
mieux qu’il pouvait de cette tâche inédite,
usant de ses talents de conciliateur pour
maintenir tant bien que mal un attelage
disparate et déséquilibré. Le 3 juin, las des
querelles incessantes entre les deux com­
posantes de son gouvernement et des pro­
vocations de Matteo Salvini, il avait même
menacé de démissionner. Aussi, lorsque le

chef de la Ligue a décidé de rompre, le
8 août, pour provoquer des élections antici­
pées, il n’imaginait pas que Giuseppe Conte
serait un obstacle. Las, celui­ci a refusé d’ob­
tempérer, faisant dérailler en quelques
heures le plan du chef politique de la Ligue.
Plutôt que de se démettre sans ciller,
Giuseppe Conte est allé défendre son bilan
devant le Sénat, le 20 août, avant de remet­
tre sa démission, et il s’est livré dans l’hé­
micycle à un violent réquisitoire contre
son numéro deux, assis à quelques centi­
mètres de lui. Dans le même temps, il pe­
sait de tout son poids institutionnel pour
faciliter un accord entre le M5S et le Parti
démocrate (centre gauche), au point de
faire de l’ombre au chef politique des Cinq
étoiles, Luigi Di Maio, dont il parviendra à
vaincre les réticences.
Comme métamorphosé par les consé­
quences de son coup d’éclat, M. Conte parle
et agit désormais comme un président du
conseil. On en oublierait presque qu’il n’a
jamais été élu, et même qu’il ne s’est jamais
présenté à la moindre élection.
j. g.

Après son coup d’éclat, la métamorphose de Giuseppe Conte


Des membres
importants
du premier
gouvernement
Conte, côté M5S,
ont été renvoyés
sans ménagement

LE  PROFIL


Roberto Gualtieri
Président de la commission
des affaires économiques au Par-
lement européen depuis 2014,
Roberto Gualtieri (Parti démo-
crate, centre gauche) né à Rome
en 1966, aura une tâche délicate
à la tête du ministère italien de
l’économie. Il devra négocier
avec les instances de l’UE afin
de desserrer la contrainte budgé-
taire sur l’Italie pour redresser
un pays au bord de la récession,
tout en évitant le dérapage de
la dette publique (132 % du PIB).
Décrit par des sources européen-
nes comme un économiste
sérieux et un redoutable juriste,
un homme calme et raisonnable,
le quinquagénaire très apprécié
de Bruxelles doit empêcher l’aug-
mentation de la TVA et permettre
la mise en œuvre d’un ambitieux
plan d’investissement.

Les marchés saluent le nouvel exécutif


L’annonce d’un nouveau gouvernement italien, pro-européen,
alliant le Parti démocrate (PD, centre gauche) et le Mouvement
5 étoiles (« antisystème »), a été saluée par les marchés finan-
ciers. Mercredi 4 septembre, à la mi-journée, le « spread » – écart
entre le taux d’intérêt de la dette souveraine italienne à dix ans
et celui de l’Allemagne – reculait nettement, à 146 points,
contre 158 points la veille. Le spread, mesure de l’angoisse
des investisseurs, avait déjà reculé ces derniers jours, après avoir
atteint un pic en octobre 2018, à 333 points.
Selon des projections des analystes, la nouvelle coalition
gouvernementale disposerait de 167 élus au Sénat (sur 315)
et de 347 à la Chambre (sur 630), soit la majorité absolue
dans chaque assemblée.

Chaque
dimanche
16H-17H

Aurélie
Luneau

L’esprit
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