Le Monde - 06.09.2019

(vip2019) #1
0123
VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 international| 5

Nucléaire : Washington


et Téhéran multiplient


les gestes de défiance


L’Iran, cible de nouvelles sanctions, dit
abandonner « tous les engagements » de 2015

washington ­ correspondant

L’


initiative française sur
l’Iran lancée au sommet
du G7 à Biarritz a­t­elle
déjà atteint ses limites?
Washington et Téhéran ont en
tout cas multiplié, mercredi
4 septembre, les annonces qui ré­
duisent les marges de manœuvre
de la diplomatie. Washington a
campé sur la ligne de « pression
maximale » adoptée depuis la
sortie unilatérale des Etats­Unis
de l’accord de 2015 sur le nu­
cléaire iranien, en mai 2018, en
annonçant de nouvelles sanc­
tions contre « 16 entités », « 10 in­
dividus » et « 11 bateaux ».
Ils seraient, selon le départe­
ment d’Etat, à l’origine d’une « fi­
lière » de transport maritime ac­
cusée de vendre illégalement du
pétrole, « pour le bénéfice du bru­
tal régime Assad » (le président sy­
rien), à la milice libanaise du Hez­
bollah, liée à l’Iran, et à d’autres
« acteurs terroristes ».
Un peu plus tard dans la jour­
née, le président iranien, Hassan
Rohani, a annoncé de son côté
que Téhéran allait prendre « tou­
tes mesures nécessaires en ma­
tière de recherche et de développe­
ment » dans le domaine nu­
cléaire, « et abandonner tous les
engagements » pris dans le cadre
de l’accord de 2015. Il l’avait pro­
mis au début de l’été en cas d’ab­
sence de progrès dans les démar­
ches entreprises par les autres
pays signataires, dont les Euro­
péens, pour parvenir à un com­
promis avec Washington.
L’Iran a déjà augmenté en juillet
son stock d’uranium enrichi au­
dessus du seuil autorisé, et repris
l’enrichissement à 4,5 % au lieu
de 3,67 %, le maximum prévu par
l’accord de Vienne de juillet 2015.
Le feu vert donné mercredi com­
prend les centrifugeuses qui per­
mettent d’enrichir l’uranium à
20 %. « Cela est clairement un
mauvais signal », soulignent les
autorités françaises, qui n’aban­
donnent pas leur initiative pour
parvenir à une désescalade.
Avant cette annonce, le repré­
sentant spécial américain pour
l’Iran, Brian Hook, avait assuré
que les Etats­Unis n’entendaient
pas changer de ligne. Les nouvel­
les sanctions en attesteraient.
« Nous avons pris des sanctions
hier [contre le programme spatial
iranien]. Nous avons pris des sanc­
tions vendredi. Nous avons pris
des sanctions aujourd’hui. Il y
aura plus de sanctions à venir.
Nous ne pouvons pas dire plus clai­
rement que nous sommes engagés
dans cette campagne de pression
maximale, et nous ne cherchons
pas à accorder des exceptions ou
des dérogations », a­t­il précisé.
« Nous avons expliqué très claire­
ment qu’après avoir terminé avec
les exemptions [permettant
l’achat de pétrole iranien], il n’y en
aurait plus », a ajouté le diplo­
mate. Interrogé sur l’éventualité,
poussée par Paris, de l’octroi à Té­
héran d’une ligne de crédit qui
pourrait porter sur 15 milliards de
dollars (13,6 milliards d’euros) et
qui serait adossée à des ventes de
pétrole, pour accompagner la re­
prise de négociations, Brian Hook
s’est montré évasif.

« Nous n’avons aucune idée s’il y
en aura une. Il n’y a pas de propo­
sition [officielle] et nous n’allons
donc pas commenter quelque
chose qui n’existe pas », a­t­il ré­
pondu. Brian Hook a rappelé
que des négociations avec Téhé­
ran devraient reprendre sur la
base des conditions formulées
en juin 2018 par le secrétaire
d’Etat, Mike Pompeo. Elles sont
jugées inacceptables par les auto­
rités iraniennes.
Dans le bureau Ovale de la Mai­
son Blanche, Donald Trump a
également écarté, mercredi, l’hy­
pothèse d’une levée de sanc­
tions. « Cela n’arrivera pas », a­t­il
dit alors que Téhéran en fait le
préalable d’une reprise de discus­
sions. Le président des Etats­Unis
a répété une nouvelle fois que se­
lon lui « l’Iran a changé » sous l’ef­
fet de la pression américaine.

« Enorme potentiel »
Le président des Etats­Unis évo­
que régulièrement la possibilité
d’un « marché » avec un pays
dont il a encore une fois loué
« l’énorme potentiel » économi­
que mercredi, avec les termes
qu’il utilise pour caractériser la
Corée du Nord. « Ils veulent par­
ler, ils veulent un marché », a­t­il
répété, refusant d’écarter la pers­
pective d’une rencontre avec son
homologue iranien, lors de l’As­
semblée générale des Nations
unies, fin septembre. « Tout est
possible », a­t­il lancé alors même
que le président iranien exclut
une telle hypothèse.
L’administration américaine, à
commencer par le conseiller à
la sécurité nationale, John Bol­
ton, et son secrétaire d’Etat, tien­
nent invariablement des pro­
pos beaucoup moins optimistes,
qui justifient la nécessité de la
ligne dure.
Cette dernière a été illustrée par
la révélation, par le Financial Ti­
mes, d’une démarche inhabi­
tuelle de la part d’un diplomate
de haut rang comme Brian Hook,
confirmée ultérieurement par le
département d’Etat. Le représen­
tant spécial pour l’Iran a en effet
essayé de soudoyer le capitaine
d’un pétrolier suspecté d’ache­
miner du pétrole iranien vers la
Syrie, et que Washington avait
tenté sans succès de bloquer.
« Je suis Brian Hook », « je tra­
vaille pour le secrétaire d’Etat
Mike Pompeo en tant que repré­
sentant des Etats­Unis pour
l’Iran » et « je suis porteur de bon­
nes nouvelles », a­t­il indiqué
dans un courrier électronique
envoyé au capitaine indien du
tanker, dévoilé par le quoti­
dien des affaires britannique. Le
diplomate promettait en effet
une somme conséquente, esti­
mée à plusieurs millions de dol­
lars, pour diriger le navire vers un
port où les Etats­Unis pourraient
l’immobiliser.
Coïncidence? Le même Brian
Hook a annoncé mercredi matin
qu’une récompense de 15 mil­
lions de dollars serait versée à
toute personne susceptible de li­
vrer des informations sur les fi­
lières pétrolières liées, selon
Washington, au corps des gar­
diens de la révolution iraniens.
gilles paris

A Hongkong, « trop peu, trop


tard » pour apaiser la colère


Le retrait du projet de loi sur les extraditions ne satisfait pas les manifestants


hongkong ­ correspondance

L’


effet de soulagement
n’aura été que de
courte durée, mer­
credi 4 septembre en
fin de journée, après que la chef
de l’exécutif de Hongkong, Car­
rie Lam, a annoncé le retrait du
projet de loi d’extradition qui a
plongé le territoire dans une
grave crise politique durant tout
l’été. Dans les heures qui ont
suivi, plusieurs participants au
mouvement de contestation ont
exprimé leur frustration face
aux propositions de Carrie Lam.
Et affirmé leur intention de con­
tinuer leur combat.
« Nous n’avons même pas besoin
de changer nos slogans, nous di­
sions déjà : répondez à nos cinq re­
vendications, pas une de moins.
Aujourd’hui, le gouvernement a
répondu à l’une des cinq, il en reste
donc quatre », a déclaré une porte­
parole des contestataires, au
cours d’une conférence de presse
improvisée à la nuit tombée.
« Miss Chan », de son nom de
guerre, coiffée d’un casque de cy­
cliste et le visage masqué jus­
qu’aux yeux, a estimé que les so­
lutions apportées par Carrie Lam
revenaient à « soigner la gangrène
avec un sparadrap ». « Ce qui
n’était au départ qu’une demande
facile à satisfaire a fait boule de
neige à cause de ce gouvernement
délétère », a­t­elle ajouté.

« Trop peu, trop tard », résu­
ment la plupart des manifes­
tants. Une affiche, publiée en
ligne par les responsables de la
communication du mouvement,
indique : « Trois yeux abîmés,
1 183 arrestations, plus de 100 in­
culpations, deux attaques terro­
ristes et d’innombrables incidents
de brutalité policière, 8 vies sacri­
fiées, et vous voudriez que le re­
trait du projet de loi suffise? »

« Trouver une sortie »
Une partie des jeunes protestatai­
res, réunis autour du Parlement
dans la soirée, ont fondu en lar­
mes en apprenant le neuvième
« saut » (suicide) de l’une de leurs
congénères lié à cette crise... Les
porte­parole du mouvement
soupçonnent le gouvernement
d’avoir été poussé à réagir à l’ap­
proche de la rentrée du Sénat
américain, où doit reprendre
l’examen du Hongkong Human
Rights and Democracy Act, qui,
s’il était adopté, pourrait remettre
en cause le statut particulier, fis­
cal et commercial, de Hongkong
vis­à­vis des Etats­Unis.
« Nous sommes tous très sou­
cieux de trouver une sortie à cette
crise », affirmé Mme Lam en annon­
çant le retrait du projet de loi, après
avoir décrit d’abord les scènes de
chaos que le territoire a connu ces
dernières semaines. Mais, avec la
maladresse qui a caractérisé ses
prises de parole depuis le début de

cette crise, elle explique que, en
fait, le gouvernement avait déjà ré­
pondu aux revendications des
manifestants... Le projet contro­
versé? Il était « suspendu » depuis
deux mois. La qualification des
manifestants comme émeutiers?
C’est « sans conséquences juridi­
ques lorsque les suspects seront de­
vant les tribunaux », autrement dit,
c’est une demande non perti­
nente. La reprise de réformes poli­
tiques en vue d’instaurer un sys­
tème réellement démocratique?
Elle­même le souhaite ardem­
ment, mais cela ne peut avoir lieu
que dans un contexte apaisé...
Dans le camp pro­establish­
ment, qui depuis des semaines de­
mandait à Mme Lam de lâcher du
lest, on espère que la ville saisira
cette opportunité d’un retour à la
normale, mais on craint que cela
ne suffise plus. « La crise dure de­
puis des mois et ne porte plus spéci­
fiquement sur le projet de loi. Il est

bien tard pour ces mesures », a dé­
claré Starry Lee, président du parti
pro­Pékin, à l’Associated Press.
Carrie Lam a rejeté mercredi la
demande d’amnistie pour tous les
manifestants susceptibles de
poursuites. Et face à la revendica­
tion qui a devancé, dans les sonda­
ges, la demande du retrait du pro­
jet de loi, celle d’une commission
d’enquête indépendante sur les
violences policières, la chef de
l’exécutif a réitéré sa confiance
dans l’organe interne de la police,
rejeté par les manifestants. Elle a
toutefois annoncé que des experts
internationaux allaient rejoindre
l’institution, qui serait également
renforcée par deux personnalités
locales, dont les protestataires ont
aussitôt contesté l’impartialité.
Carrie Lam a aussi promis
l’ouverture d’un dialogue direct
entre la population et le gouverne­
ment et une étude approfondie du
« malaise profond de la société ».
Pourtant, hormis les aspirations
démocratiques réelles, le pro­
blème social le plus évident de
Hongkong, celui du logement, est
connu depuis des années. Le parc
immobilier et foncier est dans les
mains d’un quasi­cartel de gran­
des familles, qui maintiennent les
prix à un niveau totalement inac­
cessible pour la majorité des Hong­
kongais, dans une ville qui a une
plus grande disparité de richesses
que tous les pays développés.
florence de changy

L’Iran a repris
l’enrichissement
d’uranium
à 4,5 % au lieu
de 3,67 %, le
maximum prévu
par l’accord
de 2015

B A H A M A S
Le bilan de l’ouragan
Dorian passe à 20 morts
L’ouragan Dorian a fait au
moins 20 morts et causé des
dégâts inimaginables dans
les îles des Bahamas, ont an­
noncé, mercredi 4 septembre,
les autorités de l’archipel.
Le premier ministre, Hubert
Minnis, a évoqué une « dévas­
tation générationnelle », sur­
tout sur les îles Abacos, dont
la principale ville, Marsh
Harbour, a été détruite à
60 %, et de Grande Bahama.
Après avoir perdu un peu de
sa vigueur, l’ouragan a repris
de la force mercredi soir
à l’approche de la côte sud­est
des Etats­Unis. – (AFP.)

A F G H A N I S TA N
Nouvel attentat-suicide
des talibans à Kaboul
Au moins cinq personnes ont
été tuées et 25 autres blessées
dans l’explosion, jeudi 5 sep­
tembre, à Kaboul, d’une voi­
ture piégée. L’explosion
a eu lieu dans le quartier de
Shash­Darak, proche de la
zone verte (périmètre ultra­
protégé où sont situées plu­
sieurs ambassades) et qui
abrite le siège du NDS, les ser­
vices secrets afghans. Le
porte­parole des talibans,
Zabihullah Mujahid, a reven­
diqué l’attentat, affirmant
qu’il visait « un convoi d’enva­
hisseurs étrangers » et avait
tué « 12 envahisseurs et
8 membres du NDS ». – (AFP.)

G U AT E M A L A
Etat de siège dans
le nord-est du pays
Le président du Guatemala,
Jimmy Morales, a décrété
l’état de siège, mercredi 4 sep­
tembre, dans une vingtaine
de municipalités du nord­est
du pays, après une embuscade
menée, selon les autorités, par
des narcotrafiquants, et qui
a coûté la vie à trois soldats.
Le décret, qui doit être adopté
par le Parlement, limite
pendant un mois les droits
constitutionnels. – (AFP.)

Le représentant
spécial américain
pour l’Iran,
Brian Hook,
a essayé de
soudoyer le
capitaine d’un
pétrolier iranien

« Le gouvernement
a répondu
à l’une des cinq
revendications,
il en reste donc
quatre »
« MISS CHAN »
porte-parole des contestataires

« Unpetit théâtre social
dontchaquepersonnage
sublime sacaricature. »

PHILIPPE-JEANCATINCHI,
LEMONDE DESLIVRES

«Un exercicede dentelle
littéraire fi n, précis, fragile.
Enbref, onlit unmagnifique
bonheur devivre. »

CLARADUPONT-MONOD,
MARIANNE

« Avecbeaucoupdesubtilité, l’auteurnous fait
regretter cethieroùl’onespérait encorequelque chose,
tout, n’importe quoi,pourvuque le mondebouge. »

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