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VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019
FRANCE
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M
ême l’exdéputé ra
dical RogerGérard
Schwartzenberg est
sorti de sa réserve
en rédigeant un texte, envoyé aux
rédactions par mail mais aussi
par... fax. « La procrastination rede
vientelle une méthode de gouver
nement? », interroge dans ce com
muniqué incisif l’ancien ministre
de Lionel Jospin, qui compare le
premier ministre, Edouard Phi
lippe, à Henri Queuille, président
(radical) du Conseil sous la IVe Ré
publique. Pour ce dernier, il n’était
« pas de problème si complexe
qu’une absence durable de solution
ne finisse par résoudre ».
Voyant l’exécutif prendre le
temps de la « négociation » avec les
partenaires sociaux pour réfor
mer les retraites, tout en rechi
gnant à véritablement engager
celle des institutions, l’ancien dé
puté accompagne les chœurs de la
droite, qui tonnent depuis plu
sieurs jours contre le supposé « im
mobilisme » du pouvoir à l’heure
de l’acte II du quinquennat.
« Emmanuel Macron remet les
difficultés à plus tard. » « Jamais
une période de concertation n’aura
été aussi longue! » Que ce soit par
l’entremise de Valérie Pécresse,
présidente de la région Ilede
France, ou d’Eric Woerth, député
Les Républicains (LR) de l’Oise, la
« nouvelle méthode » du gouver
nement – résumée par le tripty
que « écoute, dialogue, proximité »
- offre un angle d’attaque à l’oppo
sition, qui accuse le chef de l’Etat
d’avoir renoncé à mener des réfor
mes d’ampleur. « Il ne fait pas le
quart de ce qu’il faudrait pour re
dresser le pays », dénonce ainsi
Mme Pécresse. « Il est temps de pas
ser à l’action et à la décision. On a
déjà eu une longue pause à cause
du grand débat, on ne peut pas se
permettre d’encore repousser »,
met en garde M. Woerth. La crise
des « gilets jaunes », à les enten
dre, aurait entraîné une forme de
paralysie au sommet de l’Etat,
prudence oblige.
« Coup d’accélérateur »
L’exécutif assume sa ligne, pour
autant. A l’issue du séminaire
gouvernemental de rentrée qui
s’est tenu, mercredi, à l’Elysée,
Edouard Philippe a assuré que ce
projet de loi se ferait « en écoutant
les partenaires sociaux et les Fran
çais ». Le premier ministre devait
recevoir à Matignon, jeudi et ven
dredi, les organisations syndica
les et patronales pour partager
notamment avec elles le calen
drier à venir de la réforme. Une
sorte de « mini grand débat »,
comme dit un proche de M. Phi
lippe, devrait par ailleurs être or
ganisé dans les mois qui vien
nent. Des réunions publiques
pourraient se tenir en présence
du chef du gouvernement,
d’Agnès Buzyn et de JeanPaul De
levoye, les ministres chargés de la
réforme, et des parlementaires de
La République en marche (LRM).
Un site Web doit aussi être lancé.
« Sur les retraites, on a eu un défaut
de mise en scène du dialogue so
cial », estime une ministre in
fluente, pour qui il faut « inviter
les Français dans la cuisine ».
La Macronie veut convaincre
qu’elle n’a pas abandonné pour
autant son ambition de « trans
former » le pays en profondeur.
« Notre marqueur, apprécié des
Français, c’est de réformer, assure
ainsi la porteparole du gouverne
ment, Sibeth Ndiaye. Avec la PMA,
les retraites, la dépendance, nous
allons apporter la démonstration
qu’on ne renonce pas à réformer,
même s’il y a des échéances électo
rales à venir. » « Ce n’est pas la fin
du quinquennat, au contraire!
Nous sommes déterminés à met
tre un coup d’accélérateur en cette
rentrée, comme le montrent les
chantiers énormes à venir »,
abonde le député LRM des Deux
Sèvres Guillaume Chiche. Un dé
puté « marcheur » concède néan
moins que la prudence sur le dos
sier des retraites aurait des visées
électoralistes. « C’est une façon de
délayer cette réforme pour qu’elle
passe après les municipales, as
sure cet élu. Et en même temps,
c’est une manière d’en faire un en
jeu dépassionné. »
Virage tactique
Les chantiers mis en avant déno
tent en tout cas une volonté de
soigner les marqueurs de gauche
du pouvoir dans l’optique des
municipales. « Nous allons renfor
cer la ligne écologique et sociale.
L’acte II, c’est la reconquête du cen
tre gauche », assureton ainsi
dans l’entourage d’Emmanuel
Macron. Lors des élections euro
péennes, en mai, le chef de l’Etat a
perdu du terrain de ce côté de
l’électorat, tout en gagnant à
droite. « On sort des européennes
avec une consolidation du macro
nisme au centre droit et la doctrine
de l’acte II, qui passe par le centre
gauche », sourit un proche de M.
Macron, reconnaissant le para
doxe apparent de la situation. Un
cap qui devrait beaucoup à l’in
fluence, diton, de Philippe Gran
geon, le conseiller spécial du chef
de l’Etat. « Le président doit garder
le cap régalien tout en réussissant
à reconquérir le centre gauche, qui
est parti chez les écolos », résume
un conseiller de l’exécutif.
Le changement de méthode fait
partie intégrante de la volonté de
reconquête de l’électorat de gau
che. « Pendant sa campagne, Ma
cron avait promis un agenda de ré
formes et de changer la politique. Il
ne s’est pas donné les moyens jus
qu’à maintenant de répondre à ce
deuxième aspect », décrypte un
observateur proche du pouvoir.
Un virage tactique, autant destiné
à casser l’étiquette de « président
des riches » qu’à réussir une sorte
de « en même temps » dans les ur
nes. L’ouverture d’Emmanuel
Macron en faveur d’une réforme
des retraites à travers l’allonge
ment de la durée de cotisation
plutôt que l’instauration d’un âge
pivot peut être vue à cette aune :
la CFDT faisait de cette question
un point d’achoppement.
« On veut remettre les syndicats
dans le jeu. Sur certaines réformes,
Amélie de Montchalin, Sibeth Ndiaye, JeanPaul Delevoye et Annick Girardin, lors d’une réunion à l’Elysée, le 4 septembre. LUDOVIC MARIN/POOL VIA REUTERS
« Sur les retraites,
on a eu un défaut
de mise en scène
du dialogue
social », estime
une ministre
influente
« chat échaudé craint l’eau froide. »
Après plus de deux ans durant lesquels
les partenaires sociaux ont eu le senti
ment d’être traités comme quantité né
gligeable par l’exécutif et après les récen
tes promesses présidentielles de mieux
les associer aux textes, ils attendent
désormais des actes. C’est particulière
ment vrai sur le dossier des retraites, où il
n’est pas question, affirme le gouverne
ment, de passer en force.
« Sur cette réforme, je veux que l’on in
carne le changement de méthode que j’ai
souhaité », a fait valoir Emmanuel Ma
cron le 26 août. Pour preuve, il a exprimé
sa préférence pour « un accord sur la du
rée de cotisation plutôt que sur l’âge » afin
d’obtenir une retraite à taux plein. Une
déclaration analysée comme un geste
d’ouverture envers la CFDT, qui ne vou
lait pas d’un âge pivot à 64 ans comme le
préconisait M. Delevoye en juillet.
Syndicats et patronat auront l’occasion
de se faire une idée plus précise des in
tentions du gouvernement lors de leurs
rencontres, jeudi 5 et vendredi 6 sep
tembre, avec Edouard Philippe, qui les
reçoit à Matignon. « Ce projet de loi (...)
nous n’allons pas le préparer seuls, mais
nous allons le faire en écoutant les parte
naires sociaux, en écoutant les Français »,
a martelé, mercredi, le premier minis
tre, à l’issue du séminaire gouverne
mental de rentrée, tout en précisant
qu’il dévoilera le calendrier et la mé
thode retenus « dans le courant de la se
maine prochaine ».
C’est donc la prudence qui est de mise
chez les interlocuteurs sociaux, et l’exé
cutif va devoir donner des gages pour
convaincre de sa bonne foi. « On jugera
sur pièces, indique le président du Medef,
Geoffroy Roux de Bézieux. Mon souci,
c’est que les sujets avancent. » Si Laurent
Berger, le secrétaire général de la CFDT,
parle d’un « changement », il reste sur ses
gardes. « M. Macron est aujourd’hui da
vantage dans la discussion, moins dans
l’arrogance, expliquetil, dans un entre
tien, jeudi, au Parisien. Mais tout cela se
mesurera aux actes, aux politiques me
nées, aux choix qui seront faits. »
Une méthode « vraiment désagréable »
Certains redoutent que le naturel ne re
vienne au galop. « Le président n’a pré
venu personne qu’il ferait une sortie sur les
retraites, croit savoir un haut gradé patro
nal. C’est quand même une méthode très
macronienne... » Le numéro un de FO,
Yves Veyrier, n’est pas loin de penser la
même chose : « C’est un peu curieux
comme façon de faire. On nous parle de
dialogue, de concertation, mais il se passe
beaucoup de choses avant même que l’on
rencontre le premier ministre. »
Selon François Homméril, le président
de la CFECGC, « c’est un manque de res
pect ». Le numéro un du syndicat des ca
dres – l’un des rares à ne pas être opposé
à l’idée de l’âge pivot – est très remonté.
« La méthode est vraiment désagréable,
C’est très insécurisant car on ne peut ja
mais investir le fond du dossier. A tout mo
ment, le président peut faire un têteà
queue. » Pour son homologue de la CGT,
Philippe Martinez, l’affaire est entendue :
toute cette séquence ne constitue qu’une
« opération de communication ».
raphaëlle besse desmoulières
Les partenaires sociaux restent sur leurs gardes
Retraites : la ligne de crête de l’exécutif
Accusés d’immobilisme par la droite, Macron et Philippe revendiquent de prendre le temps de débattre
Les ministres pourront être candidats
Alors que plusieurs ministres ne cachent pas leurs ambitions
électorales, Edouard Philippe a précisé la ligne de conduite
qu’ils devront adopter lors des municipales de mars 2020 : les
membres de son gouvernement pourront être candidats tout
en restant en fonctions mais, s’ils sont élus, ils ne pourront
pas cumuler avec un poste de maire.
« Nous sommes attachés, avec le président de la République, à
cette possibilité pour les membres du gouvernement de se con-
fronter, parfois pour la première fois, parfois une fois de plus, au
suffrage universel », a expliqué le premier ministre à l’issue du
séminaire gouvernemental avant de définir la ligne : « A partir
de janvier 2020, chaque ministre pourra être candidat », puis « il
appartiendra à ceux qui sont candidats, le moment venu et s’ils
sont élus, de déterminer si oui ou non ils veulent rester membre
du gouvernement ou si oui ou non ils choisissent d’exercer des
fonctions à la tête de l’exécutif auquel ils auraient été élus ».
on leur est passé audessus, dé
crypte un député de la majorité. Il
y a beaucoup d’électeurs de gau
che modérée qui ont voté Emma
nuel Macron en 2017 et qui sont
proches de cette sensibilitélà. »
« Le coût du compromis ne doit
pas être trop élevé ni finir sur
l’abandon des objectifs sociaux et
financiers d’une réforme », pré
vient de son côté Eric Woerth.
Pour l’instant, cette opération
ne porte pas encore ses fruits de
manière massive dans l’opinion,
même si le chef de l’Etat com
mence à reprendre des couleurs
dans l’électorat de gauche : il enre
gistre une hausse de trois points
chez les Français proches du Parti
socialiste (49 %), selon un son
dage Harris Interactive réalisé
pour LCI et diffusé mardi. Sa cote
de confiance, qui augmente de
puis janvier, s’établit à 43 %
auprès de l’ensemble des sondés.
La tonalité de l’exécutif ravit en
tout cas l’aile gauche de sa majo
rité, qui plaide sans relâche de
puis le début du quinquennat
pour une orientation plus sociale.
« L’acte II commence bien, se ré
jouit le député LRM du Vald’Oise
Aurélien Taché. Au lieu d’être dans
une forme de jusqu’auboutisme et
une logique comptable et bureau
cratique, nous avons compris qu’il
valait mieux être dans l’écoute et la
coconstruction pour mettre plus
d’humanité et de justice dans la ré
forme des retraites. »
Ce partisan de thèses sociales
démocrates appelle l’exécutif à
poursuivre dans cette voie : « Il
faut continuer avec la même mé
thode lorsque nous étudierons la
réforme du revenu universel d’acti
vité, en étant guidés par un prin
cipe de justice sociale. » De quoi
parier sur un futur virage social?
« Un virage social? Quelle hor
reur! », fait mine de s’étrangler
en retour un philippiste. Le pre
mier ministre l’a d’ailleurs rap
pelé à l’issue du séminaire de ren
trée : « Le gouvernement fait des
choix et entend trouver le juste
équilibre. » Jusque dans ses in
flexions politiques.
olivier faye,
alexandre lemarié
et cédric pietralunga