6 |international VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019
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Nétanyahou courtise l’électorat ultranationaliste
Le premier ministre israélien a fait campagne mercredi dans la colonie d’Hébron pour le scrutin du 17 septembre
hébron envoyé spécial
D
e toutes les colonies
israéliennes en Cis
jordanie, Benyamin
Nétanyahou a choisi
la plus étouffante, la vieille ville
d’Hébron, pour courtiser l’élec
torat ultranationaliste. Mercredi
4 septembre, à deux semaines
d’élections législatives mal enga
gées, le premier ministre israé
lien compte ses alliés. Les 800 co
lons d’Hébron, qui vivent sous
haute protection militaire parmi
200 000 Palestiniens, sont
parmi les plus ardents au sein de
la mouvance nationaliste et mes
sianique, dont M. Nétanyahou se
veut le protecteur. Du centre de
la cité palestinienne où ils sont
reclus, leur voix porte loin.
M. Nétanyahou se rendait pour
la première fois depuis vingt et
un ans sous les murs du Tom
beau des patriarches. Il s’agissait
de commémorer le massacre de
67 juifs par des émeutiers pales
tiniens, sous le mandat britanni
que en 1929, qui avait provoqué
la fuite de la communauté juive
de la ville – l’une des plus ancien
nes au monde. Premier chef du
gouvernement à s’exprimer ici,
M. Nétanyahou n’a pas répété la
promesse qu’il avait faite en avril
aux colons : annexer, s’il est
réélu, les principales implanta
tions de Cisjordanie. Mais cette
promesse était bien dans toutes
les têtes.
Animal blessé
M. Nétanyahou l’avait déjà réité
rée dimanche, lors d’une visite
aux écoliers de la colonie d’Elk
ana, en Cisjordanie, à la rentrée
des classes. Sa ministre de la cul
ture et le président du Parlement
l’ont pressé de tenir parole, mer
credi, sur l’estrade d’Hébron. A
leurs côtés, le premier ministre
s’est contenté d’affirmer que la
ville ne deviendrait jamais « ju
denrein » – épurée de ses juifs, un
terme issu de l’Allemagne nazie.
« Nous ne sommes pas des étran
gers à Hébron, nous y resterons
pour l’éternité », atil ajouté.
En fin d’aprèsmidi, sur les
pelouses du Tombeau des
patriarches, le public a acclamé
les ministres de son camp, issus
de la droite radicale. Arrivés dans
son gouvernement cet été, ils
l’aiguillonnent. Bezalel Smotrich
(transports) et le rabbin Rafi
Peretz (éducation) multiplient les
provocations et ignorent ses ré
primandes. Comme tous les
autres, ils voient dans le chef un
animal blessé. « Bibi » saigne, c’est
le moment, pour leur coalition de
trois partis de droite radicale, de
hausser ses exigences.
M. Nétanyahou a échoué, après
les dernières législatives d’avril, à
rassembler assez d’alliés au Parle
ment pour former une majorité
de gouvernement, en mai. Voilà
pourquoi le pays retourne aux ur
nes. Las, les grands blocs de droite,
du centre et de gauche ne bougent
pas. Aucun sondage ne donne à
« Bibi » et à ceux qu’il nomme ses
« partenaires naturels » une majo
rité nette. Chacun attend par
ailleurs une décision de la justice,
qui pourrait mettre M. Nétanya
hou en examen avant la fin de
l’année pour des accusations de
« corruption », de « fraude » et
d’« abus de confiance ». Résultat :
désordre et fébrilité générale.
« Bibi ne contrôle plus le jeu. Il a
perdu ses pouvoirs magiques »,
reconnaît l’un de ses plus effica
ces partisans, rédacteur en chef
du quotidien de droite Israël
Hayom, Boaz Bismuth. « En Is
raël, c’est lui qui fait la vie politi
que, c’est presque comme s’il
l’avait inventée... Mais, pour la
première fois, il n’a pas su livrer la
marchandise... Alors il se de
mande comment faire. Mais il est
déjà revenu de plus loin! »
Enterrer « Bibi », estce possi
ble? Le premier ministre a dé
passé cet été en longévité au pou
voir David Ben Gourion, père
fondateur de l’Etat d’Israël. Il a
encore toute autorité sur son
parti : les parlementaires du
Likoud ont démissionné comme
un seul homme, en mai, pour re
tourner aux urnes. Suicide col
lectif. Depuis, aucune voix criti
que n’est sortie des rangs. « 90 %
des électeurs du Likoud veulent
que “Bibi” reste au pouvoir. Les
ambitieux savent qu’ils risquent
de payer un prix tragique s’ils se
rebellent », note un fidèle gro
gnard, Tzachi Hanegbi.
Il leur reste à patienter, durant
cette campagne morne, sans en
jeu sinon la survie du chef. Les Is
raéliens y prêtent peu attention.
Ils sont las. Combien se déplace
ront pour voter, le 17 septembre?
M. Nétanyahou sait encore atti
rer l’attention de sa base : il s’en
prend avec une violence sans
nom à la presse, qui poursuit ses
révélations sur ses démêlés judi
ciaires. Il profite aussi de l’apho
nie de son principal rival, le parti
Bleu Blanc, qui se veut au centre
de l’échiquier politique. En avril,
cette jeune formation avait fait
jeu égal avec le Likoud, en empor
tant 35 sièges sur 120. Mais son
meneur, Benny Gantz, n’a pas
d’autre proposition de fond que
l’alternance. Il tend la main à Avi
gdor Lieberman, chantre de la ré
sistance aux mouvements ultra
orthodoxes. En s’arrimant à cette
position de principe, M. Lieber
man, ancien bras droit de M. Né
tanyahou, l’avait empêché de for
mer un gouvernement en mai.
Cela lui réussit. Il tient la clé de
cette nouvelle élection, avec dix
sièges au Parlement selon les
sondages.
Face à M. Gantz, ancien chef
d’étatmajor, qui refuse la suren
chère sur les enjeux de sécurité,
M. Nétanyahou a beau jeu de
commenter, depuis une semaine,
les opérations militaires qu’il ap
prouve contre l’ennemi iranien et
ses alliés au Liban, en Irak et en Sy
rie. « Ce n’est pas le moment de dis
cuter avec l’Iran. C’est le moment
d’accentuer la pression sur l’Iran »,
atil martelé, jeudi matin, depuis
l’aéroport BenGourion, avant de
s’envoler pour Londres où il doit
rencontrer son homologue bri
tannique, Boris Johnson.
« République bananière »
Cette lutte éprouvante n’aura d’in
térêt qu’au 17 septembre au soir,
une fois les bulletins comptés,
lorsque les négociations entre fac
tions pour la formation d’une coa
lition gouvernementale commen
ceront. « Il ne s’agit pas de savoir
qui peut former un gouvernement,
mais si “Bibi” peut arrêter le proces
sus judiciaire, soupire un ancien
membre du Likoud. Il n’y a plus
qu’une question qu’il pose à ses in
terlocuteurs : me donnerezvous
l’immunité à la Knesset, contre la
justice, contre le principe d’égalité
devant la loi? S’il réussit, Israël de
vient une république bananière. »
Le calendrier judiciaire est
cruel. Début octobre, M. Néta
nyahou doit être entendu par le
procureur général du pays, Avi
chaï Mandelblit, durant les négo
ciations entre partis. S’il finissait
par être mis en examen, les pro
ches du premier ministre souli
gnent que rien ne l’empêcherait
de gouverner tout en luttant pied
à pied avec la justice, jusqu’en ap
pel et à une mise hors de cause
définitive. A condition que le Par
lement ne l’écarte pas, par un
vote à majorité simple.
louis imbert
Le pape s’attaque aux « Américains »
La ligne de François est combattue, aux EtatsUnis, par de puissants catholiques conservateurs
maputo envoyée spéciale
C’
est un honneur pour moi
que les Américains m’at
taquent. » La repartie du
pape a fusé, spontanée et nar
quoise, dans l’avion qui le condui
sait au Mozambique, mercredi
4 septembre. Comme François sa
luait un à un les journalistes, le
correspondant au Vatican du quo
tidien La Croix, Nicolas Senèze, ve
nait de lui offrir un exemplaire de
son livre Comment l’Amérique
veut changer de pape (Bayard,
276 pages, 18,90 euros), qui parais
sait le jour même en France.
« C’est une bombe », a souri le
pape en agitant le livre. Le vatica
niste expérimenté y explique les
attaques subies par François ces
dernières années, par l’hostilité à
sa « ligne » d’un puissant courant
catholique conservateur améri
cain, animé par des laïcs fortunés
et influents, relayé par des médias
importants et décidé à refermer la
« parenthèse » François.
En phase avec la montée du con
servatisme aux EtatsUnis, en dés
accord total avec la critique viru
lente du libéralisme économique
portée imperturbablement par le
chef de l’Eglise catholique, ces ac
teurs, qui sont aussi des finan
ciers importants pour le Saint
Siège, auraient trempé dans un
« putsch » pour renverser François
à l’été 2018. Ayant échoué, ils con
sacreraient aujourd’hui leurs ef
forts à peser sur le choix du suc
cesseur du pape argentin. Une
autre façon, affirme l’auteur, de
fomenter un « coup d’Etat ».
Devant l’émoi soulevé par la
phrase de François dans l’avion, les
collaborateurs du pontife jésuite
ont tenté d’en atténuer le caractère
belliqueux, quelques instants plus
tard. Le nouveau directeur de la
salle de presse, Matteo Bruni, a
présenté une déclaration indi
quant que, « dans le contexte infor
mel » des salutations du début du
voyage, « le pape a voulu dire qu’il
considère toujours comme un hon
neur les critiques, en particulier
quand elles viennent de penseurs
reconnus et, dans ce cas, d’une na
tion importante ».
Brèche inacceptable
Autant dire que, si François a
voulu adoucir la forme, il ne renie
rien du fond de sa déclaration ini
tiale. Les attaques venues des
EtatsUnis – mais pas seulement –
existent bien. Elles peuvent bien
se poursuivre, atil signifié, elles
n’auront pour effet ni de le faire
taire ni de lui faire changer de cap.
Il n’a d’ailleurs pas été pris au dé
pourvu par le livre tendu par
Nicolas Senèze. Il a remercié, au
contraire, le journaliste, en lui pré
cisant qu’il avait cherché à se pro
curer cet ouvrage – le Vatican avait
été informé de sa prochaine paru
tion –, mais qu’on lui avait dit qu’il
n’était pas encore disponible.
La rentrée 2019 promet donc
d’être aussi agitée que celle de 2018
à la tête de l’Eglise. Ces dernières
semaines, les sites et courants ca
tholiques conservateurs ont mul
tiplié les critiques contre plusieurs
nominations récemment interve
nues au Vatican, évoquant de plus
en plus la figure du pape émérite
Benoît XVI dans leurs combats. Ils
se mobilisent également dans la
perspective du prochain synode
sur l’Amazonie, en octobre, où sera
débattue la possibilité d’ordonner
des hommes mariés. Certains y
voient une brèche inacceptable
ouverte contre le sacerdoce.
Il y a un an, fin août, était inter
venu l’épisode sans doute le plus
extravagant de la série d’attaques
contre François, sur lequel le livre
revient largement et dans lequel il
voit une tentative de « putsch » vi
sant à obtenir la démission de l’ac
tuel pape. L’archevêque Carlo Ma
ria Vigano, un ancien nonce (am
bassadeur) aux EtatsUnis, avait
accusé François, dans une lettre
ouverte, d’avoir protégé le cardinal
américain Theodore McCarrick –
qui a depuis été privé de sa pour
pre cardinalice puis renvoyé de
l’état sacerdotal, en février –, ac
cusé aujourd’hui de violences
sexuelles sur mineur et de harcèle
ment de séminaristes.
Mgr Vigano accusait le pape
d’avoir discrètement levé des
sanctions qui auraient été prises
contre Theodore McCarrick par
Benoît XVI. L’exdiplomate avait
appelé explicitement François à
renoncer au siège de Pierre. Il ne
semble pas que l’état d’esprit ac
tuel du pape le pousse en ce sens.
Faute d’avoir obtenu gain de
cause en 2018, les catholiques con
servateurs américains auraient
entrepris de passer au crible, avec
une escouade d’anciens policiers,
d’universitaires et d’avocats, le pe
digree des quelque 125 cardinaux
électeurs, qui sont aussi les succes
seurs possibles de François. Afin
de pouvoir écarter, le moment
venu, d’éventuels gêneurs et don
ner au prochain pontificat une
coloration plus à leur goût.
cécile chambraud
Le premier
ministre
israélien,
Benyamin
Nétanyahou,
le 4 septembre
à Hébron, en
Cisjordanie.
MENAHEM KAHANA/AFP
« “Bibi” ne
contrôle plus
le jeu. Il a perdu
ses pouvoirs
magiques »
BOAZ BISMUTH
rédacteur en chef
du quotidien de droite
« Israel Hayom »
Les courants
qui s’opposent
au pontife
évoquent de plus
en plus la figure
du pape émérite
Benoît XVI
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