Le Monde - 12.09.2019

(lily) #1

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INTERNATIONAL


JEUDI 12 SEPTEMBRE 2019

0123


Trump limoge


John Bolton,


le va­t­en­guerre


Le président a évoqué des « désaccords »


sur de nombreux dossiers majeurs


de politique étrangère, comme l’Iran,


le Venezuela, l’Afghanistan et la Corée du Nord


washington ­ correspondant

M


ardi matin 10 septem­
bre, peu avant 11 heu­
res, la Maison Blanche
a brusquement modi­
fié son agenda du jour
pour y ajouter un brie­
fing consacré à la lutte contre le terrorisme. Il
devait être assuré en début d’après­midi par
le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, le secré­
taire au Trésor, Steve Mnuchin, et le con­
seiller à la sécurité nationale, John Bolton.
Mais sur le coup de midi, Donald Trump a
soudainement fait savoir qu’il se passerait
désormais des services de ce dernier.
Ce départ a été annoncé, comme c’est dé­
sormais l’usage, par un message publié par
le président des Etats­Unis sur son compte
Twitter. Il a été rendu inéluctable par la
somme des divergences qui se sont accumu­
lées entre les deux hommes. Le président ne
s’en est pas caché en annonçant le limo­
geage de John Bolton.
« J’étais en désaccord avec nombre de ses
suggestions, comme d’autres au sein de cette
administration », a précisé le président, qui a
assuré l’en avoir informé. Selon la presse
américaine, Donald Trump aurait douté de
la loyauté de son conseiller, accusé de faire
fuiter des informations et peu enclin à dé­
fendre les choix diplomatiques du locataire
de la Maison Blanche qu’il désapprouvait sur
les plateaux de télévision.

UN GOÛT POUR LA MANIÈRE FORTE
Lorsque Mike Pompeo et Steve Mnuchin ont
été ensuite interrogés, leurs larges sourires
ont bien fait comprendre qu’ils avaient eu,
eux aussi, maille à partir avec lui. Le secré­
taire d’Etat l’a confirmé ouvertement. Au­
delà des différends politiques, John Bolton a
été accusé par ses détracteurs d’avoir isolé ce
rouage stratégique qu’est le Conseil de sécu­
rité national en réduisant les échanges avec
le Pentagone et le département d’Etat.
Le goût de cet avocat de formation pour la
manière forte était un handicap certain face
à un président qui apprécie autant l’image

de la force qu’il est réticent à en user. Sa no­
mination, en mars 2018, avait surpris pour
cette raison majeure. Ce défenseur invétéré
de l’invasion de l’Irak, en 2003, rejoignait un
président qui n’a cessé de dénoncer « la pire
des pires décisions jamais prises » par les
Etats­Unis. Contrairement à Donald Trump,
John Bolton ne doutait pas de la volonté de
la Russie de peser sur les élections américai­
nes, fidèle à la défiance historique des con­
servateurs américains envers Moscou.
A peine nommé, il avait brièvement con­
trarié un début de rapprochement avec la
Corée du Nord en avançant comme préa­
lable à toute discussion la « solution li­
byenne », le transfert hors du pays de tout
l’arsenal nucléaire de Pyongyang, sur le
modèle de ce à quoi avait consenti Mouam­
mar Kadhafi en 2003. Un diktat jugé inac­
ceptable par Kim Jong­un.
Un an plus tard, John Bolton critiquait les
tirs de missiles de courte portée multipliés
par le régime de Kim Jong­un. Tout en van­
tant la qualité de sa relation avec le dicta­
teur nord­coréen, Donald Trump les mini­
misait au contraire. « La Corée du Nord a tiré
des petits missiles qui ont troublé certains de
mes compatriotes et d’autres, mais pas
moi », assurait­il en mai.
Le conseiller n’était d’ailleurs pas aux côtés
du président lors de la visite historique effec­
tuée dans la zone démilitarisée séparant les
deux Corées, en juin. Il avait effectué, à la
place, une visite opportune en Mongolie.
Marginalisé sur le dossier nord­coréen,
John Bolton a déporté son attention sur le
continent américain, dénonçant en no­
vembre 2018 une « troïka de la tyrannie »
composée de Cuba, du Nicaragua et du
Venezuela. Le conseiller à la sécurité natio­
nale n’est cependant pas parvenu à ses fins
face au dirigeant Nicolas Maduro, à la tête
d’un Etat pourtant failli. Ni le coup de théâ­
tre diplomatique qu’a constitué en janvier
la reconnaissance d’un président par inté­
rim, Juan Guaido, ni l’embargo contre le pé­
trole vénézuélien, la pire sanction qui
puisse être imposée, ni une tentative de
coup de force interne encouragée par le

conseiller à la sécurité nationale, en avril,
n’ont pu l’emporter.
Cette impuissance a fini par agacer le prési­
dent des Etats­Unis. « John est très bon. John a
une vision très dure des choses, mais ça va. En
fait, c’est moi qui modère John, ce qui est assez
incroyable. J’ai John, et j’ai d’autres gens qui
sont davantage des colombes que lui. Et, in
fine, je prends les décisions », a assuré le prési­
dent le 9 mai, rappelant le principe sur lequel
est bâtie son administration : la mise en con­
currence permanente d’avis contraires qui
lui permet, en dernier ressort, de trancher
selon son instinct. Un principe qui conduit à
la neutralisation et à l’affaiblissement des
rouages de l’Etat fédéral.
Deux autres dossiers ont placé en porte­à­
faux ce nationaliste, défenseur intransi­
geant d’une souveraineté américaine que
rien ne saurait limiter, à commencer par les
organisations supranationales comme les
Nations unies. Avant de rejoindre Donald
Trump, John Bolton avait plaidé publique­
ment pour des bombardements préventifs

sur les sites nucléaires supposés de l’Iran, et
soutenu officiellement des opposants en
exil, les Moudjahidine du peuple, qui appel­
lent à un changement de régime à Téhéran.
En septembre 2018, devenu conseiller à la
sécurité nationale, il avait justifié le main­
tien de forces spéciales américaines en
Syrie pour contrer les ambitions régionales
de Téhéran. « Nous ne partirons pas tant
que les troupes iraniennes resteront à l’exté­
rieur des frontières iraniennes, ce qui vaut
également pour les milices iraniennes »,
avait­il assuré. Trois mois plus tard, le prési­
dent le démentait en annonçant un re­
trait immédiat, avant de revenir partielle­
ment sur son ampleur.

ENNEMIS JURÉS
Hostile à un regime change – changement
de régime – à Téhéran, Donald Trump évo­
que au contraire régulièrement la possibi­
lité d’un « marché » avec la direction d’un
pays dont il loue régulièrement « l’énorme
potentiel » économique. « Ils veulent parler,

« EN FAIT,


C’EST MOI


QUI MODÈRE JOHN, 


CE QUI EST ASSEZ 


INCROYABLE »
DONALD TRUMP

La « pression maximale », maître mot de la diplomatie trumpienne


Les arsenaux de sanctions imposés à l’Iran, la Corée du Nord ou le Venezuela tardent à produire les effets souhaités par la Maison Blanche


washington ­ correspondant

A


un peu plus d’un an de
l’élection présidentielle
de 2020, le bilan de l’uni­
latéralisme musclé prôné par
Donald Trump commence à
prendre forme. Il reste pour l’ins­
tant plutôt maigre. Au nom de
l’« America First », le président
des Etats­Unis s’est affranchi du
jeu des alliances et des contrain­
tes du multilatéralisme. Ce choix
constituait l’un des rares points
d’entente avec John Bolton, le
troisième conseiller à la sécu­
rité nationale du président, li­
mogé mardi 10 septembre,
même s’ils divergeaient par
ailleurs sur sa finalité.
Compte tenu des doutes sur le
sérieux du plan de paix israélo­

palestinien de l’administration
américaine que la démission de
son maître d’œuvre, Jason
Greenblatt, a alimentés, et de
l’impasse qui prévaut au Ve­
nezuela, la « pression maximale »
est devenue le maître mot de la
diplomatie trumpienne. Profi­
tant de sa supériorité liée à la
place du dollar dans les échanges
mondiaux, Washington multi­
plie les opérations punitives.
Cette « pression maximale » est
déployée dans toute sa vigueur
contre la Corée du Nord et l’Iran.
Dans le premier cas, cette poli­
tique s’est appuyée sur des sanc­
tions internationales adoptées
par les Nations unies. Elle a pro­
duit une indéniable détente à
partir de 2018, marquée par la
fin des essais nucléaires de

Pyongyang puis par une rencon­
tre historique à Singapour en­
tre le président des Etats­Unis
et Kim Jong­un.

Escalade calculée
Depuis, et en dépit de deux nou­
velles rencontres au sommet, au
Vietnam en février, puis dans la
zone démilitarisée qui sépare les
deux Corées en juin, les négocia­
tions sont au point mort. La défi­
nition du terme de « dénucléari­
sation », qui est au cœur de l’am­
bition des Etats­Unis, continue
de diviser les deux protagonis­
tes. Donald Trump s’efforce
pourtant de cultiver la relation
personnelle qu’il estime avoir
construite avec le dirigeant nord­
coréen, quitte à minimiser la
portée des essais balistiques aux­

quels se livre Pyongyang et qui
inquiètent les alliés régionaux
de Washington.
L’arsenal des sanctions imposé
à l’Iran pour obliger le pays à ac­
cepter un accord plus contrai­
gnant dans le domaine nucléaire
tout en bridant ses ambitions ré­
gionales et son programme de
missiles a produit des effets délé­
tères sur l’économie du pays sans
pour autant inciter Téhéran à se
plier aux injonctions américai­
nes. Donald Trump ne cesse d’as­
surer que « l’Iran n’est plus le
même » depuis son arrivée à la
Maison Blanche, mais il est en
peine d’en produire la preuve.
La régularité des raids israéliens
en Syrie montre que Téhéran n’a
pas renoncé à profiter de l’affai­
blissement de son allié consécu­

tif à une guerre civile de plus de
huit ans pour y conforter ses po­
sitions. Le régime iranien a, de
même, montré qu’il pouvait faire
régner la tension dans le golfe
Arabo­Persique, vital pour l’éco­
nomie mondiale. Le non­respect
de certaines obligations de l’ac­
cord sur le nucléaire, auquel il n’a
pas totalement renoncé pour
l’instant, s’inscrit dans la même
démarche d’escalade calculée.
Faute, dans le même temps,
d’un isolement politique et d’une
menace militaire crédible, cette
politique de « pression maxi­
male » tarde à produire les effets
souhaités. Le départ unilatéral
des Etats­Unis de l’accord sur le
nucléaire iranien les a isolés, et
Donald Trump a montré, lors de
la destruction d’un drone améri­

cain par un missile iranien, en
juin, combien il rechignait à
l’usage de la force.
Le successeur de John Bolton,
qui sera nommé « la semaine pro­
chaine », selon le président des
Etats­Unis, ne devrait pas dispo­
ser de beaucoup de temps pour
pouvoir remédier aux faiblesses
de cette tactique et s’imposer aux
côtés du président. Il devra en
outre composer avec le senti­
ment d’urgence, au fur et à me­
sure que s’approchera l’élection
présidentielle de 2020, de parve­
nir à des résultats. Tout en gérant
les conséquences délétères du
turnover sans précédent que Do­
nald Trump a imposé aux princi­
paux rouages de l’Etat fédéral en
matière de sécurité.
g. p.

L A P O L I T I Q U E É T R A N G È R E D E D O N A L D T R U M P

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