Le Monde - 12.09.2019

(lily) #1

28 |idées JEUDI 12 SEPTEMBRE 2019


0123


La démocratie espagnole


ne porte pas atteinte


aux libertés fondamentales


Plus de 150 parlementaires espagnols répondent à 52 députés
français qui, dans une tribune parue dans « Le JDD », protestaient
contre la « répression » exercée sur les indépendantistes catalans

L


e 1er septembre, 52 députés français ont
publié dans un journal français [Le Jour­
nal du dimanche] une tribune en dé­
fense des leaders indépendantistes ca­
talans jugés par le tribunal suprême d’Espa­
gne. Dans ce texte, les députés français
accusent la démocratie espagnole, ainsi que
nos institutions, de porter atteinte aux liber­
tés et aux droits fondamentaux, de réprimer
et de prendre des mesures arbitraires. Nous
tenons à exprimer ici notre indignation face
à des accusations si graves et infondées.
Nous tenons à rappeler aux signataires de
cette tribune que la qualité de la démocratie
espagnole est aussi élevée que celle de la dé­
mocratie française, comme l’attestent toutes
les organisations internationales, telle Free­
dom House, qui, dans son rapport 2019 sur la
liberté dans le monde, attribue à l’Espagne
une note parmi les plus hautes. Notre pays
possède l’un des systèmes les plus décentrali­
sés du monde, avec un pouvoir réparti entre
les institutions centrales et les institutions
autonomes, à la différence de la France, qui
possède un modèle politique plus centralisé.
Mais nous tenons surtout à signaler que les
leaders indépendantistes n’ont pas été jugés
en raison de leurs opinions, mais parce qu’ils
ont porté atteinte à nos lois fondamentales,
en violant les droits et les libertés de millions
d’Espagnols, notamment des citoyens de
Catalogne. Le Tribunal suprême de l’Espagne
ne juge pas sur le débat politique portant sur
l’indépendance – débat d’ailleurs tout à fait li­
bre dans notre pays –, mais sur la violation de
nos lois et de notre Constitution.
Le bureau du procureur du Tribunal su­
prême espagnol a conclu que les accusés ont
commis un délit de rébellion et a requis

d’importantes peines de prison, parce qu’on a
prouvé qu’il y a eu un usage de la violence
dans le contexte d’une stratégie planifiée et or­
ganisée pour fracturer notre ordre constitu­
tionnel, y compris la tenue d’un référendum
illégal et une déclaration unilatérale d’indé­
pendance de la part des autorités autonomes
catalanes. Si, par exemple, les leaders nationa­
listes corses, qui constituent actuellement la
majorité dans les institutions régionales de
l’île, organisaient un référendum illégal sur
l’indépendance de la Corse et qu’ils procla­
maient unilatéralement l’indépendance en
enfreignant frontalement leur Constitution,
notamment son article premier sur la « Répu­
blique indivisible », les tribunaux français et
toutes leurs institutions réagiraient, sans
aucun doute, avec la même fermeté en dé­
fense de leurs règles démocratiques, de leur
Constitution et de l’unité de la France. Si ja­
mais cela se produisait, nous serions certaine­
ment du côté de la France pour défendre sa dé­
mocratie, sa Constitution et son unité, avec la
même conviction que nous défendons actuel­
lement la démocratie espagnole, notre Consti­
tution et l’unité de notre pays.

Pablo Casado, président du Parti populaire ;
Cayetana Alvarez de Toledo, porte-parole
au Congrès ; Javier Maroto, porte-parole
au Sénat ; Dolors Montserrat, porte-parole
au Parlement Européen, ainsi que 66 dépu-
tés, 70 sénateurs et 12 eurodéputés, tous du
Parti populaire. Liste complète des signatai-
res sur Lemonde.fr

A


vec le décès du président Béji
Caïd Essebsi, le 25 juillet, a dis­
paru le dernier représentant de
la génération des disciples
directs d’Habib Bourguiba, l’homme
dont les réformes ont façonné la Tuni­
sie postcoloniale. C’est une des raisons
pour lesquelles la présidentielle de
2019, dont le premier tour aura lieu le
15 septembre, ne ressemble pas à celle
de 2014. La référence au premier chef
de l’Etat tunisien d’après l’indé­
pendance était alors omniprésente.
M. Caïd Essebsi n’avait cessé de se ré­
clamer de son héritage durant la cam­
pagne qui l’avait conduit à la victoire,
regroupant, sous la bannière de
son parti, Nidaa Tounès (« l’appel de la
Tunisie »), le camp dit « moderniste »,
tétanisé par la perspective d’une vic­

toire de la mouvance islamiste, soup­
çonnée de vouloir démanteler les ac­
quis bourguibiens.
En cinq ans, le paysage politique tu­
nisien a changé. D’un côté, la forma­
tion fondée par le défunt chef de l’Etat
s’est scindée en plusieurs chapelles
concurrentes, dont la plupart ont un
candidat à la prochaine présidentielle
mais dont aucun ne porte de discours
structuré capable de mobiliser les ci­
toyens. De l’autre, le parti islamiste
Ennahda dit avoir renoncé à son am­
bition d’imposer à la société un cadre
juridique et un mode vie inspirés de
l’idéologie des Frères musulmans.
Son candidat à la présidentielle,
Abdelfattah Mourou, et ses princi­
paux responsables jurent aujourd’hui
que leur formation est un simple
parti conservateur dont les valeurs
s’inspirent de la religion, comme il en
existe dans quantité de vieilles démo­
craties. L’affrontement entre moder­
nistes et islamistes, qui avait naguère
monopolisé le champ politique et
donné lieu à des débats passionnés

sur le modèle de société appelé à
dessiner les contours de la Tunisie de
demain, n’occupe donc plus le devant
de la scène.
Du coup, la référence au « bourgui­
bisme » – cette version tunisienne de
la modernité sociétale – est pratique­
ment absente des débats, et la prési­
dentielle d’aujourd’hui n’a rien d’un
face­à­face entre politiciens plus ou
moins issus de la matrice moderniste
et candidats de l’islam politique recy­
clés – officiellement du moins – en
conservateurs musulmans.
C’est aussi que les priorités des Tuni­
siens ont changé. Au lendemain de la
révolution de 2011, les couches popu­
laires rurales et urbaines qui avaient
été les premières à se soulever contre
le régime clientéliste et prédateur de
l’ex­président Ben Ali attendaient que
l’entrée du pays en démocratie leur
apporte un mieux­être social dont el­
les étaient depuis trop longtemps
privées. Or, la gestion économique ca­
lamiteuse des gouvernements de la
transition jusqu’en 2014, puis la cou­
pable inaction des deux équipes qui
se sont succédé au cours des cinq der­
nières années ont aggravé dans des
proportions inédites la situation éco­
nomique, détériorant un peu plus
les conditions de vie des plus précai­
res et des segments inférieurs des
classes moyennes.
Au débat sociétal et identitaire qui
avait dominé les années 2011 à 2014
s’est ainsi substituée une focalisation
générale sur les questions économi­
ques et sociales, seules à préoccuper la
majorité de l’électorat. Tous les candi­
dats se font donc un devoir d’en parler.
Aucun d’eux cependant n’a de pro­
gramme pour les résoudre. La plupart
se contentent de présenter des recettes
inspirées d’un libéralisme qui a mon­
tré son incapacité à réduire les fractu­

res qui ont abîmé la société, et recon­
duisent les choix ayant abouti aux im­
passes actuelles.
Résultat de cet immobilisme : ce sont
désormais des outsiders à la rhétori­
que populiste assumée qui caracolent
en tête des sondages. Le plus connu
d’entre eux, Nabil Karoui, qui demeure
favori malgré ses déboires judiciaires,
a choisi le registre caritatif et compas­
sionnel pour séduire les plus pauvres
las d’attendre en vain des réformes qui
amélioreraient leur quotidien. Les
autres candidats occupant ce créneau
assument des positions conservatrices
et se contentent, en matière économi­
que, d’avancer des propositions plus
ou moins fantaisistes censées remet­
tre en marche la Tunisie. Tous ont en
tout cas remisé au placard les ques­
tions sociétales, et aucun ou presque
ne se réclame d’une filiation bourgui­
bienne qui ne sert pas leurs ambitions.

Panne de projets de société
Avec cette présidentielle, la Tunisie
entre dans une nouvelle séquence de
sa trajectoire postrévolutionnaire.
D’une part, elle semble n’avoir plus
besoin de divinité tutélaire à laquelle
se référer, ni de leader charismatique
pour la guider. Ces deux figures ap­
partiennent au passé. Elles sont rem­
placées par des bateleurs populistes
n’ayant pour programme que leur
propre ascension et dont l’arrivée au
pouvoir engendrerait de nouvelles
formes de captation de l’Etat au pro­
fit d’intérêts qui précipiteraient son
démantèlement.
La Tunisie a en fait épousé la démo­
cratie en un moment de l’histoire où
les formes classiques de cette dernière
sont fragilisées par l’hégémonie d’un
système économique porteur des pi­
res inégalités et où, à défaut de répon­
ses claires des pouvoirs politiques aux

frustrations qu’elles engendrent, les
leaders populistes ont partout le vent
en poupe.
Est­ce à dire que l’ère des avancées
sociétales a vécu? A la fois conserva­
trice et moderniste, la société tuni­
sienne n’a pas pour souci de réclamer
l’élargissement du socle des acquis
bourguibiens – en matière de droits
des femmes notamment –, tout en y
demeurant attachée. Cela, les candi­
dats qui vont s’affronter dans les urnes
l’ont bien compris en n’évoquant, à de
rares exceptions près, aucun des sujets
touchant aux libertés individuelles.
Sur ce chapitre, c’est bien une pause
que les prochaines élections annon­
cent. Avec des candidats en panne de
projet de société et incapables de for­
muler des programmes crédibles capa­
bles de relever les défis économiques,
sociaux et environnementaux aux­
quels la Tunisie est confrontée, il faut
espérer qu’elles n’ouvrent pas la porte
à d’inquiétantes régressions.

Sophie Bessis est historienne.
Elle a notamment écrit « Histoire de
la Tunisie. De Carthage à nos jours »
(Tallandier, 528 p., 23,90 euros)

LA RÉFÉRENCE AU


« BOURGUIBISME »



  • CETTE VERSION


TUNISIENNE


DE LA MODERNITÉ


SOCIÉTALE – EST


PRATIQUEMENT


ABSENTE DES


DÉBATS


Sophie Bessis En Tunisie,


une présidentielle à l’ère


postrévolutionnaire


Pour l’historienne, la fin du clivage entre modernistes


et islamistes ne laissera aux prises, à la présidentielle


du 15 septembre, que des « bateleurs populistes »


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