Le Monde - 30.08.2019

(Barré) #1
0123
VENDREDI 30 AOÛT 2019 international| 5

Macron envoie


Sylvie Goulard à


la Commission


européenne


Fidèle du président, l’ex­ministre


avait démissionné après l’ouverture


d’une enquête sur le MoDem


Ursula von der Leyen en quête d’équilibres politiques et de parité


La future présidente de la Commission doit tenir compte des ambitions des capitales et s’assurer que le Parlement valide son équipe


bruxelles ­ correspondance

U


rsula von der Leyen es­
pérait connaître, le
26 août, le nom et le pro­
fil de tous les candidats désignés
par les capitales pour envisager
l’attribution des portefeuilles de
la Commission européenne
qu’elle présidera le 1er novembre,
et commencer ses rencontres
avec les intéressés. Après la dési­
gnation, le 28 août, de Sylvie Gou­
lard par la France, elle n’attendait
plus que le nom du futur repré­
sentant italien.
La responsable allemande a déjà
effectué une mini­tournée dans
certaines capitales. Elle va désor­
mais prendre en compte les ques­
tions d’équilibre politique et de
genre, et tenter d’intégrer les am­
bitions des différentes capitales.

La France privilégie l’obtention
d’un « gros » portefeuille à carac­
tère économique et financier. La
présidente devra aussi intégrer le
fait que les chefs d’Etat et de gou­
vernement ont déjà promis des
postes de vice­présidents à la libé­
rale danoise Margrethe Vestager
et au social­démocrate néerlan­
dais Frans Timmermans, candi­
dats malheureux à la présidence.
Les eurodéputés procéderont à
des auditions du 30 septembre
au 8 octobre et voteront pour le
nouveau collège le 23 octobre. Le
passage de l’assemblée parle­
mentaire par un exercice de trois
heures, assorti de dizaines de
questions, n’est pas un exercice
de pure forme. Il est basé sur un
questionnaire écrit auquel les
prétendants doivent répondre
préalablement pour démontrer

leurs aptitudes et justifier leurs
aspirations.
En 2014, avant la mise en place
de la « team Juncker », les eurodé­
putés avaient recalé une candi­
date slovène au portefeuille de
l’énergie. Un membre du parti
hongrois de Viktor Orban, le Fi­
desz, avait suscité la polémique
parce qu’il était censé gérer la ci­
toyenneté européenne. Finale­
ment, Tibor Navracsics a dû se
contenter d’un portefeuille am­
puté de cette compétence.

Limiter les risques de rejet
Jean­Claude Juncker avait initiale­
ment refusé six candidats. En se­
ra­t­il de même pour Mme von der
Leyen? Elle voudra donc limiter le
plus possible les risques de rejet à
Strasbourg, alors que certains
noms avancés par les capitales

suscitent déjà le débat. Laszlo
Trocsanyi, ancien ministre de la
justice hongrois, actuel eurodé­
puté du Fidesz – toujours affilié
au Parti populaire européen –, est
déjà dans le viseur d’une partie
du Parlement.
Comme les deux candidats pro­
posés par le gouvernement rou­
main : Bucarest a avancé le nom
de Rovana Plumb et de Dan Nica,
des proches de l’ancien ministre
et homme fort de la gauche Liviu
Dragnea, incarcéré en mai. La pre­
mière, ancienne ministre de l’en­
vironnement, puis de la gestion
des fonds européens, est mise en
cause pour des décisions favora­
bles à une société proche de
M. Dragnea. Le second est accusé
d’avoir reçu des pots­de­vin.
Mme von der Leyen a, en revan­
che, déjà été confrontée au pro­

blème polonais : Krzysztof Szc­
zerski, candidat désigné par le
gouvernement ultraconserva­
teur de Varsovie, a retiré sa candi­
dature le 26 août. La présidente
entendait confier le département
de l’agriculture à cet euroscepti­
que, alors que son pays exigeait
un portefeuille économique ou
financier. Finalement, Varsovie a
avancé (pour l’agriculture) le nom
de Janusz Wojciechowski, un juge,
eurodéputé de 1999 à 2019 et ac­
tuel commissaire à la Cour des
comptes européenne.
Deux autres candidats sont sur
la sellette. Le Lituanien Virginijus
Sinkevicius, présenté comme un
candidat « vert » (le seul), n’est
pas reconnu comme tel par le
groupe écologiste. « Il est membre
d’un parti paysan dont nous abri­
tons deux élus, mais il n’est pas

membre du Parti vert européen »,
précise le coprésident de ce
groupe, Philippe Lamberts.
Didier Reynders, actuel minis­
tre des affaires étrangères belge,
est, lui, en butte à l’hostilité, dans
son pays, de la droite nationaliste
et de l’extrême droite flamandes,
qui contestent sa désignation par
l’actuel premier ministre et futur
président du Conseil européen,
Charles Michel.
La vraie difficulté pour l’ex­mi­
nistre allemande sera d’assurer,
au sein de son collège, la stricte
parité qu’elle a annoncée. Avant la
décision de l’Italie, elle avait reçu
les dossiers de quatorze hommes
et de dix femmes seulement.
Alors qu’à Strasbourg les députés
comptent bien l’obliger à respec­
ter sa promesse.
sophie petitjean et j.­p. s.

bruxelles ­ bureau européen

E


t de trois. Après avoir en­
voyé Christine Lagarde à
la tête de la Banque cen­
trale européenne (BCE) et
obtenu pour Pascal Canfin la pré­
sidence de la commission chargée
de l’environnement au Parlement
européen, la plus importante de
l’assemblée, Emmanuel Macron a
choisi l’éphémère ministre des ar­
mées et ex­députée européenne
(MoDem) Sylvie Goulard pour oc­
cuper le poste de commissaire
européen réservé à la France.
Selon l’Elysée, c’est « l’expérience
européenne » de Mme Goulard,
mais aussi sa « vision des enjeux »
qui ont présidé au choix du chef de
l’Etat. « Nous sommes aujourd’hui
à un moment critique, la France
veut lancer un acte II européen,
pour avoir une Europe plus efficace
et plus ambitieuse : le président
voulait quelqu’un capable de por­
ter ce changement », explique une
conseillère de l’exécutif. « Sylvie
Goulard a une excellente réputa­
tion à la Commission, elle a une
qualité de travail reconnue, elle est
polyglotte, connaît très bien l’Alle­
magne », énumère­t­on à l’Elysée.
L’actuelle seconde sous­gou­
verneure à la Banque de France
est également une proche du
chef de l’Etat. Elle fut l’une des
premières à rallier le candidat
d’En marche !, rejoignant son
équipe de campagne dès octo­
bre 2016, à un moment où la can­
didature d’Emmanuel Macron
suscitait encore beaucoup de
scepticisme. « C’est une engagée
de la première heure, elle a écrit en
partie le programme européen du
président et partage totalement
sa vision », explique un proche.
Membre du premier gouverne­
ment d’Edouard Philippe en
juin 2017, Mme Goulard avait dé­
missionné de son poste quelques
semaines après sa nomination, à
la suite de l’ouverture d’une en­
quête préliminaire pour « abus de
confiance » visant son ex­parti, le
MoDem, dans l’affaire d’emplois
fictifs d’assistants au Parlement

européen. Une enquête qui avait
obligé Marielle de Sarnez (affaires
européennes) et François Bayrou
(justice) à quitter le gouverne­
ment. Le dossier a, depuis, été
élargi aux chefs d’« escroquerie »
et de « détournement de fonds pu­
blics », et confié à des juges d’ins­
truction du pôle financier.

Un « Blitz » à Strasbourg
Les magistrats s’intéressent no­
tamment à la réalité du travail ef­
fectué par les assistants parlemen­
taires européens de Sylvie Gou­
lard, élue députée à Strasbourg
en 2009 et réélue en 2014. Le cas de
Stéphane Thérou, ancien assistant
parlementaire européen de
Mme Goulard, puis directeur de ca­
binet de François Bayrou à Pau, les
intéresse tout particulièrement. Il
a été entendu par les enquêteurs
au début du printemps, et son do­
micile a été perquisitionné. De son
côté, Sylvie Goulard, pas plus que
les autres responsables du parti,
n’a pour l’instant été entendue. Ils
pourraient l’être à l’automne.
Selon nos informations, la déci­
sion d’envoyer Mme Goulard à
Bruxelles a fait l’objet d’un débat
dans l’entourage de M. Macron, ce
qui expliquerait le retard pris dans
la notification du choix français à
la Commission européenne. Plu­
sieurs ont notamment mis en
garde le chef de l’Etat sur le risque
de voir la candidate française refu­
sée par le Parlement européen, eu
égard à l’instruction en cours,
mais aussi aux révélations de la
presse sur les rémunérations que
Mme Goulard a touchées – plus de
10 000 euros brut par mois de 2013
à début 2016 selon ses propres dé­
clarations auprès des services du
Parlement européen – de l’Institut

Berggruen, un groupe de réflexion
américain, lorsqu’elle était dépu­
tée européenne.
« C’est un risque », reconnaissait
ce week­end un très proche du
chef de l’Etat. « Cette nomination
va créer un blitz à Strasbourg [siège
du Parlement], compte tenu de
l’ambiance déontologique du mo­
ment », s’inquiète un soutien
d’Emmanuel Macron, qui dit ne
pas comprendre l’entêtement du
président. « Berggruen, c’est une af­
faire Fillon au carré, cela va provo­
quer une déflagration. La décision
de la France est très imprudente »,
abonde un autre.
Figure reconnue à Bruxelles, en
raison des huit années qu’elle a
passées au Parlement européen,

Mme Goulard y a toujours été pro­
che du courant fédéraliste, incarné
par l’écologiste Daniel Cohn­Ben­
dit et par le député européen belge
Guy Verhofstadt. Elle est égale­
ment alliée de Mario Monti, an­
cien président du conseil italien et
ex­commissaire européen au mar­
ché intérieur. Elle fut aussi con­
seillère de Romano Prodi, alors
président de la Commission.
L’intéressée n’est pas désireuse
de s’exprimer avant son audition
par le Parlement européen, selon
son attachée de presse, Isabelle
Clap. Celle­ci indique que
Mme Goulard n’est pas au courant
d’une éventuelle audition à
l’automne sur le dossier des em­
plois fictifs et souligne, à propos

de la collaboration avec la Fonda­
tion Berggruen, que cette activité,
compatible avec un mandat d’élue
européenne, s’est déroulée en
toute légalité et a été déclarée au
service du Parlement de Stras­
bourg. Le rôle de conseillère de
l’ex­eurodéputée s’expliquerait
notamment par sa proximité avec
des membres de cette institution,
dont Mario Monti et Romano
Prodi. « Ce qu’on ne souligne
jamais c’est que Mme Goulard
travaillait simultanément, comme
bénévole, pour ATD Quart
Monde », indique Mme Clap.
Jugé « à haut risque » par une
source bruxelloise, « audacieux »
par une autre, le choix du prési­
dent français est, en tout cas, pro­

mis à débat. Car Sylvie Goulard est
aussi connue pour son franc­par­
ler et pour ce que beaucoup assi­
milent à une célèbre « arrogance
française ». Mme Goulard fait tou­
tefois l’unanimité pour ce qui est
de sa connaissance de dossiers
tels que la défense européenne ou
les grandes questions économi­
ques. Sur celles­ci, elle a abon­
damment travaillé lors de la crise
de la zone euro. Sa désignation
laisse entendre que l’objectif de
Paris serait de décrocher un
« grand » portefeuille économi­
que et financier, voire la concur­
rence, plutôt qu’un poste lié à la
politique climatique.
simon piel, cédric pietralunga
et jean­pierre stroobants

Certains ont mis
en garde Macron
sur le risque de
voir la candidate
refusée

Sylvie
Goulard,
alors ministre
de la défense,
dans son
bureau,
à Paris,
le 15 juin 2017.
JOEL SAGET/AFP

l’annonce de la décision
d’Emmanuel Macron de choisir
Sylvie Goulard comme com­
missaire européenne a suscité
les critiques de l’opposition, qui
s’interroge sur l’apparente con­
tradiction entre la démission
du gouvernement de Mme Gou­
lard en juin 2017, à la suite de
l’ouverture d’une enquête préli­
minaire pour « abus de con­
fiance » visant son ex­parti, le
MoDem, sur l’affaire des assis­
tants parlementaires euro­
péens, et sa promotion deux
ans plus tard au sein de l’exécu­
tif bruxellois, alors que cette en­
quête n’est toujours pas termi­
née. « Je suis très gêné, a déclaré
Yannick Jadot, député européen
et tête de file d’Europe Ecologie­
Les Verts, mercredi sur RMC. On
ne devrait pas autoriser au ni­
veau européen ce qu’on empê­
che de faire au niveau français.

C’est un peu ancien monde. » Des
arguments réfutés au sommet
de l’Etat. « Si on avait le moindre
doute sur la procédure judiciaire
en cours, on n’aurait pas fait ce
choix », assure un conseiller, re­
levant qu’aucune avancée n’a
été constatée dans l’enquête de­
puis deux ans.
Le choix d’Emmanuel Macron
tend également les relations
avec François Bayrou, son prin­
cipal allié. En juin 2017, le garde
des Sceaux n’avait pas caché sa
colère de devoir quitter le gou­
vernement après la démission
de Mme Goulard, qui ne l’avait
pas informé de sa décision. A
l’époque, M. Bayrou avait argué
qu’il s’agissait d’un choix « per­
sonnel » et qu’il ne remettait pas
en question la participation de
son parti au gouvernement.
Las, le maire de Pau et Marielle
de Sarnez, alors ministre des

affaires européennes, elle aussi
membre du MoDem, n’avaient
pas tenu vingt­quatre heures
avant de devoir rendre les clés
de leurs ministères.

« Crise d’ego »
Selon plusieurs sources, Fran­
çois Bayrou aurait dit au chef de
l’Etat que nommer Mme Goulard
serait une erreur. « Il ne com­
prend pas la décision de Macron,
c’est un mystère pour lui », as­
sure un proche du chef de file
centriste. Certains y voient
même une mauvaise manière
du chef de l’Etat vis­à­vis de ce­
lui qui avait donné un coup
d’accélérateur à la campagne
présidentielle du candidat d’En
marche !, en annonçant son ral­
liement deux mois avant le pre­
mier tour du scrutin, alors que
M. Macron faisait du surplace
dans les sondages. Ces indigna­

tions font sourire parmi les sou­
tiens du président. « La nomina­
tion de Goulard n’est pas une
prise de distance, c’est une crise
d’ego de Bayrou », s’amuse un
pilier de la majorité. « Bayrou
aimerait copiloter la machine
avec Macron, mais il faut qu’il
comprenne qu’il ne peut pas ga­
gner tous les arbitrages. Si on de­
vait renoncer à tout ce qui
l’énerve, on ne ferait plus rien! »,
ajoute un autre. D’ailleurs, il
n’est pas question de revenir sur
l’alliance entre les deux partis.
« Nous avons besoin du MoDem
pour les prochaines échéances
électorales », explique l’un des
stratèges de LRM, en ajoutant :
« A la condition que le MoDem
soutienne bien les listes pro­Ma­
cron aux municipales. » Tou­
jours alliés, mais pas à n’im­
porte quelles conditions.
c. pi.

Une désignation qui passe mal pour l’opposition et pour Bayrou

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