Courrier International - 29.08.2019

(Brent) #1
UN FILM DE
OLIVER LAXE

UN FILM DE
OLIVER LAXE

LE 4 SEPTEMBRE


MIRAMEMIRA, 4 A 4 PRODUCTIONS, TARANTULA, KOWALSKI FILMSprésentent

«CAPTIVANT»
Le Monde

«ARDENT»
Libération

«INCANDESCENT»
Première

«LYRIQUE»
Transfuge

Courrier international — no 1504 du 29 août au 4 septembre 2019 EUROPE. 25


SOURCE

RESPEKT
Prague
Hebdomadaire
33 000 exemplaires
respekt.cz
Rare titre tchèque à proposer
une analyse complexe
de l’actualité dans le monde,
Respekt est devenu, depuis son
lancement en 1989, dès la chute
de l’ancien régime communiste,
le média de référence
en matière de presse écrite
en République tchèque. Bien
que propriété de Zdeněk Bakala,
un milliardaire controversé
qui a fait fortune notamment
dans l’industrie minière,
cet hebdomadaire d’orientation
libérale se distingue par son ton
critique. Fort d’un lectorat
majoritairement jeune, urbain
et instruit, le magazine met
l’accent sur les reportages
d’investigation et les thèmes
de société.

“En 1989, j’ai senti


qu’il y avait de grandes


possibilités dans l’air.”
Miroslav Svec,
FONDATEUR DES NOMADS OF PRAGUE


prédilection de la flottille de Nomads of
Prague – essentiellement parce qu’elle
possède, selon Svec, le meilleur réseau
de service dans toute l’Europe. Dans une
activité où il importe d’arriver chaque
soir en temps voulu dans un club d’un
autre pays, c’est un détail clé.
Au début, passer la frontière entre ce
qui était l’Europe de l’Est et l’Europe de
l’Ouest avec un véhicule immatriculé en
République tchèque et avec un passeport
tchèque était à chaque fois ou presque


la garantie d’une forte montée d’adré-
naline. “Nous étions une cible facile pour
tous les mecs en uniforme”, ajoute Tomas
Mladek, qui confirme que tout voyage avec
le groupe était synonyme de contrôles
par les douaniers ou la police. “Ce que
nous faisons entre difficilement dans les
colonnes des formulaires et dans l’imagi-
nation des gendarmes. Et cela est encore
valable aujourd’hui”, précise Svec.
Un groupe en tournée est un étrange
phénomène : il ne s’agit ni de tourisme
ni d’un transport de marchandises. En
outre, un matériel onéreux est transporté,
qui est la cause de la suspicion des doua-
niers, qui ne croient pas qu’une bande
de Tchèques ne cherchera pas à vendre
amplis et instruments à l’Ouest. Malgré
tout cela, Nomads of Prague se targue du
fait qu’il n’est encore jamais arrivé qu’un
groupe ne puisse pas respecter ses enga-
gements parce que le matériel pour le
concert ne serait pas arrivé.
“On pense parfois que c’est un jeu – les
chevaliers partent à la conquête de l’Eu-
rope”, s’amuse Mladek, qui se souvient
avec Svec de l’époque où ils ont emprunté
pour la première fois toutes les routes
qu’ils connaissent désormais par cœur.
Une époque sans GPS où, avant d’arri-
ver dans une nouvelle ville étrangère,
il fallait s’arrêter dans une station-ser-
vice et étudier la carte qui se trouvait
sur place. Personne ne voulait donner
10 ou 15 euros pour l’acheter, et Mladek
apprenait donc l’itinéraire par cœur
ou le dessinait sur un bout de papier
et décomptait les rues qui menaient
jusqu’au club. Quand il se trompait et
qu’ils ne trouvaient pas, il ne restait plus
qu’une solution : “On tournait dans les
rues jusqu’à ce qu’on tombe sur un punk
qui nous indique la route.”
Depuis ces débuts quelque peu sau-
vages, les Nomads of Prague se sont pro-
gressivement professionnalisés jusqu’à
devenir ce qu’ils sont aujourd’hui. Au
tournant du millénaire, ils ont commencé


à coopérer avec des clients aux noms
célèbres, qui leur sont restés fidèles
depuis. Des groupes comme Converge,
NOFX ou Shellac leur font confiance lors
de chaque tournée en Europe. Preuve de
l’excellente qualité des relations qu’ils
entretiennent avec les groupes, le trio ins-
trumental de post-rock Russian Circles,
de Chicago, a intitulé un de ses meilleurs
morceaux Mladek. Précisément du nom de
Tomas Mladek, qu’ils présentent comme
“un dur, costaud, broussailleux et tatoué
d’Europe de l’Est, avec de riches connais-
sances en histoire”.
Si, autrefois, la gageure était de fran-
chir les frontières avec une voiture rem-
plie d’individus suspects, aujourd’hui
ce sont les policiers qui contrôlent les
véhicules en surcharge qui leur donnent
des rides. Les camionnettes sont sou-
vent dans leur collimateur. Le nombre
de camionnettes qui transportent de
lourdes charges augmente sur les auto-
routes européennes, car il y a moins
de restrictions en vigueur que sur les
camions. Nomads of Prague a résolu
le problème en ajoutant une remorque.
Mais, dans certains pays, un chronota-
chygraphe est obligatoire, comme pour
les autocars et les camions. Les montants
des amendes prévues pour ce type d’in-
fractions sont si élevés qu’ils font perdre
tout intérêt financier au transport de
matériel pour un concert.
“La situation évolue de telle manière
que, si les règles restent en l’état actuel, les
groupes de moyenne taille disparaîtront pro-
gressivement. Voyager ne sera plus possible
financièrement que pour les petits groupes
qui se déplacent en voiture ou, inversement,
pour les grands qui ont les moyens d’avoir
un camion”, regrette Mladek. Svec pré-
tend d’ailleurs qu’il commence à se faire
à l’idée que Nomads of Prague cessera ce
type d’activité pour se concentrer plei-
nement sur l’autre composante de leur
entreprise, la location de matériel et d’ins-
truments pour les musiciens, studios et
festivals tchèques.

Vilains douaniers. “Je sens que l’espace
pour les gens comme nous, qu’on ne sait pas
trop bien dans quelle case ranger, se res-
treint ces dernières années”, ajoute Mladek,
qui illustre son propos par la commer-
cialisation croissante de la scène musi-
cale depuis les années 1990. Avec la forte
inflation des prix du logement et de l’im-
mobilier dans les grandes villes d’Europe
de l’Ouest, le nombre de squats et autres
lieux de ce type propices à l’expression
d’une culture alternative s’est considé-
rablement réduit.
D’une même voix, l’un comme l’autre
ajoutent immédiatement que ce n’est pas
là un argument contre le projet européen.
Ils sont satisfaits du fonctionnement de
la société européenne. Ils la connaissent

dans ses moindres détails et avec tous
ses stéréotypes, justifiés comme injusti-
fiés. Mladek prétend n’avoir plus besoin
que d’un coup d’œil sur le programme
d’une tournée avec les lieux et les villes
des concerts pour savoir immédiatement
ce qui l’attend. Il explique en forçant
volontairement le trait qu’un concert
en Italie ne commence jamais à l’heure
prévue, qu’en Allemagne le groupe est
toujours traité aux petits oignons, que
les douaniers bulgares peuvent prendre
un malin plaisir à les contrôler scrupu-
leusement, mais que quelques kilomètres
plus loin leurs collègues macédoniens
peuvent les accueillir avec le sourire en
écoutant Led Zeppelin.
“Au fil des voyages, on comprend très
vite que lorsque les choses fonctionnent
quelque part autrement que ce à quoi on
a été habitué chez soi, cela ne signifie pas
automatiquement qu’elles ne fonctionnent
pas bien, résume Mladek. Si tout le monde
pouvait avoir la même expérience que la
nôtre, je pense que cela permettrait d’éli-
miner la xénophobie.”
—Pavel Turek
Publié le 25 mars
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