Courrier International - 29.08.2019

(Brent) #1

Grâce à ses nombreux notes et carnets, il
va ensuite digérer, trier et publier les résultats
de son expédition au cours des années suivantes.
Ses livres regorgent d’une telle multitude d’informa-
tions, de chiff res, d’illustrations et de cartes qu’ils vont
changer le point de vue des Européens sur les colonies.
Après la publication de ses travaux, personne ne peut
affi rmer que le continent américain est inférieur à l’Eu-
rope [et que les populations indigènes appartiennent à
des civilisations arriérées, appelées à disparaître devant
l’avancée du progrès — une croyance alors répandue sur
le Vieux Continent]. Sa nature est luxuriante et pleine
de ruines antiques laissant deviner le passé de civili-
sations brillantes. L’avenir de cette région du monde
semble radieux et les travaux de Humboldt contribuent
à donner confi ance en eux-mêmes à ses habitants. C’est
pour cette raison que le célèbre libérateur sud-améri-
cain Simón Bolívar le considérait comme le véritable
“découvreur du Nouveau Monde”.
—Timothy Rooks
Publié le 19 juillet


UNE VAGUE DE COMMÉMORATIONS
Le 250e anniversaire de la naissance d’Alexander
von Humboldt est célébré aussi bien en Europe qu’en
Amérique du Sud. Conférences, expositions et autres
événements sont répertoriés sur le site humboldt-
heute.de, accessible en allemand et en anglais.

SOURCE

DEUTSCHE WELLE
Bonn, Allemagne
http://www.dw-world.de
Créée en 1953, cette radio en 30 langues
a l’ambition, à l’instar de la chaîne française
RFI, de “présenter l’Allemagne à l’étranger”.
Aujourd’hui, DW diff use également des
programmes de télévision. Son site Internet
multilingue propose un point de vue
allemand sur le monde et l’actualité.

Courrier international — n 1504 du 29 août au 4 septembre 2019 360 o. 41


Le premier génie


universel
Le scientifi que allemand a été, à plus
d’un titre, l’un des grands précurseurs
de la mondialisation. Lu et admiré par
Darwin, Alexander von Humboldt était
un scientifi que comme seul pouvait en
produire le XIXe siècle, un esprit curieux
et insatiable, un grand voyageur,
un touche-à-tout de génie. Zoologie,
chimie, physique, vulcanologie,
botanique, océanographie,
ethnologie... La liste est longue des
disciplines dans lesquelles il s’est
illustré. “Mais on oublie souvent
qu’il était aussi un inventeur”,
souligne la Süddeutsche Zeitung.
On lui doit le concept des isobares
et des isothermes, toujours utilisé
en météorologie. Il avait également
mis au point une encre indélébile
(raison pour laquelle les carnets
de son périple sur l’Orénoque sont
encore lisibles aujourd’hui, malgré
le naufrage dont il a été victime sur
le fl euve vénézuélien) et un lointain
prototype de masque à oxygène, pour
mieux respirer en haute altitude.
Surtout, Humboldt
a révolutionné notre
compréhension du monde
grâce à son art de la
synthèse. “Il a interprété
la Terre, dans des termes
scientifi ques modernes,
comme un système total”,
écrit la London Review
of Books. En mettant
en correspondance ses
découvertes et les connaissances
de son temps, il a élaboré ce que
Die Zeit appelait en 2018, dans un
hors-série consacré à l’histoire des “derniers grands
aventuriers”, une “science du mouvement” :
“Ce n’est pas seulement le chercheur qui voyage, non,
tout bouge : les continents, les animaux, les plantes,
les hommes, le cosmos dans son ensemble.”
Que le savant décrive un paysage ou une personne
rencontrée, qu’il mesure la hauteur du soleil
ou discoure sur le creusement d’un canal, “chaque
élément est décrit avec soin, mais aussi mis en
relation avec les autres”, poursuit l’hebdomadaire.
“Humboldt l’a compris : ‘Tout est interaction.’ Rien
n’existe pour soi, rien n’est statique. Le mouvement est
la clé de sa compréhension du monde.” Ses périples
aux Amériques et en Russie (en 1829, aux frais du tsar,
cette fois) ont rendu Alexander von Humboldt
immensément populaire. Mais, homme du XIXe siècle,
il n’aurait jamais acquis la stature qui était la sienne
sans l’essor des journaux et des magazines. La légende
veut qu’à sa mort il n’y avait que Napoléon pour
le dépasser en célébrité. Or, relève la Süddeutsche
Zeitung, “ses livres seuls ne lui auraient pas permis
d’accéder à une telle renommée mondiale”. Grâce

Repères


Agenda


à la presse, ses écrits ont été “publiés à Londres
et à Paris, à Madrid et à Amsterdam, à New York
et à Moscou, à Bruxelles et à Washington, à Calcutta
et à Sydney”. La popularité du chercheur transparaît
aujourd’hui dans le nombre de rues, de places et de
villes qui portent son nom en Allemagne, en Amérique
latine et aux États-Unis. Il a aussi donné son nom à
un courant marin dans le Pacifi que, et à “un manchot,
une chauve-souris, un cactus, une orchidée,
un champignon et un gros, très gros calamar”, détaille
la London Review of Books. Et jusque sur la Lune,
où se trouve la mer de Humboldt.

, L’ANNÉE HUMBOLDT
Si Alexander von Humboldt était
une star mondiale à sa mort,
en 1859, il avait au XXe siècle
largement sombré dans l’oubli.
Deux ouvrages l’ont récemment
remis au goût du jour. Tout d’abord
le roman Les Arpenteurs du monde,
de l’écrivain austro-allemand Daniel Kehlmann.
Paru en 2005 et traduit en français chez Actes Sud,
ce best-seller met en scène un scientifi que maniaque
qui espère percer l’essence des choses en les
mesurant de toutes les façons possibles. Lui a
succédé en 2015 une magistrale biographie publiée
par Andrea Wulf, traduite en français sous le titre
L’Invention de la nature (éd. Noir sur Blanc).
L’historienne britannique y présente Humboldt
comme un savant à la fois visionnaire qui,
avec sa compréhension systémique du monde,
s’impose comme un pionnier de l’écologie. Parce que
tout est pour lui interaction, il saisit avant d’autres
la façon dont l’homme transforme inéluctablement
son environnement. Alors que l’inquiétude grandit sur
l’état de la planète et l’avenir de l’humanité, cette
facette du personnage suscite un intérêt particulier.
Elle est souvent mise en avant dans les
commémorations organisées cette année pour
le 250e anniversaire de la naissance de Humboldt.
En témoigne la une que Die Zeit a consacrée à cet
anniversaire, titrée “Le premier défenseur de
l’environnement”.

Ceci est le dernier épisode de notre série consacrée
aux grands explorateurs. Vous pouvez la retrouver
en intégralité sur notre site Internet.

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