Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1

6 7


nature nouvelle et tout à fait particulière,
associés à certains états d’esprit déterminés.
Un certain nombre d’autres gestes, qui
nous semblent tellement naturels que nous
pourrions aisément nous imaginer qu’ils sont
innés, paraissent pourtant avoir été appris
comme les mots du langage. Je citerai, par
exemple, celui qui consiste à élever les mains
jointes et à porter les yeux au ciel lorsqu’on est
en prière ; il en est de même de l’acte d’embras-
ser quelqu’un en signe d’affection ; toutefois
ce dernier acte peut être regardé comme inné,
en tant que résultant uniquement du plaisir
que fait éprouver le contact d’une personne
aimée. Il n’est pas parfaitement certain que
l’habitude d’incliner ou de hocher la tête, en
signe d’affirmation ou de négation, soit héré-
ditaire ; car elle n’est pas universellement
répandue ; cependant elle est trop générale
pour qu’on puisse penser qu’elle ait été acquise
isolément par chacun des individus d’un si
grand nombre de races.

Nous allons maintenant nous demander
jusqu’à quel point la volonté et la conscience
ont pris part au développement des divers
mouvements de l’expression. Autant que nous
pouvons en juger, il n’y a qu’un très petit
nombre de mouvements, tels que ceux dont
nous venons de parler en dernier lieu, qui aient
été appris individuellement, c’est-à-dire qui
aient été accomplis d’une manière con-
sciente et volontaire pendant les premières
années de la vie, dans un but déterminé

o u p a r l’imitation de nos semblables, et qui
soient ensuite devenus habituels. L’immense
majorité des mouvements expressifs, et les plus
importants, sont, comme nous l’avons dit,
innés ou héréditaires ; on ne peut donc pas
dire qu’ils sont sous la dépendance de la
volonté de chaque individu. Cependant tous
ceux qui dérivent de notre premier principe ont
d’abord été accomplis volontairement dans un
but déterminé, soit pour échapper à quelque
danger, soit pour soulager quelque douleur ou
pour satisfaire quelque désir. Par exemple, on
ne peut guère mettre en doute que les animaux
qui se défendent avec leurs dents et qui ont
l’habitude de coucher les oreilles lorsqu’ils sont
irrités, ne tiennent ce geste de leurs ancêtres,
qui se comportaient ainsi volontairement pour
préserver ces organes des coups de leurs anta-
gonistes ; en effet, les animaux qui ne se battent
pas à coup de dent n’expriment pas leur irri-
tation de cette manière. Il est de même très
probable que nous tenons de nos ancêtres
l’habitude de contracter nos muscles péri-ocu-
laires lorsque nous pleurons doucement, c’est-
à-dire sans pousser des cris ; et cela parce que
nos ancêtres ont éprouvé, quand ils pleuraient,
surtout pendant leur enfance, une sensation
désagréable dans leurs globes oculaires. Cer-
tains mouvements extrêmement expressifs
résultent aussi quelquefois des efforts que l’on
fait pour en réprimer ou pour en prévenir
d’autres ; ainsi l’obliquité des sourcils et
l’abaissement des coins de la bouche sont la
suite des efforts tentés pour prévenir un accès
Free download pdf