Le Monde + Magazine - 31.08.2019

(Kiana) #1
0123
SAMEDI 31 AOÛT 2019 économie & entreprise| 13

En Argentine, la Bourse et le peso s’effondrent


La demande de rééchelonnement de la dette par Buenos Aires au FMI a été mal accueillie par les marchés


R


elâcher la pression de la
dette publique pour éloi­
gner le risque d’un dé­
faut de paiement. L’Ar­
gentine a demandé, mercredi
28 août, au Fonds monétaire inter­
national (FMI) et aux détenteurs
d’obligations souveraines, un réé­
chelonnement de sa dette, contre
la promesse d’une cure d’austérité
budgétaire. Mais cette annonce
n’a pas rassuré les marchés finan­
ciers. Jeudi 29 août, l’indice Merval
de la Bourse de Buenos Aires s’est
effondré de 5,79 %, et le cours de la
devise argentine a perdu 3,5 % par
rapport au dollar, obligeant la ban­
que centrale à injecter plusieurs
centaines de millions de dollars
sur le marché des changes.
L’Argentine a la délicate mission
de rééchelonner le rembourse­
ment de 101 milliards de dollars
de dettes (91,5 milliards d’euros),
dont 44 milliards déboursés par
le FMI depuis 2018 (sur un enga­
gement de 57 milliards prévus
dans le plan de sauvetage) et
50 milliards en obligations de
long terme détenus par des inves­
tisseurs institutionnels. Un en­
dettement qui fait fuir les capi­
taux étrangers et affaiblit dange­
reusement le peso, qui a perdu
20 % de sa valeur au cours des
deux dernières semaines.
Pour enrayer sa chute, la banque
centrale argentine ne cesse de ra­
cheter des pesos au risque d’épui­
ser ses réserves en dollars qui ont
fondu de près de 25 % au cours des
quatre derniers mois. Les annon­
ces de mercredi « devraient atté­
nuer la pression sur le marché des
changes, réduire la demande éven­
tuelle de devises et garantir la dis­
ponibilité des ressources pour li­

miter la volatilité », estime le pré­
sident de la banque centrale,
Guido Sandleris.
Le nouveau ministre des finan­
ces, Hernan Lacunza, en fonction
depuis le 17 août, a répété, mer­
credi, que la stabilité de la devise
argentine était sa priorité. Mais, en
annonçant un rééchelonnement
de la dette, il a implicitement re­
connu que celle­ci était devenue
insoutenable. « Le gouvernement a
commis l’erreur d’annoncer un réé­
chelonnement de la dette du FMI,
avant même d’attendre les conclu­
sions du comité d’évaluation du
Fonds ; il fait donc lui­même aveu
d’impuissance face à un endette­
ment colossal », analyse Monica de
Bolle, chercheuse au think tank
américain Peterson Institute for
International Economics.

« Pas d’autre choix que l’austérité »
L’annonce du gouvernement
coïncidait avec la fin d’une mis­
sion technique de quelques jours
du FMI dans le pays. L’institution
de Washington s’est voulue rassu­
rante, en soulignant, dans un com­
muniqué publié mercredi, que
d’« importantes mesures » avaient
été prises « pour répondre aux be­
soins en liquidités et pour sauve­
garder les réserves monétaires ».
Le Fonds s’est enfin engagé à
« continuer à être aux côtés » du
pays « en ces temps difficiles ». Les
obligations détenues par les par­
ticuliers seront les seules à être
épargnées par le plan de rééche­
lonnement. Une mesure de pré­
caution qui fait craindre le pire
aux institutionnels quant à leurs
créances. Les détenteurs d’obliga­
tions en devise étrangère de­
vraient, dans les prochains jours,

former un consortium pour enta­
mer des négociations avec les
autorités argentines. « Demander
aux détenteurs d’obligations de re­
pousser l’échéance de rembourse­
ment équivaut à un défaut de paie­
ment, même si cela n’en porte pas
le nom », indique Edward Glossop,
analyste au cabinet britannique
Capital Economics, qui ajoute :
« Le calendrier politique devrait
toutefois inciter les créditeurs à ac­

cepter rapidement les conditions
posées par le gouvernement. »
La perspective de l’arrivée au
pouvoir, en Argentine, le 10 dé­
cembre, d’un péroniste de centre
gauche attise les craintes des
créanciers. Après avoir remporté
les primaires du 11 août, Alberto
Fernandes est presque assuré de
sortir en tête des élections du
27 octobre. S’il est élu, les investis­
seurs craignent un retour à un po­
pulisme de gauche et à une politi­
que laxiste. Sa colistière, l’ex­prési­
dente Cristina Fernandez de Kirch­
ner, est une opposante de longue
date au plan du FMI.
Celle­ci avait imposé au cours de
ses mandats (2007­2015) le con­
trôle des capitaux, le blocage des
prix ou les nationalisations.
Autant de mesures qui n’ont pas
laissé que des bons souvenirs. Au
cours de la semaine qui a suivi la
victoire d’Alberto Fernandez aux
primaires, le peso et l’indice Mer­
val de la Bourse de Buenos Aires
ont perdu environ un tiers de leur

valeur. Dans la foulée, les agences
de notation Fitch Ratings et Stan­
dard & Poor’s ont abaissé la note
souveraine de l’Argentine, redou­
tant une détérioration de la situa­
tion macroéconomique. « En fait,
le prochain président n’aura pas
d’autre choix que l’austérité budgé­
taire », relativise Monica de Bolle.
La confiance sera d’autant plus
difficile à rétablir que l’Argentine
souffre d’une réputation de mau­
vais payeur. Les investisseurs se
souviennent encore du plus
grand défaut de paiement de l’his­
toire, lorsque, en 2001, le pays
avait cessé de rembourser près de
95 milliards de dollars d’obliga­
tions. Qu’elle échappe ou non au
défaut de paiement, l’Argentine
s’apprête à vivre des mois diffici­
les. Son économie, en récession
depuis 2018, enregistre l’une des
inflations les plus élevées au
monde. Le tiers de la population
vit sous le seuil de pauvreté et un
enfant sur dix souffre de la faim.
julien bouissou

« Demander
de repousser
l’échéance de
remboursement
équivaut à un
défaut de
paiement »
EDWARD GLOSSOP
analyste chez Capital
Economics

Une fois de plus, les machines à
laver et les pick­up ont sauvé
l’Amérique. Leur président joue
les va­t­en­guerre, l’économie
mondiale tourne au ralenti, les
entreprises et les marchés sont
de plus en plus nerveux, mais les
Américains n’en ont cure. Ils ont
un job, les salaires augmentent et
ils font la queue au supermarché
Walmart pour remplir leurs voi­
tures. Il en est comme cela depuis
l’après­guerre : aux Etats­Unis,
quand le consommateur va, tout
va. Normal, puisque la consom­
mation représente plus de 70 %
de l’économie américaine. La dé­
monstration en a encore été faite,
jeudi 29 août, avec la publication
des indicateurs de conjoncture
pour le deuxième trimestre. La
croissance faiblit sérieusement,
mais s’affiche encore à 2 %, et est
largement soutenue par les em­
plettes des particuliers, qui ont
bondi de 4,7 %, et même de pres­
que 9 % pour les achats de biens
durables comme les automobiles
ou l’équipement de la maison.
Donald Trump peut se pavaner
sur Twitter, l’économie améri­
caine « est en pleine forme ».

La perspective d’une récession
Pourtant, l’inquiétude gagne à
la Maison blanche. Car les autres
moteurs de l’économie semblent
de plus en plus fragiles. Les entre­
prises n’investissent plus et les
exportations chutent encore, de
presque 6 %. Trump a réussi la
moitié de son pari, redonner du
pouvoir d’achat aux salariés et est
en train de perdre l’autre, refaire
de l’Amérique une grande nation
industrielle exportatrice sur le
modèle mercantiliste chinois ou

allemand. Plus il s’entête dans la
guerre commerciale, plus ses en­
treprises peinent à exporter. Pas
vraiment l’effet recherché. Et le
renchérissement des importa­
tions finira par freiner les achats.
Inquiet pour sa réélection,
il adoucit son discours martial
et laisse entendre qu’il pourrait
octroyer de nouvelles baisses
d’impôts aux classes moyennes.
La ficelle est de plus en plus
grosse, et la perspective d’une
récession en 2020 se précise.
De l’autre côté de l’Atlantique, la
France a exactement le problème
inverse. Sa croissance est moins
flamboyante, 0,3 % entre avril et
juin, mais elle est meilleure que
prévu. Pourtant, les consomma­
teurs ne sont pas au rendez­vous,
alors que le gouvernement n’a
pas hésité depuis un an à lâcher
plusieurs dizaines de milliards
d’euros en cadeaux fiscaux, pri­
mes et réductions de charge pour
augmenter le pouvoir d’achat des
ménages. Rien à faire, l’argent
part directement sous le matelas
de ces incorrigibles épargnants.
En revanche, bonne nouvelle, les
entreprises ont le moral. Contrai­
rement à leurs collègues améri­
caines, elles investissent avec
constance, misant sur un réveil
du consommateur qui retrouvera
peut­être le chemin des maga­
sins, à l’heure même où son ho­
mologue américain sonnera la
retraite. La France est historique­
ment habituée à de tels décalages
dans les cycles économiques.
Mais elle ne sera pas immunisée
à terme contre les effets néfastes
d’une récession américaine. Les
consommateurs se ressemblent
tous et auront le dernier mot.

PERTES & PROFITS|ÉTATS­UNIS­FRANCE
p a r p h i l i p p e e s c a n d e

Chassé-croisé


de consommateurs


LES  CHIFFRES


3 %


C’est l’ampleur de la contraction
du produit intérieur brut prévue
en 2019, selon le cabinet britan-
nique Capital Economics.

54,4  %
C’est le taux d’inflation en Argen-
tine, sur les douze derniers mois.

70 %
C’est le taux directeur de la ban-
que centrale argentine, l’un des
plus élevés du monde.

59 MILLIARDS
C’est le montant des réserves en
dollars (53,4 milliards d’euros) de
la banque centrale. Elles attei-
gnaient 77 milliards mi-avril.

OpéraBastille-Théâtredes Bouffes du Nord-Cinéma BeauRegard

Programme et inscription surfestival.lemonde.fr


imagine 4-7 octobre 2019

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