Le Monde + Magazine - 31.08.2019

(Kiana) #1
Photo Anaïs Boileau pourMLemagazine du Monde —31 août 2019

Sarkozy,l’avocat Richard Malka, la
cinéaste Rebecca Zlotowski, le journaliste
Laurent Joffrin, les écrivainsTahar Ben
Jelloun et David Foenkinos... Henri Nijdam
est invitéàtoutes ses fêtes, elle lui présente
parfois des investisseurs pour son journal.
«Les gens ne comprennent pas pourquoi on
est séparés et pourquoi on est toujours en
fusion. Ils auraient voulu que ça finisse mal.
Notre relation n’est pas toujoursàl’eau de
rose:onest en confrontation permanente.
Mais onacréé une “indispensabilité” réci-
proque »,confie cet ancien jockey.

D


ans la pénombre de
sonsalonécrasé
par la canicule de
cette fin juillet,
GaëlTchakaloff
est assise en
tailleur sur la
moquette
blanche, ses pieds nus dépassant d’une lon-
gue robe rouge. Elle sait qu’elle joue gros
avec ce premier roman. Nerveuse,elle tri-
pote ses cheveux, allume clope sur clope.
«J’avais très, très peur d’écrire un livre sur
moi,c’es td’une vulgarité crasse. Je n’arrive
pasàlerelire, c’est assez impudique comme
exercice. En même temps, c’est bien fait pour
moi »,corrige-t-elle d’elle-même. Elle y
dévoile ses relations avec les hommes
–exclusivement des hommes–qui ont
révélé celle qu’elle est devenue. Dominique
Strauss-Kahn, dont elleafait la connaissance
en 2002, et qu’elle voit moins depuis que les
épisodes Sofitel et Carlton lui ont fait perdre
sa«flamboyance ».Pendant des années, il a
débarqué chez elle, le soir,avec une bou-
teille de vin blanc. Elle raconte les goûters
rue Maillet, dans l’appartement oùTristane
Banon affirme avoir été agressée. Ramzi
Khiroun, quiàl’époque était l’ombre du
patron du FMI, apportait le saumon et les
blinis qui agrémentaient leurs soirées.
«Entre nous, la séduction voletait, bien sûr,
mais on s’en tenait là »,précise-t-elle. Autre
figure tutélaire:Richard Descoings, rencon-
tré la même année, encoreàl’occasion d’un
portrait. Le patron de Sciences Po, décédé à
NewYork en 2013, était«latransgression
incarnée,[son]dieu[à elle]n’obéissant qu’à
son bon vouloir »,dit-elle. DansVacarme,
elle raconte le cocktail sulfureux du
conseiller d’État–lesexe, l’alcool, la provoc.
Sur ses conseils, elle n’a jamais pris de carte
de presse :«Netemélange pasàlameute,
ma belle »,lui aurait-il glissé alors qu’il
ouvrait une école de journalisme. Elle
connaît son troisième parrain, Franz-Olivier
Giesbert, depuis vingt ans. Il luiaappris que

les règles et les limites, c’est pour les autres.
Maintenant, ils ont en commun la maladie.
GaëlTchakaloffporte trois cancers pour les-
quels elle est suivie de près, ce qui explique
peut-être pourquoi elle vit comme si elle
avaitune grenade dégoupillée dans le sac à
main:«L’existence estàuntel niveau d’in-
tensité quand on la voit avec FOG!»,
s’émerveille un ami commun.«Lecôté
bande de voyous, ça m’a toujours attirée. Ils
te donnent l’impression de traverser la vie en
faisant lesquatre cents coups. »,résume-t-
elle. Car,bien sûr,celivre est avant tout une
galerie de portraits. Elle raconte joliment sa
relation sur le fil avec Étienne Gernelle, le
jeune et romanesque patron duPoint,qui
lui aouvert ses pagesàl’été 2018 pour
qu’elleytienne une chronique de la macro-
nie.«C’est un aventurier,c’est ce qui les

rapproche »,note un autre ami. Ensemble,
ils dansent, boivent, se font virer des restau-
rants et imaginent qu’ils écrirontàquatre
mains l’équivalent duQui se souvient des
hommes...de Jean Raspail. Ellereproduit
ses SMS,ses lettres, flingue au passage–for-
cément–savie amoureuse. Mais assure qu’il
adonné son accord pour tout.
«Jemesuis demandé comment je me suis
retrouvéeàgrenouiller dans un tel milieu,
expliqueTchakaloff.Il yavingt ans,jepensais
qu’ilyavait plus de gens intelligentsdans la
sphère du pouvoir,parce qu’ils sont moins
codifiés. Aujourd’hui, j’ai révisé mon jugement,
et mon appétence va aux créateurs. Maintenant
que je fréquente plus d’écrivains, je vois qu’il y
achez euxune distanceàsoi-même plusforte.»
Voilà, sans doute, qui l’a rapprochée de son
misanthrope de père, Pierre Buffet, 90 ans,
installé depuis toujoursàPort-Cros, un rocher
de six kilomètres sur quatre au large de
Hyères, dans leVar, 20 habitants en hiver.Un
parc naturel d’une sauvagerie raffinée, où Gaël
Tchakaloffapassé une enfance de Robinson
jusqu’à la séparation de ses parents, et dont
elle afait«[son]Tara,[son]éden, une zone de
non-droit qui rend libre et libertaire ».Elle y
revient dès qu’elle peut quitter Paris. Pierre
Buffet s’est trouvé, plus qu’il ne l’a voulu,
«parrain »de l’île lorsqu’ilahérité du
«Manoir »,une bâtisse transformée en hôtel
dans les années 1950 par sa grand-tante,
Marceline Henry.Dans l’entre-deux-guerres,
cette amoureuse des lettres et de la nature
accueillaitàPort-Cros, dans le sillage de l’écri-
vain Jules Supervielle, les auteurs de la NRF.
Àson tour,Pierre Buffetacultivé le côté
exclusif du lieu, méprisant«l’argent neuf »,
restant«très en arrière sur l’évolution du
monde».L’établissement est un monastère
quatre étoiles, avec chambres sans télé, où l’on
vient lire, nager et cultiver l’entre-soi.«Port-
Cros est en face de Brégançon et facileàsécuri-
ser.Enfant, au Manoir,j’ai vu Mitterrand et
Kohl, Pompidou et VGE. Mais ses amis étaient
plutôt le pianiste bulgare AlexisWeissenberg ou
le scomédiens Madeleine Renaud et Jean-Louis
Barrault... »,raconte GaëlTchakaloff.«Très
insulaire, Pierre Buffet vit dans une certaine
utopie et voit avec un drôle de regard ce monde
parisien dans lequel sa fille s’est jetéeàcorps
perdu. Ilaurait,aufond, aimé cette vie pour
lu i»,analyse Henri Nijdam.Tchakaloff, elle,
dit en être revenue et joue les réincarnations
de Marceline Henry.«Jecultive mon côté
rousseauiste, la nature inspiratrice de la créa-
tion...Onatous envie de sortir de l’urbanité,
del’efficacité,dutrop-plein de vitesse, de faire
prévaloirlacontemplation sur le rendement. »
Une amie, qui comme tant d’autres préfère
rester anonyme, confie en souriant:«Siça
l’amuse... Bien sûr,tout le monde sait que ça
lui passera... »

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