Cerveau et Psycho N°113 – Septembre 2019

(Ron) #1
DÉCOUVERTES Neuroanatomie
LE CERVELET, PETIT MAIS COSTAUD

la perception, la volonté, les réactions instinctives
ou même l’excitation sexuelle. C’est pourquoi
Flourens fut satisfait d’expérimenter pour la pre-
mière fois la question, et pensa ainsi mettre un
terme à la discussion. Les fonctions du cervelet
semblaient claires, à quelques détails près. Les
scientifiques et neurologues confirmèrent que les
patients atteints de lésions cérébelleuses avaient
des difficultés à se déplacer ou présentaient des
troubles de la motricité fine. Le cervelet était donc
essentiellement impliqué dans la coordination et
la synchronisation des mouvements. Toutefois, les
chercheurs qui s’intéressaient aux fonctions men-
tales supérieures, comme la planification et la
mémorisation, avaient jusqu’à présent négligé
cette petite partie du cerveau. Et quand ils se pen-
chèrent dessus, le cervelet ne sembla plus si petit...


LA MOITIÉ DE TOUTES LES CELLULES
DU CERVEAU
« Si vous regardez l’activité du cervelet en
imagerie cérébrale, vous constatez qu’environ
70 % de ses neurones n’ont apparemment presque
rien à voir avec le contrôle moteur. Seuls 30 %
s’activent vraiment quand on réalise des mouve-
ments », déclare Jörn Diedrichsen, neuropsycho-
logue à l’université Western Ontario de London
au Canada, et spécialiste des aptitudes motrices
humaines, comme la façon dont notre cerveau
contrôle les mouvements fins des mains lorsque
nous jouons du piano. Diedrichsen a publié un
atlas anatomique du cervelet, aujourd’hui la réfé-
rence en neuro-imagerie.
À quoi servent donc les deux tiers du cervelet
qui ne sont pas responsables des fonctions
motrices? Selon le neuropsychologue, « il est
maintenant clair que cette structure est impli-
quée dans tous les processus pour lesquels nous
utilisons également le reste de notre cerveau : les
pensées, les émotions, le langage et même la
mémoire ». En fait, il est de plus en plus évident
que même notre santé mentale dépend fortement
du fonctionnement du cervelet, bien que son rôle
exact ne soit pas encore toujours déterminé.
Quoi qu’il en soit, l’anatomie du « petit cer-
veau » indique qu’il s’agit bien d’un centre de trai-
tement des données extrêmement efficace. Bien
que ne représentant qu’environ un dixième du
poids du cortex cérébral, cet « organe » contient
plus de la moitié des cellules nerveuses du crâne.
Et il est relié à presque toutes les régions de son
grand frère, le cerveau, par divers faisceaux de
fibres. Le cervelet reçoit ainsi une grande quan-
tité d’informations du néocortex, la partie
externe du cortex cérébral responsable des pro-
cessus sensoriels et mentaux supérieurs. Il traite


les données à la vitesse de l’éclair et renvoie un
signal relativement simple. Et tout cela, grâce à
une structure anatomique qui n’a guère changé
au cours de l’évolution (voir l’encadré page 36).
Diedrichsen explique que « l’information pro-
venant du néocortex est analysée dans le cervelet
grâce à de grandes capacités de calcul ». Chaque
signal cérébral est en effet traité par environ
10 000 neurones cérébelleux, nommés cellules
granulaires qui comptent parmi les plus petits
neurones du cerveau. « Puis, le calcul est simpli-
fié : environ 200 000 cellules granulaires sont
reliées à une seule cellule dite de Purkinje dans
le cortex cérébelleux. Ce neurone envoie alors un
signal en retour au cerveau. »
Les structures cellulaires et leurs connexions
sont très uniformes dans tout le cervelet. Ce qui
suppose que, comme une sorte de sous-traitant, le
petit cerveau effectue un type de calcul très spé-
cifique pour divers processus mentaux. « Selon la
théorie la plus fréquente, précise Diedrichsen, le
cervelet permet de reconnaître et d’apprendre des
modèles complexes. » Car, comme l’information

provenant du cerveau est diffusée dans le cortex
cérébelleux et traitée par de nombreuses cellules
en parallèle, elle peut, par exemple, représenter
en même temps différents aspects d’un stimulus.
Et le moment précis où les diverses caractéris-
tiques de l’information sont traitées joue un rôle
crucial. Selon Diedrichsen, « le cervelet est très
doué pour apprendre les schémas d’un apprentis-
sage et les coordonner dans le temps, par exemple,
calculer à partir d’une entrée sensorielle donnée
le bon moment pour une action motrice. »

UNE PUISSANCE DE CALCUL
EXCEPTIONNELLE
Le cervelet remplissait probablement déjà
cette fonction au début de l’évolution. C’est ce
qu’indiquent les recherches sur les poissons élec-
triques comme le brochet du Nil. Ces êtres primi-
tifs, souvent appelés poissons-éléphants en

70 %


DES NEURONES DU CERVELET
n’interviennent pas dans le contrôle et la coordination des mouvements,
mais plutôt dans les pensées, les émotions, le langage et même la mémoire.
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