Cerveau et Psycho N°113 – Septembre 2019

(Ron) #1

de Berkeley, oui, car nous ne traiterions pas les
nombres de façon abstraite, détachés de notre
corps et du monde extérieur. À ce titre, les
études de neuro-imagerie n’auraient jamais
révélé la moindre indication que le cerveau fonc-
tionnerait seulement avec des symboles lorsque
nous calculons. Quand une personne a les yeux
fermés et compte les moutons, les aires visuelles
de son cerveau réagissent comme si elle les
voyait réellement.
Comme le langage, la pensée mathématique
est ancrée dans le corps : les enfants utilisent sou-
vent leurs doigts lorsqu’ils comptent pour mieux
y arriver (voir Cerveau & Psycho n° 92). Et ils
comprennent bien mieux les opérations mathé-
matiques de base (addition, soustraction, division
et multiplication) lorsqu’on leur permet de com-
biner ou de distinguer des objets réels de leur
environnement. Même les personnes qui ne
savent ni lire ni écrire les nombres sont capables
d’effectuer des opérations mathématiques de
cette façon.


LES GESTES QUI FONT ENTRER
LES MATHS DANS LA TÊTE
Il y a une vingtaine d’années, les chercheurs en
sciences cognitives ont commencé à étudier systé-
matiquement l’influence des gestes sur la compré-
hension des concepts mathématiques. Une équipe
dirigée par Susan Goldin-Meadow, de l’université
de Chicago, a observé les gestes spontanés que les
enseignants utilisent pour expliquer le principe des


équations mathématiques. Dans une étude, ils ont
demandé aux éducateurs de souligner leurs expli-
cations par des gestes appropriés ou inappropriés
selon les situations expérimentales. Là encore, les
élèves ont trouvé la solution plus souvent en condi-
tion de gestuelle appropriée.
Dans une étude publiée en 2016, Susan Cook
et ses collègues de l’université de l’Iowa a
demandé à 65 enfants d’environ 9 ans de
résoudre des calculs tels que 3 + 8 + 5 = 3 + 13.
Toutefois, au lieu d’un professeur humain, c’était
un avatar qui expliquait le principe, soit debout,
soit en accompagnant ses explications d’une ges-
tuelle plus ou moins évocatrice des nombres et
opérations réalisées. Après la phase d’enseigne-
ment, les enfants ont réalisé les opérations puis
répondu à des questions conceptuelles : les résul-
tats ont montré que les élèves dont le professeur
virtuel réalisait une gestuelle appropriée étaient
nettement meilleurs que ceux ayant écouté un
avatar statique.
Les pédagogues américains Mitchell Nathan
et Candace Walkington, de l’université métho-
diste du Sud, suggèrent d’utiliser des gestes ciblés
pour rendre plus compréhensibles les concepts de
science, de technologie, de mathématiques et
d’ingénierie. Dans l’une de leurs études, ils ont
demandé à 120 élèves de fournir certaines
preuves mathématiques à des problèmes.
Auparavant, l’équipe avait demandé à une partie
du groupe d’effectuer des mouvements liés à la
tâche qu’ils allaient réaliser : par exemple, ils
étaient censés toucher des points de couleur sur
le tableau blanc positionnés de manière symé-
trique, de sorte que les personnes testées réa-
lisent avec leur tronc et leur bras des formes de
triangles. Dans une condition témoin, les partici-
pants touchaient du doigt d’autres points mar-
qués du tableau blanc, ce qui leur faisait exécuter
des mouvements qui n’avaient rien à voir avec
l’idée de base du triangle. Résultat : les élèves
dont le corps avait réalisé des figures géomé-
triques avaient ensuite une meilleure compréhen-
sion du problème mathématique.
Aussi bien pour l’apprentissage des langues
que des mathématiques, toutes les expériences
tendent donc à prouver que le corps et l’esprit
sont les deux faces d’une même médaille qu’on
pourrait appeler la cognition. La pensée ne serait
donc pas un phénomène abstrait, mais plutôt
basé sur la perception sensorielle et la motricité.
Descartes et ses successeurs auraient donc eu
tout simplement tort. Aujourd’hui, une nouvelle
avenue s’ouvre devant nous : l’utilisation du corps
pour innover dans l’enseignement et donner des
ailes à notre pensée. £

Bibliographie

S. W. Cook et al.,
Hand gesture and
mathematics learning :
Lessons from an avatar,
Cognitive Science, vol. 41,
pp. 518-535, 2017.
M. Macedonia et
K. Mueller, Exploring the
neural representation
of novel words learned
through enactment in
a word recognition task,
Frontiers in Psychology,
vol. 7, p. 953, 2016.
M. Macedonia et al.,
The impact of iconic
gestures on foreign
language word learning
and its neural substrate,
Human Brain Mapping,
vol. 32, pp. 982-998, 2011.
M. Wilson et al., Six
views of embodied
cognition, Psychonomic
Bulletin & Review, vol. 9,
pp. 625-636, 2002.

Comme le langage,


la pensée


mathématique est


ancrée dans le corps :


les enfants utilisent


souvent leurs doigts


lorsqu’ils comptent,


et cela les aide à


mieux progresser...

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