Causette N°103 – Septembre 2019

(National Geographic (Little) Kids) #1
Anouk F.

“VOIR DANS LES YEUX D’UN ENFANT QU’ON A SERVI À QUELQUE CHOSE”
Enseignante en CP dans le sud de la France et autrice du livre Merci maîtresse ! (éd. Cherche midi)

« Je travaille dans une école REP, dite “de regroupe-
ment”, où l’on accueille notamment des élèves qui
viennent d’arriver en France, et où on est face à des
problématiques sociales lourdes. Notre métier, c’est bien
plus que d’apprendre aux enfants à lire et à compter.
C’est aussi accueillir ce petit garçon qui sent mauvais
et essayer de faire en sorte que les copains s’assoient
à côté de lui. C’est expliquer pourquoi cet élève ne
répond pas quand on lui parle, parce qu’il ne com-
prend pas la langue. On ressent parfois une terrible
frustration, mais il y a quand même la satisfaction de
les aider un petit peu. Voir dans les yeux d’un gamin
qu’on a servi à quelque chose, c’est mon plus beau


cadeau. Je pense, par exemple, au petit Habib*, qui a
beaucoup de difficultés. Une fois, on a fait une dictée
et comme l’AVS [auxiliaire de vie scolaire, ndlr] d’un
autre élève était là, je lui ai demandé si elle pouvait
simplement s’asseoir à côté de lui. Ce jour-là, Habib
a fait zéro erreur. Il avait un sourire... Il était tellement
content qu’il m’a dit : “Maîtresse, est-ce que tu peux
me prendre en photo pour qu’on l’envoie à Maman ?”
C’était fugace – la semaine d’après, il a fait vingt-deux
erreurs – mais vraiment magique. Notre boulot est
composé de plein de petits moments comme ça, qui
font qu’on ne peut pas lâcher. » U A. B.
* Le prénom a été modifié.

Nicolas

“CERTAINS ÉLÈVES
NOUS ÉMERVEILLENT” 
Agrégé de sciences économiques et sociales,
professeur stagiaire en lycée dans la Somme

« Le cœur du métier, c’est de faire progresser tout
le monde. Mais certains élèves nous émerveillent
plus particulièrement. Simon* était excellent en
terminale ES. Il était fils d’un boucher de super-
marché, dans la campagne d’Amiens. Et il hésitait
entre suivre les traces de son père ou – je ne sais
pas comment il en avait entendu parler – faire
Sciences Po. Tous les profs l’encourageaient à
passer le concours. Du coup, il s’est inscrit à une
prépa égalité des chances. Il a pris des cours en
ligne et suivi quelques journées de préparation
à Sciences Po Lille. En revenant de la session, il
m’a dit que c’était la première fois qu’il avait pris
le train et le métro de sa vie. Finalement, pour
plusieurs raisons, il a choisi de devenir apprenti
boucher dans son petit bled. Sa décision nous a
mis mal à l’aise, avec mes collègues. À tel point
que Simon s’excusait. Et puis en fait, ça nous a
rappelé que l’école ne servait pas uniquement
à faire des études élitistes. Il restera brillant et je
suis heureux de me dire que ça fera un boucher
très politisé ! Parfois, ce sont les élèves qui nous
en apprennent plus. » U A. V.

Alexandra

“TU ES TOUT LE TEMPS EN TRAIN D’APPRENDRE”
Professeure des écoles à Paris

« J’ai choisi l’enseignement il y a dix ans, après des études
de droit dans lesquelles je m’ennuyais... Faire apprendre
les enfants, les aider à grandir, leur transmettre des savoirs :
c’est ça qui me donne envie de me lever le matin. Comme
lorsqu’ils sont en train de manipuler leurs bouchons et leurs
boîtes d’œufs pour faire des groupements par dix et que, d’un
coup, il y en a un qui te dit : “Ah, mais dans 23, le 2 ça veut dire
qu’il y a deux dizaines ?!” Et là, il a compris, c’est formidable.
Même si j’enseigne beaucoup en CP-CE1, chaque année est
complètement différente. Je renouvelle toujours les albums,
les documents sur lesquels on travaille. Je suis tout le temps
en train d’apprendre à la fois des autres, des recherches en
neurosciences, des réflexions pédagogiques...
Cependant, parfois, c’est vraiment dur. On n’est pas que des
instructeurs, on s’implique aussi dans le bien-être de l’enfant
et on conseille aux parents certains rendez-vous nécessaires
avec des médecins ou des assistantes sociales. Mais quand tu
te rends compte que les rendez-vous ne sont jamais honorés
et que les élèves, qui arrivaient avec le sourire, le perdent
peu à peu parce qu’ils sont en souffrance, tu te sens vrai-
ment démunie. Pareil quand l’école dans laquelle j’ai débuté
répondait à tous les critères pour être classée REP [réseau
d’éducation prioritaire, ndlr], mais que la mairie a refusé pour
ne pas écorner l’image de la ville... Ce qui fait tenir dans ces
moments-là, c’est la complicité avec les collègues et la source


d’énergie que constituent les élèves. » U A. B. (^) * Le prénom a été modifié.

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