Causette N°103 – Septembre 2019

(National Geographic (Little) Kids) #1

EN COUVERTURE


Alexis Potschke

“LE COLLÈGE, LE LIEU CHARNIÈRE
POUR SAUVER DU DÉCROCHAGE”
Professeur de lettres dans un collège de la grande
banlieue parisienne et auteur de Rappeler les enfants.
Le bonheur d’enseigner (éd. Seuil)

« Comme beaucoup d’entre nous, je suis devenu prof
par hasard et je le reste par vocation. Aujourd’hui, je ne
voudrais pas être ailleurs que dans ce collège de grande
banlieue où j’exerce : le collège, c’est le lieu où il est encore
possible d’aider des élèves qui n’atteindront pas le lycée
si tu n’es pas là pour leur tendre la main.
Ce qui m’anime, c’est de transmettre. Parfois, la réussite
prend des tournures étonnantes. Comme en juin, où on a
laissé les élèves organiser une sortie et où ils se sont rendu
compte que le budget bus était très conséquent : ils ont
décidé qu’on irait à pied au centre d’activité, et nos visages
en sueur après avoir passé 20 kilomètres à marcher tous
ensemble resteront pour longtemps dans ma mémoire.
Il y a aussi ces moments où certains reviennent te voir
pour te parler d’une théorie du complot post-attentats que
tu avais essayé de déconstruire en classe, et te disent :
“Vous vous rappelez, monsieur, quand j’ai dit ça ? Oh là
là, j’ai été con.” Finalement, c’est mon boulot plus que la
grammaire : dépolluer les esprits de certains élèves noyés
dans les fausses informations dégotées sur Internet. » U A. C.

Gaël Le Bellego

“PORTER UN MASQUE D’AUTORITÉ AU MOINS JUSQU’À NOËL”
Professeur de lettres dans un collège REP de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne)

« Avant ma reconversion tardive, j’ai été journa-
liste pigiste pendant quinze ans. Tenir cinq heures
devant une classe difficile vous fatigue beaucoup
plus que travailler 75 heures par semaine. C’est un
poncif, mais les gens ne se rendent pas compte
à quel point notre salaire de prof est misérable
par rapport à l’énergie qu’il nous faut déployer
face à des élèves habités par la culture du slide
[du zapping sur téléphone, ndlr].
Heureusement, nous bénéficions d’une grande
liberté pour construire nos cours : ça me permet
d’allier ma passion pour les canons de la litté-
rature avec le cinéma ou la musique classique,
en parsemant mes leçons de ces références.

Mes élèves sont très peu outillés culturellement,
donc un de mes petits plaisirs, c’est de réussir à
les contaminer et qu’ils regardent d’eux-mêmes
un Hitchcock, par exemple.
Mais, en à peine deux ans d’enseignement,
il m’est déjà arrivé qu’un élève me menace
physiquement. Pour être franc, il faut porter un
masque d’autorité au moins jusqu’à Noël pour
pouvoir tenir. Je me rappelle un élève qui passait
son temps en classe à se coiffer. Un jour, je lui
ai pris son peigne et l’ai mis dans mes cheveux
durant tout le cours. Pour qu’il me respecte, et
pour le ramener à moi en riant avec lui. Il faut
savoir combiner charisme et complicité. » U A. C.

Mathilde Dondeyne

“LE PLUS GRATIFIANT, C’EST DE
FAIRE ÉVOLUER LES ÉLÈVES”
Professeure de lettres
dans un collège privé sous contrat
avec l’État dans le Nord

« Je me souviens d’une classe que
j’ai suivie deux ans et dont tous les
membres étaient très mûrs et s’en-
traidaient beaucoup. J’ai pu les pous-
ser loin, intellectuellement. C’est ce
genre d’expériences qui boostent
malgré la fatigue qui peut poindre
face à des problèmes de discipline.
Le plus gratifiant, c’est de faire évoluer
les élèves. Quand on est jeune prof,
certains élèves cherchent à nous tester
et il en suffit d’un ou deux par groupe
pour déstabiliser la classe. Dans ces
moments-là, j’essaie de rester bien-
veillante et de revoir mon cours le soir
pour trouver d’autres supports pour
les intéresser. » U A. C.
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