Politis N°1558 Du 20 au 26 Juin 2019

(Nancy Kaufman) #1

p


arler à la presse n’est pas le
meilleur moyen mais nous n’en
avons pas d’autres » soupire la
voix dans le combiné du télé-
phone. Pour cette militante de
longue date comme pour les autres membres
de La France insoumise (LFI), l’humeur est
plutôt maussade. Le score décevant (6,31 %)
aux européennes a jeté une lumière crue
sur les difficultés internes du mouvement :
par médias interposés, ses cadres exposent
leurs désaccords sur la stratégie à adopter
pour remonter la pente, des personnalités
de premier plan claquent la porte, Jean-Luc
Mélenchon reste coi... et ce sont les militants
qui trinquent! « Nous ne pouvons pas légi-
timer toutes les prises de parole et tous les
comportements. Nous sommes interpellés
sur le terrain alors qu’aucune des opinions
exprimées n’a fait l’objet d’une délibération
démocratique », déplore l’une.
Inquiets mais pas découragés pour autant,
les membres des comités locaux comptent sur
l’assemblée représentative du mouvement,
samedi 22 et dimanche 23 juin à Paris, pour
exprimer leurs désaccords avec la direction de
LFI et demander de profonds changements.
Initialement prévue pour faire le point sur
L’Avenir en commun – leur programme – et
dessiner les contours de la campagne des
municipales de 2020, cette réunion tourne,
dans les faits, à des états généraux.
« Certes très déçus du résultat des euro-
péennes, les militants, ici, loin d’être abattus,
[...] voient dans cet affaissement et ces dissen-
sions l’occasion de transformations sensibles,
tant dans l’organisation du mouvement que
dans les outils à développer pour partager les
points essentiels de L’Avenir en commun »,
nous écrit une militante de Bretagne, tirée
au sort pour participer à l’assemblée. Car les
demandes d’ordre organisationnel remontent
de tout le pays.

les insoumis en


demande de démocratie


Ébranlés par leur score aux


européennes, le mutisme de


Mélenchon et le départ de


Charlotte Girard, les militants


appellent à de nouveaux


statuts pour le mouvement.


LfI


z Agathe
Mercante

« Nous voulons plus de structures, plus
d’espaces de débats, plus d’espaces pour
échanger avec la direction », martèle Thibaut
Marchal, militant de Guyancourt et cosecré-
taire du Parti de gauche (PG) dans les Yve-
lines. « Il nous faut des statuts qui prévoient
des instances exécutives et délibératives, des
commissions thématiques et une commis-
sion des conflits », détaille Raymond Gené,
du Val-de-Marne. D’où qu’elles viennent,
les « petites mains » de LFI attendent un
changement. « Moi, j’aimerais que l’on crée
une constituante composée de militants. Ça
me met mal à l’aise qu’on le
propose dans le programme
et qu’on ne se l’applique pas
à nous-mêmes », explique
Simon, de Paris.
Des désaccords, une
absence de statuts et d’ins-
tances et un manque de
démocratie interne qui, selon
cadres et militants, brouillent
la ligne et la stratégie à suivre.
Les militants ressentent ces lacunes d’autant
plus violemment qu’elles ont causé la « décon-
venue » des européennes. « Nous avons gagné
des députés, mais, durant la campagne, nous
n’avons pas tenu un discours clair : on a laissé
entendre que l’on renonçait sur la stratégie
plan A-plan B », déplore Aurélien. « Les euro-
péennes sont des élections de contestation,
alors en faire un référendum anti-Macron était
une connerie », estime Jean-Marc, de Salon-

de-Provence (Bouches-du-Rhône). Une ligne si
peu claire que même les députés s’en plaignent.
Adrien Quatennens, élu du Nord, confiait
ainsi à Libération : « Durant la campagne,
Macron disait “si vous êtes pour l’Europe,
votez pour moi” ; Le Pen, c’était “si vous êtes
contre Macron, votez pour moi” ; Jadot y allait
avec “si vous êtes écolo, votez pour moi” ;
et nous, on disait “vous avez dix minutes, le
temps qu’on vous explique ?”»
Un militant parisien déplore : « On ne sait
même pas qui décide, on n’a même pas d’orga-
nigramme! » Ce constat est largement partagé.
Jusqu’alors, les dénonciations
des pratiques ne s’entendaient
que de la part des exclus, d’au-
tant plus sévères qu’ils avaient
été éjectés sans ménagement.
Aujourd’hui, elles sont formu-
lées par des cadres encore en
poste. La note interne révélée
par Le Monde (1) regrette
qu’« aucune véritable ins-
tance de décision collective
ayant une base démocratique [n’ait] été mise
en place ». Très mal accueillie par la direc-
tion, cette note n’a pas déplu à tous : « Elle
dit des choses vraies! » estime Jean-Marc.
« Charlotte Girard a raison de dire qu’il faut
dresser des perspectives », confirme Thibaut
Marchal. Le départ de la veuve de François
Delapierre (2) est d’autant plus douloureux
pour les militants qu’il réveille le souvenir de
ceux qui l’ont précédée. « Il y a ceux

(1) Lire Politis du
13 juin.
(2) Cosignataire de
la note révélée par
Le Monde, Charlotte
Girard a annoncé son
départ de LFI le 8 juin.
(3) François Cocq a été
banni du mouvement
par un tweet de
Jean-Luc Mélenchon le
5 janvier.


« Nous voulons


plus d’espaces


de débats,


plus d’échanges


avec la direction. »


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à Nantes, le 12 juin 2019, le lancement par
François Ruffin du comité référendum contre
la privatisation d’Aéroports de paris.
JÈRÈMie lUsse

AU/AFP

Politis 1558

20/06/

ANAlySE

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