Politis N°1558 Du 20 au 26 Juin 2019

(Nancy Kaufman) #1
Journal secret
(1941-1944)
Curzio Malaparte,
traduit de l’italien,
édité et présenté par
Stéphanie Laporte,
Quai Voltaire,
336 pages,
23,70 euros.

D’abord correspondant de guerre suivant la Wehrmacht, l’écrivain


se raconte dans un Journal secret jusqu’à son retour en Italie


après la chute du régime mussolinien. Un texte inédit.


o


n s’étonnera peut-être de lire dans
Politis un article (sans animosité)
consacré à curzio Malaparte
(1898-1957). plus encore en italie qu’en
France, l’écrivain et journaliste a une
réputation littéraire et surtout politique plutôt
sulfureuse. celle d’un personnage qui s’est
fourvoyé, après ses engouements bellicistes
durant la première Guerre mondiale, vers
un fascisme radical, ou « intégral », comme
il le souhaite alors, jusqu’à une critique tout
aussi aiguë du Duce qui le fait condamner au
confino (relégation) sur l’île pauvre de lipari,
au large de la Sicile – le même type de peine
que celle subie par carlo levi, racontée
dans Le Christ s’est arrêté à Eboli. Mais
Malaparte ne fut jamais un vrai antifasciste
militant ; ce fut même le contraire (1).
jeune intellectuel révolté mais brûlant d’en
découdre, le jeune Kurt Erich Suckert, né
en toscane d’un père allemand et d’une
mère italienne, s’engage dans l’armée
en 1914. après quatre ans de guerre, le
fascisme a le vent en poupe, notamment
parmi les anciens combattants. curzio
Malaparte – il adopte alors ce nom – y voit
l’espoir d’une véritable révolution sociale,
se réappropriant les espoirs déçus du
Risorgimento, le mouvement pour l’unité
italienne du xixe siècle. il fonde une revue,
qui critique bientôt vertement le régime, qu’il
accuse de « protéger la société libérale ».
après sa peine de confino, réduite grâce à

Excursion
aux îles éoliennes
Alexandre Dumas, Éd. Nous,
96 pages, 12 euros.
Tout touriste qui, en ce début
de XXIe siècle, a embarqué de la
côte nord de la Sicile vers cet archipel de sept îles
placées sous le nom de l’antique divinité grecque ré-
gissant les vents marins garde en mémoire l’image de
ces volcans – certains éteints, d’autres crachant gaz,
cendres et jets de lave fluorescents la nuit – jaillissant
majestueusement des profondeurs de la Méditerra-
née. Le futur auteur des Trois Mousquetaires relate ici
une « excursion » similaire, réalisée vers 1835, où, en
dépit des différences liées à l’époque, notre touriste
d’aujourd’hui retrouve l’aridité de l’île d’Alicudi, les
geysers de lave rouge approchés durant l’ascension
du Stromboli ou les sources chaudes à Vulcano. Une
invitation au voyage.

Délibérée
n° 7, juin 2019, La Découverte,
96 pages, 12 euros.
En ces temps de réduction ré-
currente des libertés publiques,
on peut s’interroger à partir
de « quand quitte-t-on l’état de droit ? » L’équipe de
l’excellente revue juridique Délibérée, coordonnée par
le Syndicat de la magistrature et « hébergée » par les
éditions La Découverte, a choisi de donner la parole
sur ce sujet à l’historien Johann Chapoutot, spécia-
liste du IIIe Reich et du droit nazi. Car, comme par le
passé, la bascule peut parfois s’opérer aussi rapide-
ment qu’insensiblement, les citoyens ne s’apercevant
pas forcément de la perte progressive de leurs droits
et libertés fondamentaux. Cette livraison propose en
outre un dossier sur la question des inégalités sociales,
culturelles ou spatiales du justiciable face à l’institution
judiciaire. Actuel et précieux.

Naples 1343
aux origines d’un système criminel
Amedeo Feniello, traduit
de l’italien par Jacques
Dalarun, Seuil, coll. « L’Univers
historique », 288 pages,
24 euros.
Naples est connue pour être
une ville sous contrôle du crime
organisé et lieu d’un système
clientéliste mafieux. Historien spécialiste de l’histoire
économique et sociale à l’époque médiévale, Amedeo
Feniello fait remonter cette identité particulière à un
épisode de 1343, quand la population napolitaine
affamée, sous la conduite de familles nobles, inter-
cepte un navire génois empli de vivres, détourne sa
cargaison et massacre les chefs du bateau. Cet opus
montre que l’organisation de cette société remonte
au XIIe siècle avec l’intégration de Naples au royaume
normand de Sicile, menée au prix de concession de
pans de la souveraineté aux 57 grandes familles de
la ville. Cette structure politique clanique divisée en
parcelles est ainsi devenue structure mentale dans
la cité.

z Olivier
doubre

curieux et ambigu


malaparte...


ses relations au sein du pouvoir, il devient
reporter international pour des grands
journaux, doit s’aligner sur les positions
du régime, allié à partir de 1938 avec
l’allemagne d’adolf Hitler.
Mais dans ce Journal secret, inédit en
français (mais jamais publié non plus en
italie à ce jour), remarquablement traduit
par Stéphanie laporte, spécialiste de
la littérature italienne de cette époque,
Malaparte peut laisser libre cours à un sens
critique et à une grande liberté de ton qui en
font un témoin précieux sur des épisodes de
la guerre parfois fort mal documentés. il suit
ainsi l’armée italienne dans les balkans
puis la Wehrmacht sur le front de l’Est, où,
journaliste du principal allié de l’allemagne,
il peut fréquenter de hauts dignitaires nazis,
« visite » certains ghettos juifs en pologne,
découvre les pogroms et la « Shoah par
balles », mais aussi les exactions de
l’armée rouge.
après des reportages jusqu’au-delà du
cercle polaire en Finlande, en guerre
contre les Soviétiques, il apprend la chute
de Mussolini en juillet 1943, alors que les
alliés viennent de débarquer en Sicile.
rentré dans sa légendaire villa de capri (2),
il décrit le Mezzogiorno à peine libéré par
les anglo-américains, tandis qu’il est en
train d’écrire son roman Kaputt, où il décrit
la cruauté nazie à l’Est, dont il a été témoin.
un document exceptionnel. a

cARl

O bA

vAgnOli/leeMAge/AFP

(1) Pour mieux
connaître son parcours
complexe, on se
reportera au récent
et passionnant Cahier
Curzio Malaparte,
paru en octobre 
(éditions de L’Herne,
336 pages, 33 euros).
(2) Rendue célèbre
plus tard comme décor
du Mépris de Jean-Luc
Godard.
Politis 1558


20/06/


ESSAI

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