Deux ans après Patients, Grand Corps Malade est de retour
derrière la caméra avec son complice Mehdi Idir pour
La Vie scolaire, une comédie incisive sur un collège de Seine-
Saint-Denis. Entretien avec le réalisateur, pour qui la
« vraie vie » est source inépuisable d’inspiration.u PAR THIERRY CHEZE
PREMIÈREMENT
PREMIÈRE : Après le succès
d’un premier film, angoisse-t-on
pour le suivant? Est-ce qu’on
gamberge longtemps avant de trouver
un nouveau sujet?
GRAND CORPS MALADE : En fait, on a
commencé dès la fin du montage de Patients
à réfléchir avec Mehdi [Idir] à ce que
pourrait être notre deuxième film. Quand
Patients est sorti, on avait déjà une idée très
précise de L a Vie scolaire. Mais ce n’était pas
pour prévenir l’éventuelle angoisse du film
suivant, juste parce qu’on avait pris un plai-
sir dingue et qu’on ne voulait pas perdre de
temps avant de recommencer. Après, je ne
vais pas vous la jouer à la Guy Roux, l’en-
traîneur de l’équipe de foot d’Auxerre qui,
malgré la qualité de ses joueurs, expliquait
chaque saison qu’il ne jouait que le maintien.
(Rires.) On fait évidemment des films pour
qu’ils soient vus et que les gens les aiment.
Mais on reste conscients que ce qu’on a vécu
sur Patients est exceptionnel et n’arrive pas
mille fois dans une vie...
Patients s’inspirait de votre année
de rééducation après votre accident. © ROMAIN COLE
La Vie scolaire trouve sa source dans
vos années collège?
Oui, mais pas que. Tous les personnages du
film sont inspirés de personnes existantes.
À commencer par le petit Yanis, dont l’en-
vironnement familial est proche de celui de
Mehdi et de sa famille : père en prison, mère
qui élève seule ses enfants... Les situations
sont, elles aussi, tirées de la réalité.
Pour vous, faire du cinéma passe
forcément par cette connexion au réel?
Oui, ça nous paraît essentiel. Je doute même
que nous ayons un jour envie d’inventer un
univers de toutes pièces. On aime raconter
des choses qui nous sont proches, en espé-
rant trouver un angle singulier.
Avec le désir de faire changer le regard
des gens sur cette « vraie vie »?
Forcément un peu. Même si ça peut paraître
prétentieux du haut de nos deux seuls films.
C’était en tout cas notre ambition avec
Patients, qui aborde le monde méconnu du
handicap. Sur La Vie scolaire, le point de
départ est forcément différent car l’école,
a priori, tout le monde connaît. Mais pas
LE JEU DE
LA VERITE
forcément celle de ces quartiers-là. On
a aussi eu envie de célébrer ce boulot de
prof – trop souvent dévalorisé alors qu’on
leur confie nos gamins neuf mois sur douze
dans l’année! Et de mettre un coup de pro-
jecteur sur le métier de CPE [conseiller
principal d’éducation], particulièrement
passionnant dans ces quartiers, où ils ont
un rôle plus social qu’ailleurs.
Plus jeune, quels films vous ont
marqué, vous le gamin de Seine-
Saint-Denis?
Sans hésitation, L a Haine de Kassovitz, que
j’ai découvert à 18 ans... Je l’ai trouvé fort et
juste. Alors que dans la plupart des autres
films qui se plaçaient sur ce terrain-là, je
ne reconnaissais jamais ma vie. Comme si
leurs réalisateurs n’avaient jamais mis les
pieds en banlieue. Voilà pourquoi je trouve
passionnant qu’aujourd’hui, ceux qui s’em-
parent de ces sujets viennent, comme
nous, de ces quartiers. L’avenir dira si nous
sommes de bons réalisateurs ou de bons
scénaristes. Mais, au moins, on sait de quoi
on parle. En disant cela, je pense évidem-
ment à Ladj Ly avec Les Misérables...