Première N°499 – Septembre 2019

(Nancy Kaufman) #1
genre dominant du moment, c’est tout,
comme l’a été le western à une époque. On
ne peut pas dénigrer le genre par principe.
Regarde la science-fiction : dans les an-
nées soixante, c’était ce que c’était, avant
que Kubrick ne réalise 2001, l’odyssée de
l’es p a ce , le film le plus hallucinant de tous
les temps. L’histoire des comics est d’une
richesse folle. On peut y lire les soubresauts
de la politique et de l’économ ie amér icaines
au temps de la Seconde Guerre mondiale,
du Vietnam, des changements sociaux des
sixties et des seventies... On considère par-
fois les comics comme simplistes – et ça
arrive qu’ils le soient – mais ils offrent
aussi la matière pour une exploration pas-
sionnante de la nature humaine. Il n’y a pas
de limites à ce qu’on peut en faire. La seule
limite, c’est le degré de liberté qu’un studio

accorde à un réalisateur. Et Todd, en l’oc-
currence, avait carte blanche.

Ce qui n’était pas forcément le cas des
cinéastes qui vous courtisaient avant...
Les films qu’on m’avait proposés jusqu’à
présent dans le genre traçaient tous une
frontière très nette entre qui est bon et qui
est méchant. Ça ne m’excite pas beaucoup,
car je ne crois pas que ça reflète vraiment
le monde dans lequel on vit. Ces films
sont sympas, hein, très fun, j’aime bien les
regarder. Mais y participer en tant qu’acteur,
non, ça ne m’intéresse pas, car je sais que je
ne serai pas mis en difficulté en les faisant.

Il faut toujours que ce soit un challenge?
Oui! Sur Joker, on avait la liberté de
© NIKO TAVERNISE - WARNER BROS. PICTURES tenter des choses, on passait nos journées


à se planter, à recommencer. Le soir, avec
Todd, on passait des heures à échanger
des messages pour esquisser des pistes de
travail pour le lendemain. Tout le tournage
s’est fait comme ça, dans un état de transe.

Vous êtes d’une maigreur inquiétante
dans le film, comme à l’époque
de The Master...
Oui, pourtant, je m’étais juré de ne plus
jamais reperdre autant de poids! Arthur
Fleck prend des médicaments et j’ai lu
des commentaires en ligne sur leurs effets
secondaires. Certains parlaient de perte de
poids, d’autres de prise de poids. Prendre
du poids, ça m’allait. (Rires.) Mais Todd
préférait que j’aie la peau sur les os. Donc,
j’ai replongé... Ça m’inquiétait parce que
j’avais des souvenirs vraiment terrifiants de

« LE JOKER EST

LIBRE ET IL Y A

QUELQUE CHOSE

D’ATTIRANT

LÀ-DEDANS. »
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