MondeLe - 2019-08-27

(Ron) #1

MARDI 27 AOÛT 2019 économie & entreprise| 15


Ces royalties minuscules ne nourrissent
pas leur homme, si mélomane soit­il. « Je
suis étonné par le fait que ce ne sont pas les
plates­formes les plus connues, comme Spo­
tify, qui paient le plus... YouTube Music est la
pire et pourtant la plus utilisée! », regrette Ni­
colas Dubut, compositeur de musique. Se­
lon Digital Music News, Napster et Apple
Music sont les deux plates­formes américai­
nes les plus rémunératrices en 2019. Radine,
la musique en streaming? Et ce, alors que
des dizaines de millions d’utilisateurs bas­
culent de la gratuité vers l’abonnement :
100 millions d’abonnés payants chez Spo­
tify, 50 millions chez Apple ou encore
15 millions pour YouTube Music (ancien
Google Play Music inclus).
« Les droits d’auteur, qui représentaient il y
a encore quelques années le principal de mes
revenus, n’en représentent plus aujourd’hui
qu’une petite partie. Ce qui fait que, comme
tous les musiciens, j’ai dû partir sur la route

LES NOUVELLES 


RESPONSABILITÉS 


IMPUTÉES AUX 


PLATES­FORMES 


NUMÉRIQUES 


POURRAIENT LEUR 


COÛTER TRÈS CHER, 


EN PAIEMENT DE 


REDEVANCES, VOIRE 


EN AMENDES EN CAS 


D’INFRACTION


Autres
(mailings,
comparateurs, etc.)

Sites
des médias
historiques

15

SOURCES : SNEP, MINISTÈRE DE LA CULTURE, SRI FRANCE, THE TRICHORDIST, SRC STREAMING, LE MONDE INFOGRAPHIE : MAXIME MAINGUET, PHILIPPE DA SILVA

Droits d’auteur numériques


Depuis 2018, le chire d’aaires de la musique numérique a dépassé celui des ventes physiques...

... pourtant, les plates-formes, notamment le géant YouTube, rétribuent peu les auteurs

DANS LE SECTEUR DE LA MUSIQUE DANS LE SECTEUR DE LA PRESSE

... et obtient de l’UE « un droit voisin »

200220032004 20052006 200720082009

Deezer

Apple

Spotify

Amazon

Pandora

Moteurs de recherche
dont Google

*Sites Internet qui ne sont pas adossés
à un média traditionnel

*Plusieurs réponses possibles, total supérieur à 100 %

Réseaux sociaux
et pure - players*
dont Facebook

YouTube

0,

0,

0,

0,

0,

0,

20102011 20122013 201420152016 20172018

CHIFFRES D’AFFAIRES NUMÉRIQUE ET PHYSIQUE DE LA VENTE DE MUSIQUE EN FRANCE, en millions d’euros

ESTIMATION DU REVENU PERÇU PAR ARTISTE POUR 100 STREAMS EN FRANCE, en dollars

1 500

1 200

900

600

300

0

1 432

1 227

1 060

1 031

39

910

54

63

(^7877)
(^110138)
156 158
166 191 248
285
735
(^598569)
518
459
(^404408361)
(^324313)
255
298
335
Physique Numérique
Les recettes publicitaires déclinent... ... au profit des grandes plates-formes
Internet
La presse cherche à faire payer
les GAFA...
1980 1990 2000 2010 2017
RECETTES PUBLICITAIRES DE LA PRESSE
PAPIER FRANÇAISE, en milliards d’euros PART DE MARCHÉ DE LA PUBLICITÉ EN LIGNE
EN FRANCE EN 2018, en %
MOYENS UTILISÉS PAR LES FRANÇAIS POUR ACCÉDER
À L’INFORMATION EN LIGNE EN 2016, en %*
6 5 4 3 2 1 0
89,8 %
45 34
C’est la part du streaming
(écoute directe sans téléchargement)
dans le chire d’aaires de la musique
numérique en France.
15 mai 2019
Publication au Journal oiciel
de l’Union européenne de la directive
sur le droit d’auteur.
Elle permet notamment aux éditeurs
d’être rémunérés lorsque leurs contenus
sont réutilisés par une plate-forme en ligne.
23 juillet 2019
Adoption par le Parlement
français de la loi transposant
la directive européenne.
2021
Date limite
pour la transposition
de la directive
par les Etats membres.
YouTube représente 48 % du temps
consacré au streaming musical
en France...
... mais seulement 11 % des revenus
collectés au titre des droits d’auteur
sur le numérique.
Moteurs de recherche
dont Google
Réseaux sociaux
dont Facebook
E-mails
35 26
Notifications
mobiles
Agrégateurs
Accès direct
au site du média
22
14
5
27
6
Streaming
48 %
Droits
d’auteur
11 %
jimmy wales, le cofondateur de wikipédia,
cinquième site Web le plus visité au monde, estime
que petits sites et artistes seront les premières victi­
mes de la directive européenne.
La directive européenne ne concerne pas les en­
cyclopédies en ligne à but non lucratif comme
Wikipédia : êtes­vous satisfait?
Nous sommes en effet un mouvement commu­
nautaire et un organisme de bienfaisance à but non
lucratif, plutôt qu’une entreprise. Par conséquent,
nous nous soucions de tous les utilisateurs d’Inter­
net – pas en fonction d’une exemption spécifique
juste pour nous : nous ne sommes pas une entre­
prise dont le silence peut être acheté par un traite­
ment spécial. Cette nouvelle directive sur le droit
d’auteur renforcera la concentration des pouvoirs
sur le Net de deux façons. Premièrement, les petits
sites Web indépendants trouveront beaucoup
moins cher de simplement s’en remettre aux outils
de Google ou Facebook plutôt que de prendre le ris­
que juridique extrême de rester indépendants.
Deuxièmement, les nouveaux artistes auront
plus que jamais des difficultés à trouver des modè­
les économiques qui les rendent indépendants de
l’industrie du droit d’auteur traditionnel (maisons
de disques, etc.). Internet a prospéré en étant
ouvert, et nous voyons en Europe une approche ré­
trograde du droit d’auteur qui va accroître le pou­
voir des grandes entreprises aux dépens des gens
ordinaires.
Avec cette directive, l’Europe accorde un régime
d’obligations limitées (« faire de leur mieux » et
« agir promptement ») pour les plates­formes
numériques réalisant moins de 10 millions
d’euros de chiffre d’affaires...
C’est un grave malentendu de penser que cela ne
s’applique pas aux sites Web de moins de 10 mil­
lions d’euros de chiffre d’affaires par an. La directive
européenne s’applique à tous les sites, peu importe
leurs revenus, qui existent depuis plus de trois ans,
et elle s’applique autant à eux qu’aux géants d’In­
ternet.
Cela signifie que de nombreuses communautés
en ligne, des communautés d’amateurs indépen­
dantes, qui existent depuis des années sans aucun
problème, vont maintenant faire face à un risque
juridique incroyable et impossible si elles conti­
nuent à offrir des services en Europe. Ils doivent
fournir « leurs meilleurs efforts » pour obtenir une li­
cence pour tout ce que chaque utilisateur pourrait
éventuellement télécharger (une impossibilité évi­
dente), ou faire face à de nouvelles responsabilités.
Est­ce que les outils d’empreinte numérique de
Google (Content ID) et Facebook (Right Mana­
ger), qui permettent de lutter contre le piratage,
risquent de tuer la créativité et les échanges sur
Internet?
Il est déjà vrai que Content ID cause des problè­
mes aux créateurs qui travaillent bien dans le cadre
de la loi existante. Mais il est également vrai que les
plates­formes beaucoup plus petites que Google ou
Facebook sont incapables de se conformer d’une
manière aussi sophistiquée que ces géants du Net,
et elles devront soit obtenir une licence technologi­
que auprès d’eux – étendant ainsi le pouvoir et la
portée des géants aux dépens des nouveaux en­
trants et du public –, soit essayer de créer leur pro­
pre technologie, laquelle ne sera pas aussi bonne.
c. d. l.
Jimmy Wales : « La concentration des pouvoirs sur le Net sera renforcée »
pour faire plus de concerts », confie ainsi
Jean­Michel Jarre.
Les sociétés de gestion collective sont, a
priori, les grandes gagnantes de la nouvelle
directive européenne, qui donne la part
belle à ce mode de collecte­redistribution
des droits d’auteur. Le reversement des
10 milliards d’euros de la Cisac aux 4 mil­
lions de créateurs dans le monde pour l’an­
née 2018 ira essentiellement à la musique
(87 %). Mais les autres répertoires artistiques



  • audiovisuel, littérature, art visuel (arts
    plastiques) et art dramatique (théâtre) –
    prennent de l’ampleur dans la gestion col­
    lective des droits d’auteur. En Europe, la di­
    rective copyright va les y aider.
    « Le modèle de la licence, plus proche du
    fonctionnement en gestion collective que du
    fonctionnement forfaitaire majoritairement
    pratiqué par les producteurs, est indéniable­
    ment mis en avant par la directive, qui prévoit
    un mécanisme de licences collectives éten­


dues », souligne Véronique Dahan, avocate
spécialiste de la propriété intellectuelle au
sein du cabinet August Debouzy.
Jusqu’à maintenant, seules quelques socié­
tés d’auteurs françaises ont déjà signé avec
de rares plates­formes du Net, sans avoir at­
tendu la nouvelle directive. « Si nous avons
aujourd’hui des accords vertueux avec Netflix
et YouTube, d’autres, comme Facebook,
jouent la politique de l’autruche et adoptent
un comportement irresponsable. Demain,
nous aurons de nouveaux leviers pour agir.
Les créateurs doivent être associés au succès
de leurs œuvres et aux résultats générés par
leur exploitation et leur diffusion », explique
Pascal Rogard, directeur général de la So­
ciété des auteurs et compositeurs dramati­
ques (SACD), très présente dans l’audiovi­
suel, le cinéma et le théâtre.
Lors du colloque NPA­Le Figaro du 14 mai,
Hervé Rony, directeur général de la Société
civile des auteurs multimédia (SCAM), a in­

diqué être en train de négocier avec Netflix
un accord – après en avoir déjà conclu un
avec YouTube : « Netflix est totalement con­
vaincu qu’il faut bien passer à un moment
donné dans la moulinette de la régulation »,
a­t­il assuré. Si la gestion des montants col­
lectés par les sociétés d’auteurs – contrôlées
annuellement en France par la Cour des
comptes – est relativement transparente, il
n’en va pas de même du côté des produc­
teurs du cinéma et de l’audiovisuel, où les
sommes versées contractuellement aux
« auteurs » (qu’ils soient scénaristes, réalisa­
teurs, musiciens, techniciens, acteurs, etc.),
sans parler des recettes des ventes des
œuvres aux télévisions et aux plates­for­
mes numériques, ne sont pas divulguées.
D’où une certaine opacité.

« LA MOULINETTE DE LA RÉGULATION »
La bataille du droit d’auteur peut en cacher
une autre : celle des droits sur les œuvres el­
les­mêmes (films, séries, documentaires,
etc.). Les Netflix, Amazon et autres Apple in­
vestissent à coups de milliards de dollars par
an dans des productions originales pour en
être à la fois les producteurs et les détenteurs
des droits exclusifs, pour les diffuser uni­
quement sur leurs plates­formes de vidéo à
la demande par abonnement (SVoD) dans le
plus grand nombre possible de pays.
Face à cette force de frappe globale, les édi­
teurs de chaînes et les distributeurs audiovi­
suels et cinématographiques veulent, eux
aussi, des droits étendus sur les œuvres
qu’ils cofinancent – non seulement pour la
télévision ou les salles de cinéma, mais aussi
en replay et VoD sur Internet et les mobiles.
« La situation est un petit peu complexe pour
nous, car nous faisons face à une révolution
des droits. Le minimum garanti que nous de­
vons payer au producteur doit s’accompa­
gner d’un minimum de droits. Cette question
des droits est très tendue », a témoigné Em­
manuelle Bouilhaguet, directrice générale
de la distribution chez Lagardère Studios.
Entre la rémunération des auteurs et la dé­
tention des droits sur les œuvres, Internet
tourne le dos à l’ère de la gratuité, un revire­
ment historique.
charles de laubier
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