MondeLe - 2019-08-27

(Ron) #1

MARDI 27 AOÛT 2019 horizons| 17


THIERRY ALBA

ou six qui pensent être meilleurs qu’Ayrault,
décrit­il. Quand Ayrault s’exprime sur l’actua­
lité internationale, il faut voir les yeux qui
tombent de Fabius... C’est Fabius, ça se voit sur
sa gueule. »
Et puis, les très proches de Hollande ne re­
connaissent plus leur champion. Rebsamen
s’était préparé depuis si longtemps pour le
ministère de l’intérieur... Or, c’est Valls qui en
hérite. Vexé, le maire de Dijon refuse tout
autre strapontin et s’en ouvre à ses amis sé­
nateurs socialistes. L’un d’eux, François Pa­
triat, rit jaune : « L’autre, résume­t­il à propos
de “Rebs”, on lui propose tout, il ne veut rien. Et
moi, je veux tout et on ne me propose rien! »
Deux déçus pour le prix d’un. Et Rebsamen
n’a toujours pas digéré, sept ans après : « On
dit que Valls a été un bon ministre de l’inté­
rieur. Je pense exactement l’inverse. » Il af­
firme avoir dit ses quatre vérités à Hollande :
« Tu te prends pour Mitterrand, lui lance­t­il
un jour. Mais il y a une différence essentielle : il
était fidèle en amitié, lui. » Allez gouverner se­
reinement le pays dans ce contexte...
Ayrault se sait moqué, ignoré, contourné.
« Il patauge dans la semoule », se souvient
Rebsamen. Et le président ne l’aide pas. « Le
premier gouvernement Ayrault, c’est la dream
team de Hollande, relève Moscovici. La
somme de talents : Taubira, Montebourg, Tou­
raine, Fabius, Pellerin, Hamon... Et il trans­
forme cela en merde! Avec Hollande, il n’y
avait ni autorité ni responsabilité. » Pourtant,
à en croire Ayrault, « quand vous relisez le dis­
cours du Bourget, il y a tout ce qu’il faut pour
construire le récit du quinquennat. Mais il ne
l’a pas fait. Hollande a bricolé pour se rattra­
per aux branches... »
En témoigne le pacte budgétaire européen,
que le candidat socialiste avait promis de re­
négocier en privilégiant la croissance et l’em­
ploi. Souvenez­vous : l’adversaire, c’est la fi­
nance. A peine installé à l’Elysée, il décolle
pour Berlin, le 15 mai 2012. Dans l’avion, ses
conseillers, dont un jeune secrétaire général
adjoint du nom d’Emmanuel Macron. Le dé­
puté Maurel narre un échange étonnant, que
lui a rapporté ce même Macron au retour :
« Les conseillers sont dans l’avion pour Berlin,
ils arrivent vers le président en disant : “Pour
la renégociation, on va faire comme ça, voilà
ce qu’on va proposer...” Et Hollande leur ré­
pond : “Non, non, il n’y aura pas de renégocia­
tion.” Et il va essayer de dealer un truc à côté...
La douche froide. »
Du Hollande pur jus. Secret, indéchiffrable,
cloisonnant à l’extrême, sans ligne directrice

apparente. « Hollande prend les vagues, com­
mente Royal. Il met des petites briques. Il est
très bon tacticien, mais pas stratégique. Et
puis ce n’est pas un combattant, il ne va pas
prendre le risque. » Le premier occupant de
Matignon est bien placé pour en juger. « Hol­
lande est toujours sur la réserve quand il s’agit
de porter un discours idéologique », regrette
Ayrault. Il a cette image en tête : « Hollande,
tout d’un coup, il prenait sa feuille et faisait ses
petits calculs. » Or, l’arithmétique ne fait pas
une politique.
Très vite, les lendemains déchantent, les
ministres avec. Aurélie Filippetti, à la culture,
bataille pour conserver son budget : « Je me
prends une baisse de 4 %, raconte­t­elle. Et
Hollande me dit : “Si je fais une exception pour
la culture, que vont dire les autres ?” Sauf que
la culture est une question identitaire pour la
gauche. Il n’a pas respecté la phrase du Bour­
get, c’est tout le problème. Petit à petit, je dé­
couvre qu’il est très bienveillant vis­à­vis du
monde de l’argent, comme avec [le grand pa­
tron] Marc Ladreit de Lacharrière parce qu’il
possède une agence de notation [Fitch]. »
Valls n’a pas oublié ce discours sur l’islam et
la laïcité que le candidat Hollande devait pro­
noncer ; le lieu était même choisi, la mairie
du 20e arrondissement de Paris : « Il nous dit :
“Très bon discours, on fera ça la semaine pro­
chaine.” Puis la suivante. Et on ne le fera ja­
mais. » « Il a horreur de se laisser enfermer
dans une théorie. Sur tous les sujets, il prend
les vagues », analyse encore Valls, recourant
sans le savoir à la même métaphore que Sé­
golène Royal.

DÉSORDRE ET IMPUNITÉ
De fait, tous dépeignent un Hollande en sur­
feur madré. Un joueur d’échecs, aussi, avec
l’intelligence de la situation, mais à un ou
deux coups seulement, là où les meilleurs
stratèges prévoient une bonne dizaine d’of­
fensives ou de parades à l’avance. Le chef de
l’Etat néglige sa majorité politique, oublie
de la cajoler. Les frondeurs font leur appari­
tion lorsqu’il s’agit de ratifier le pénible
compromis obtenu par Hollande auprès
d’Angela Merkel.
Il n’y a donc pas eu de renégociation, et, le
9 octobre 2012, vingt­neuf députés socialistes
refusent de voter le pacte. L’amorce d’une ré­
bellion. Non sanctionnée. « François Hol­
lande a été un homme d’Etat tout à fait hono­
rable, et un chef politique absolument mina­
ble, lâche Pierre Moscovici, alors ministre de
l’économie et des finances. Incapable de diri­

ger une équipe. Les années que j’ai vécues à
Bercy ont été les pires de ma vie profession­
nelle. Il avait organisé le ministère avec sept
ministres, dont six qui n’avaient rien à faire, si
ce n’est parler! Montebourg me mordait sans
arrêt les mollets, capable de dire absolument
l’inverse de ce que nous faisions. »
Cacophonie à tous les étages. Avec un pré­
sident insaisissable. Moscovici ose évoquer,
sur France Inter, un « ras­le­bol fiscal »?
« François me dit : “Je t’ai entendu ce matin,
c’est comme ça qu’il faut parler”, se rappelle­
t­il. Ce qui ne l’a pas empêché, trois jours plus
tard, de me le reprocher. Les bonnes nouvelles
étaient pour lui, les mauvaises pour moi. Et
après il me disait : “Tu n’imprimes pas !” Un
calvaire... »
Il règne une forme de désordre, doublé
d’un sentiment d’impunité, dans ce vaste
capharnaüm gouvernemental, et les Fran­
çais s’en rendent bien compte. « C’est au pré­
sident de dire à Hamon : “Il faut que tes amis
votent le pacte européen, sinon tu n’es plus au
gouvernement”, s’agace Ayrault. Il a eu
l’autorisation que ses amis votent contre ou
s’abstiennent. Moi, je n’étais pas d’accord.
C’est un problème de fonctionnement politi­
que. » Le reste est à l’avenant. « La raison de
l’effondrement du quinquennat, c’est la dé­
sinvolture, s’acharne Ségolène Royal. Per­
sonnelle, cela va de soi, mais aussi la désin­
volture politique. »
Très vite, les couacs se multiplient. L’été
2012 est pourri. Pour reprendre la main, Hol­
lande, qui lui non plus « n’imprime pas », va
prendre un risque, non calculé. Au journal de
20 heures de TF1, le 9 septembre 2012, il pro­
met d’inverser la courbe du chômage « d’ici
un an ». A l’Elysée, devant l’écran de télévi­
sion, ses conseillers se regardent, médusés.
Ils n’étaient pas au courant. En fait, personne
ou presque ne l’était! A Matignon, Ayrault
lui­même n’en revient pas. « J’étais devant
mon poste de télé, je n’avais pas été associé, se
remémore­t­il. J’ai senti tout de suite que
c’était catastrophique. »
Il appelle Hollande juste après : « Pourquoi
tu as dit ça? Moi, j’aurais pu le dire, mais toi?
Ce n’est pas réaliste, on prend un risque
énorme. » Hollande écoute. Ne dit mot. Pour
lui, l’économie, c’est d’abord de la confiance.
Il faut rassurer, po­si­ti­ver. Or, Hollande,
adepte de la théorie des cycles, s’est four­
voyé : la croissance est durablement atone.
L’inversion – légère – de la courbe du chô­
mage interviendra, mais en fin de quin­
quennat. Trop tard.

« Il n’admet pas beaucoup les erreurs », juge
dans une litote Ayrault. Qui conclut : « Quand
on s’occupe de tout, ça finit par merder. » Idem
au sein du PS. Hollande, à distance, tire en­
core toutes les ficelles. Et trouve le moyen de
blesser une nouvelle fois Dray, son soutien de
tous les instants. Septembre 2012. Il faut trou­
ver un patron pour le parti, et Dray en rêve.
« Hollande ne m’a jamais rien donné », se dé­
sole le créateur de SOS­Racisme. Là, il y croit.
Les deux hommes se parlent.
« J’ai une bonne nouvelle pour toi, tu vas être
content..., lance Hollande.


  • Ah!

  • On va mettre Harlem Désir à la tête du PS.

  • Drôle d’idée. Il a des qualités, mais ce n’est
    pas son truc.

  • Il faut que tu l’aides...

  • Je ne vais pas lui faire son goûter, il est
    grand!

  • Ah... Mais tu devrais être content, c’est SOS­
    Racisme qui prend la tête du PS... »
    Depuis, le temps a passé, mais Dray ne dé­
    colère pas. « Me dire ça, à moi! La méchanceté
    de la phrase... Je ne sais même pas s’il se rend
    compte. Finalement, ce n’est pas un copain. »
    L’année 2012 se termine en pente raide. Le
    6 novembre, le chef de l’Etat annonce le
    pacte de compétitivité : 20 milliards d’euros
    de réductions d’impôts pour les entreprises.
    Nouveau coup de froid sur Solférino. Encore
    un reniement, estime l’aile gauche du PS, ef­
    fondrée de voir l’homme du Bourget tendre
    ainsi la main au patronat. Tout juste intro­
    nisé, Harlem Désir convoque les cadres du
    parti le même jour. « Il était blême, raconte
    Maurel. Et il nous dit : “Dans vingt minutes,
    Hollande va annoncer une nouvelle politique
    économique fondée sur l’offre.” Tout le
    monde est stupéfait, ce truc a été décidé à
    trois ou quatre... »


LE PSYCHODRAME DE FLORANGE
Trois semaines plus tard, c’est le psycho­
drame de Florange. Les hauts­fourneaux dis­
paraissent du paysage, en même temps que
tout un peuple d’ouvriers. Arnaud Monte­
bourg doit remiser ses rêves de nationalisa­
tion temporaire, pourtant encouragés par
Macron. Il vocifère, menace de démissionner.
« J’ai appelé Montebourg pour le calmer, se
souvient Ayrault. J’ai peut­être eu tort,
d’ailleurs, il serait parti et ce n’aurait pas été
plus mal. Je l’ai au téléphone : quand il m’in­
sulte, il est dans le bureau de Macron, avec
Aquilino Morelle. » Un drôle de trio, face à un
Ayrault désarmé. « C’étaient des manœuvriers,
peste l’ancien premier ministre. Il aurait fallu
que ce soit clair en haut. Hollande m’a juste dit :
“Tu t’en débrouilles, du dossier.” J’ai payé cher
en termes d’image. »
2012, donc. « L’été pourri, les couacs, les affai­
res perso... C’est une catastrophe absolue, ré­
sume Valls. Absolue. Au fond, le quinquennat
est plombé. Très vite, Hollande s’est posé la
question : pour lui, la gauche n’est pas à la hau­
teur de la responsabilité du pouvoir. Mais il
n’en tire jamais les conséquences. Jamais. »
D’autres le feront pour lui. « Est­ce qu’il avait
l’envergure? Je n’ai pas la réponse. Il n’a écouté
personne. Pas moi, en tout cas. Il n’a jamais été
capable de retourner vers son électorat. » C’est
Stéphane Le Foll qui parle. Maire du Mans, et
conseiller de Hollande pendant si longtemps.
Mais cet électorat, l’a­t­il réellement trahi?
En mars 2016, devant nous, Hollande avait vi­
vement réfuté cette accusation. « Le procès en
trahison est aussi vieux que celui de la gauche
de gouvernement, ça a toujours été instruit,
assurait­il. De Léon Blum à aujourd’hui, en
passant par François Mitterrand et Lionel Jos­
pin, il y a toujours l’idée “Vous n’avez pas été
jusqu’au bout de vos engagements, vous avez
manqué”. C’est un procès qui est fait à la so­
cial­démocratie. Il y a une expression, “les so­
ciaux­traîtres” : elle n’a pas été inventée depuis
quatre ans, c’est vieux comme le débat à gau­
che! Dès lors que vous acceptez les règles du
marché, vous trahissez. »
Désabusé, Christian Eckert, ancien secré­
taire d’Etat au budget, ne nie pas qu’au terme
du quinquennat la déception a été au rendez­
vous : « On a eu le sentiment d’accoucher
d’une souris. On s’est fait un peu rouler. » Cruel
sans même le vouloir, il rapporte cette inter­
rogation formulée un jour devant lui par Hol­
lande, alors en pleine préparation d’une in­
terview post­quinquennat : « Quand on me
reparle de cette phrase sur la finance – je sais
que la question va m’être posée –, rafraîchis­
moi la mémoire : qu’est­ce qu’on a fait contre
la finance? » Les questions, parfois, en disent
plus long que les réponses.
gérard davet et fabrice lhomme

Prochain article Les enfants perdus de la
Rue de Solférino

« LA RAISON 


DE L’EFFONDREMENT 


DU QUINQUENNAT, 


C’EST 


LA DÉSINVOLTURE. 


PERSONNELLE, 


CELA VA DE SOI, 


MAIS AUSSI


 LA DÉSINVOLTURE 


POLITIQUE »
SÉGOLÈNE ROYAL
Free download pdf