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INTERNATIONAL
MARDI 27 AOÛT 2019
Les dirigeants
du G7,
dimanche
25 août,
à Biarritz.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE
POUR « LE MONDE »
LES AMÉRICAINS
AURAIENT ÉTÉ
INFORMÉS DEPUIS
LA VEILLE DE LA
VENUE DU CHEF DE
LA DIPLOMATIE
IRANIENNE. TRUMP
A EXPLIQUÉ LUNDI
AVOIR DIT À
MACRON : « ALLEZY »
Boris Johnson prudent malgré les promesses de Donald Trump
Un éventuel accord commercial américanobritannique ne compenserait pas la facture sans doute salée d’un « hard Brexit » avec l’UE
londres correspondante
M
ême stature impo
sante, même chevelure
blonde, même aisance
face aux caméras, l’humour en
plus côté britannique. Donald
Trump et Boris Johnson ont affi
ché leur proximité, dimanche
25 août, au G7 de Biarritz, pour leur
premier têteàtête depuis que
M. Johnson est devenu le premier
ministre britannique. L’enjeu était
considérable pour ce dernier, qui
répète quotidiennement que le
divorce d’avec l’Union euro
péenne (UE) aura bien lieu le 31 oc
tobre, et qui a fait d’un renforce
ment de la « relation spéciale »
avec les EtatsUnis le cœur de son
argumentaire de brexiter.
Pourtant, celui que Donald
Trump appelle sans rire le « British
Trump » – « C’est un fantastique
premier ministre », atil ajouté – a
paru inhabituellement prudent.
M. Trump lui a promis un « très
grand accord commercial (...), plus
grand qu’il n’y en a jamais eu » avec
le RoyaumeUni, et ce « sous un
an ». Le Britannique a répondu que
cette « affaire fantastique » n’irait
pas sans « quelques obstacles ».
Un peu plus tôt dans la journée,
il avait souligné, auprès des mé
dias britanniques, à quel point les
EtatsUnis étaient encore fermés
aux produits nationaux : « Je ne
sais pas si les gens réalisent à quel
point ils peuvent parfois être pro
tectionnistes. Des discussions diffi
ciles nous attendent, car pour l’ins
tant, je ne crois pas que nous ven
dions une seule pièce de mouton ou
de bœuf aux EtatsUnis. »
« Le Congrès a son mot à dire »
M. Johnson ne l’ignore pas – ni les
experts, ni les médias britanni
ques, ni en partie son opposition
travailliste : un accord avec
Washington n’a rien d’évident. Si
tant est qu’il aboutisse, il risque en
outre d’avoir un coût conséquent,
politique, voire géopolitique.
D’un strict point de vue com
mercial, les intérêts des deux pays
ne convergent pas forcément.
Washington cherche surtout à
vendre davantage de produits
agricoles américains sur les mar
chés européens – et donc britanni
que –, très protégés, alors que Lon
dres espère un accès aux marchés
publics américains, ultrafermés.
« Un petit groupe de conserva
teurs britanniques promeut un ac
cord avec les EtatsUnis, mais leur
posture est avant tout idéologi
que, souligne David Henig, direc
teur du European Centre for In
ternational Political Economy
(Ecipe), à Londres. Il n’y a que des
gains économiques faibles à espé
rer d’un tel accord. Si M. Trump ac
ceptait de lever le “Buy American
Act” [préférence pour les produits
américains] au profit de Londres,
cela changerait la donne. Mais
c’est très improbable. »
Par ailleurs, comme l’a rappelé
David Warren, exambassadeur
britannique au Japon, sur le pla
teau de Sky News dimanche, « il est
bon qu’existe une bonne alchimie
entre M. Johnson et M. Trump »,
mais « ce dernier ne peut conclure
un accord seul, le Congrès améri
cain a son mot à dire ». Or, « il n’y a
aucune chance qu’il approuve un
accord avec le RoyaumeUni si le
Brexit remet en cause le traité de
paix en Irlande du Nord », a pré
venu la démocrate Nancy Pelosi,
présidente de la Chambre des re
présentants des EtatsUnis, mi
août. La menace est claire pour
M. Johnson, qui réclame aux Euro
péens l’abandon du « backstop »
(l’assurance contre le retour d’une
frontière en Irlande), condition se
lon Bruxelles de la sauvegarde des
accords de paix en Irlande.
Risque de « vassalisation »
Enfin, un éventuel accord transat
lantique ne compensera pas la
facture probablement salée d’un
« no deal » avec les Européens. Les
EtatsUnis sont certes un parte
naire conséquent du Royaume
Uni – qui y exportait pour
100 milliards de livres de biens
en 2016 (110 milliards d’euros), se
lon l’Office national des statisti
ques britanniques –, mais ce n’est
pas le premier : cette place est
sans conteste celle de l’UE, desti
nataire de presque la moitié des
exportations nationales.
Dans la foulée du passage à Lon
dres miaoût du conseiller à la
sécurité de M. Trump, John Bol
ton, les médias britanniques ont
souligné le risque que M. Trump
formule des exigences difficiles
pour le prix d’un accord. Le ban
nissement des produits du géant
chinois des télécoms Huawei, par
exemple ; l’abandon de la « taxe
digitale » britannique, équivalent
de la taxe digitale à la française,
que le président américain consi
dère « antiaméricaine » ; voire un
alignement sur la politique ira
nienne et russe de Washington.
Emmanuel Macron a osé évo
quer, lors de sa rencontre avec
M. Johnson, le 22 août, un risque
de « vassalisation » du Royaume
Uni visàvis de Washington. Une
expression dure, très mal ac
cueillie par les « brexiters ».
Prudent, M. Johnson a cité di
manche, lors d’un point presse
avec le président du Conseil euro
péen, Donald Tusk, « l’Iran, la Rus
sie, le libreéchange, Hongkong »
comme des exemples de la « proxi
mité » de son pays avec l’UE. Et
écarté l’ouverture du système de
santé britannique, le NHS, vérita
ble totem national, aux firmes
américaines. « Nous avons une
complète unanimité sur ce
point [avec M. Trump] », a assuré le
Britannique depuis Biarritz.
Il lui faudra beaucoup de sou
plesse dans les mois qui viennent
pour continuer à cultiver sa rela
tion avec M. Trump, sans tourner
complètement le dos à ses parte
naires européens, ni menacer les
intérêts de son pays.
cécile ducourtieux
Au G7, Macron impose
sa médiation sur l’Iran
De l’Amazonie au nucléaire iranien en passant par la taxe
GAFA, le président français a habilement orchestré un
exercice diplomatique qui s’annonçait à hauts risques
L E S O M M E T D U G 7 À B I A R R I T Z
biarritz envoyés spéciaux
C’
est un coup de maître
dans le premier G7 pré
sidé par Emmanuel Ma
cron. L’arrivée surprise à
Biarritz, dimanche
25 août dans l’après
midi, du ministre des affaires étrangères ira
nien, Mohammad Javad Zarif, a placé encore
un peu plus la question du nucléaire iranien
au cœur des travaux du sommet. Les discus
sions « ont été positives » et « vont se poursui
vre », a rapporté dimanche soir la présidence
française. Le ministre iranien, lui, est reparti
en début de soirée.
« M. Zarif n’a pas été invité au sommet, mais
il est venu rencontrer son homologue fran
çais, JeanYves Le Drian », a expliqué une
source diplomatique. Le ministre iranien ne
s’en est pas moins entretenu pendant une
demiheure avec le président français à la
mairie de Biarritz. De source française, on as
sure que les Américains étaient informés de
puis la veille de la venue du chef de la diplo
matie iranienne. Trump a expliqué lundi
avoir dit à Macron : « Allezy », tout en ju
geant qu’il était « trop tôt » pour qu’il rencon
tre M. Zarif luimême.
EVITER QUE TRUMP NE CLAQUE LA PORTE
Le déjeuner en tête à tête « improvisé » sa
medi avec le président des EtatsUnis aurait
visé en fait à préparer le terrain et éviter que
le président américain, coutumier de réac
tions imprévisibles, ne claque la porte du
sommet en apprenant l’arrivée du ministre
iranien.
La décision aurait été prise après le dîner
du samedi soir, où la question iranienne a
été beaucoup discutée. Il n’y aurait eu
aucun contact entre Iraniens et Américains.
En revanche, Allemands et Britanniques
ont été associés aux discussions, mais pas
avertis à l’avance de la venue de M. Zarif. An
gela Merkel a laissé entendre qu’elle avait
appris au dernier moment son arrivée.
Soigneusement préparé en amont, ce G7,
qui s’annonçait difficile, sur fond de rivalités
entre des dirigeants affaiblis ou focalisés sur
leurs enjeux de politique intérieure, était,
lundi matin, à quelques heures de la clôture
du sommet, un succès du président français.
Tous les grands dossiers chauds du moment
y ont été abordés, depuis les feux ravageant
l’Amazonie jusqu’aux risques de récession
économique, la guerre commerciale entre
Washington et Pékin, les conditions d’une
réintégration au sein du G7 de la Russie,
chassée du club en 2014 après l’annexion de
la Crimée, et les taxes sur les géants du nu
mérique. Mais les tensions dans le Golfe et le
nucléaire iranien ont incontestablement do
miné le sommet.
Malgré les efforts d’Emmanuel Macron, le
sujet continue d’opposer Donald Trump et
les autres chefs d’Etat et de gouvernement
des grandes puissances économiques démo
cratiques de ce club informel réunissant les
EtatsUnis, la France, le RoyaumeUni, l’Alle
magne, l’Italie, le Japon et le Canada. Déjà
abordé samedi lors du dîner informel, au
même titre que les relations avec la Russie et
l’Amazonie, le sujet iranien a été au cœur des
débats de la première grande réunion plé
nière dimanche, consacrée à « l’agenda stra
tégique et de sécurité et à l’économie inter
nationale » et animée par Emmanuel Ma
cron en bras de chemise, avec le président
américain à sa droite et la chancelière alle
mande à sa gauche.
« Nos discussions, hier, sur l’Iran, ont dégagé
deux lignes de force communes. Aucun mem
bre du G7 ne veut que l’Iran puisse jamais
avoir l’arme nucléaire (...) et tous les membres
du G7 sont profondément attachés à la stabi
lité et la paix de la région, et donc ne veulent
pas engager des actions qui puissent nuire à
cellesci », a expliqué le président français.
« Dans ce cadrelà, on a évoqué différentes ini
tiatives », atil ajouté.
Si M. Macron compte bien relayer auprès
de Téhéran ces points de consensus pour
tenter d’amorcer une négociation, il a expli
qué qu’en aucun cas il ne serait porteur d’un
message commun. « Le G7 est un club infor
mel, il n’y a pas de mandat formel qui est
donné dans le cadre du G7 à l’un ou à l’autre,
et donc il y a des initiatives qui continueront
d’être prises par les uns et les autres pour par
venir à ces deux objectifs », atil précisé.
« INTENSIFIER LE DIALOGUE »
Depuis trois mois, le président français s’ac
tive pour enrayer l’escalade entre Washing
ton et Téhéran. Les divergences sont éviden
tes avec Donald Trump, qui s’est retiré en
mai 2018 de l’accord de Vienne de juillet 2015
entre les cinq membres permanents du Con
seil de sécurité, plus l’Allemagne et l’Iran, ré
tablissant ses sanctions économiques à l’en
contre de Téhéran, encore durcies en mai.
Mais les six autres membres du G7, à com
mencer par les deux autres capitales signa
taires de l’accord, Londres et Berlin, veulent,
tout comme Paris, préserver l’accord et con
vaincre l’Iran de revenir aux engagements
pris dans le cadre de l’accord qui gèle et met
sous contrôle international l’atome iranien.
Les préoccupations de Washington et de
Paris, comme des autres Européens, sont
communes sur le nucléaire iranien. Tous
reconnaissent les limites de l’accord de
juillet 2015, dont bon nombre de clauses ar
rivent à échéance en 2025. Il s’agit aussi de
le compléter avec un accord balistique,
mais aussi d’obtenir des engagements de
Téhéran pour mettre fin à ses tentatives de
déstabilisation régionale en Syrie, au Liban
et au Yémen.
Mais si le président français souhaite com
pléter l’accord, Donald Trump veut le balayer
et mettre une pression maximale sur Téhé
ran afin d’obtenir un nouveau texte. Les
deux approches n’en sont pas moins com
plémentaires. « Sans les Européens et leurs ef
« JE NE SAIS PAS
SI LES GENS
RÉALISENT À QUEL
POINT LES ÉTATSUNIS
PEUVENT ÊTRE
PROTECTIONNISTES »
BORIS JOHNSON
premier ministre britannique