MondeLe - 2019-08-27

(Ron) #1

8 |france MARDI 27 AOÛT 2019


« La transition écologique


est compatible avec


le libre­échange »


Un an après le départ de Nicolas Hulot, la secrétaire d’Etat


Emmanuelle Wargon défend la politique de l’exécutif


ENTRETIEN


L

e 28 août 2018, Nico­
las Hulot démissionnait
avec fracas du gouverne­
ment, en dénonçant la
politique des « petits pas » du
pouvoir en matière écologique.
Un an plus tard, Emmanuelle
Wargon, secrétaire d’Etat auprès
de la ministre chargée de la tran­
sition écologique et solidaire,
soutient l’idée que les change­
ments « prennent du temps ».

Le gouvernement s’est­il remis
du traumatisme causé par
la démission de Nicolas Hulot
il y a tout juste un an?
Nicolas Hulot, c’est un lanceur
d’alerte, une grande voix de l’éco­
logie. Il avait accepté l’aventure
gouvernementale, mais partici­
per à cette aventure suppose de
savoir se coltiner le réel, de faire
des compromis, d’avancer étape
par étape. Il avait beaucoup plaidé
pour que son ministère s’appelle
transition écologique et solidaire,
or, l’idée même de transition, c’est
d’y aller progressivement.
Lui est dans une posture qui
consiste à dire que ça ne va jamais
assez vite ou assez fort. Il faut que
nous arrivions à montrer que, de
façon plus pragmatique, plus col­
lective, on sait faire avancer les
grands dossiers et mener les in­
dispensables transformations de
notre société. L’ambition du
président de la République et du
premier ministre est intacte, et
même renforcée.

Nicolas Hulot s’est confronté à
Emmanuel Macron sur
le CETA en juillet. Est­il en train
de devenir un opposant?
Cela marque en tout cas un in­
fléchissement de son positionne­
ment. J’ai été surprise, car c’est un
sujet auquel il a contribué positi­
vement : il s’était impliqué dans
l’obtention d’un veto climatique.
Autant on peut avoir beaucoup
d’inquiétudes sur l’accord de
libre­échange avec le Mercosur,
autant le CETA avait été forte­
ment amélioré.

Sa position pose la question de
savoir si la transition écologique
est compatible ou non avec le
libre­échange et l’économie de
marché. Ma réponse est oui. Dire
qu’on va fermer les frontières à
tout n’est pas la solution. Nous
n’avons pas d’alternative à l’éco­
nomie de marché en tant que
système. Elle a sorti des centai­
nes de millions de personnes de
la pauvreté dans le monde pen­
dant les trente dernières années.
Mais il faut passer à une nou­
velle phase de son développe­
ment, que tous les acteurs éco­
nomiques soient comptables
des impacts sociaux et environ­
nementaux de leur action.

Emmanuel Macron accuse
le président brésilien, Jair
Bolsonaro, d’avoir « menti »
sur ses engagements en faveur
du climat et dit s’opposer
« en l’état » à un traité de libre­
échange avec le Mercosur.
Cet accord est­il mort?
Personne ne peut douter du fait
que la position exprimée par le
président de la République n’est
pas décorative. Si les engagements
pris par les pays du Mercosur, et en
particulier le Brésil, en matière de
protection de l’environnement et
de la biodiversité ne sont pas te­
nus, la France s’opposera à la ratifi­
cation de cet accord et cela blo­
quera son application. Notre posi­
tion est claire et sans ambiguïté.

On a parfois le sentiment d’une
dichotomie entre le discours
d’Emmanuel Macron à l’inter­
national et la réalité de son ac­
tion écologique en France...

On a passé les vingt dernières
années à se satisfaire de grands
appels, de grandes prises de cons­
cience et de grands discours.
L’opinion publique nous de­
mande d’être capables de passer à
l’acte, et cela implique des chan­
gements profonds de politiques
publiques qui prennent du
temps. On a vu, avec le mouve­
ment des « gilets jaunes », qu’on
ne peut agir de façon dogmatique
ou péremptoire. Les agriculteurs,
par exemple, on leur donne jus­
qu’en 2025 pour réduire de 50 %
leur consommation de pestici­
des. Cela ne peut pas se faire du
jour au lendemain, il faut trouver
des solutions alternatives.
Le ministère de l’écologie a une
caractéristique – qui peut consti­
tuer une faiblesse –, c’est qu’il est
assez conceptuel à long terme. Un
plan n’a jamais sauvé un oiseau
ou une rivière, c’est son applica­
tion qui le fait, la mise en œuvre
concrète de mesures. Je veux
m’engager, avec Elisabeth Borne
et Brune Poirson, à ce que l’action
concrète se mette en place et que
les résultats soient perceptibles
de nos concitoyens.

Vous assumez le fait d’avoir
reculé sur le projet d’interdire
la location de logements pas­
soires thermiques dès 2025...
Sur les passoires thermiques, il y
a beaucoup de choses à faire avant
l’interdiction. Une interdiction
pure et simple de location aurait
fait sortir 47 % des locations du
parc privé, dont une partie des
bailleurs qui n’avaient probable­
ment pas les moyens de faire les
travaux. Il faut commencer par
simplifier les aides – elles sont trop
complexes et le crédit d’impôt est
versé trop tard aujourd’hui – et les
ouvrir aux propriétaires bailleurs.
Il faut aussi assouplir les règles
de majorité dans les copropriétés
pour pouvoir mener des tra­
vaux ; mieux cibler les finance­
ments publics. Nous envisa­
geons aussi de créer un média­
teur de la rénovation des bâti­
ments, et d’évaluer le travail des
guichets qui accompagnent les

particuliers. C’est aux pouvoirs
publics de faire leur boulot pour
rendre les changements de com­
portement possibles, avant de
taxer ou d’interdire.

Espérez­vous réintroduire
une hausse de la taxe carbone
à la faveur de la convention
citoyenne sur le climat?
Je ne sais pas ce que diront les ci­
toyens au sujet de la taxe carbone.
Mais, la logique, c’est qu’ils nous
entraînent, qu’ils nous aident à
faire les changements le plus vite
possible tout en les rendant ac­
ceptables. La taxe carbone per­
mettrait de financer toujours plus
d’actions pour l’écologie. Le pro­
duit de toute augmentation de­
vrait être alloué à 100 % à la politi­
que écologique. Cette taxe permet
de montrer à tout le monde que
les carburants fossiles ont un im­

pact sur l’environnement. Mais
elle ne saurait être réintroduite
sans accord démocratique. La
convention est une première
étape de cet accord.

Trouvez­vous injuste le sort
qui a été réservé à François
de Rugy, contraint de démis­
sionner après avoir été mis
en cause sur son usage
de l’argent public?
Il y a une demande d’exempla­
rité des dirigeants publics extrê­
mement forte, liée à des années
durant lesquelles certains ont
parfois pris des libertés, ou eu
un mode de vie qui ne corres­
pond plus aux exigences
d’aujourd’hui. François de Rugy
a peut­être été maladroit dans
sa défense. Mais, quand on re­
garde la somme de ce qui lui est
reproché – les travaux de son ap­

partement de fonction étaient
proportionnés aux lieux, et il
n’a pas enfreint les règles sur
l’utilisation de ses frais de man­
dat de député –, on se dit que
c’est une sanction très forte
pour quelque chose qui était as­
sez symbolique.

Serez­vous candidate
aux élections municipales
à Saint­Mandé, dans le Val­de­
Marne, en mars 2020?
Je réfléchis, je n’ai pas encore
pris ma décision. Je serai ou pas
sur la liste, mais en tout cas pas en
tête de liste. La République en
marche a désigné quelqu’un de
très bien. J’ai l’intention, quoi
qu’il arrive, de m’engager sous
une forme ou une autre en
politique locale.
propos recueillis par
olivier faye

Sous la pression écologiste, Emmanuel Macron repasse au vert


Amazonie, glyphosate, accord de Paris... au G7, à Biarritz, le chef de l’Etat a raffermi son discours sur l’urgence écologique


biarritz (pyrénées­atlantiques)
­ envoyé spécial

F


aire d’une pierre deux
coups. Lors du sommet du
G7 à Biarritz, qui devait se
terminer lundi après­midi, Em­
manuel Macron a singulièrement
fortifié sa stature d’homme
d’Etat, en faisant avancer de
manière spectaculaire les négo­
ciations sur l’Iran. Mais il en a
aussi profité pour rafraîchir son
costume de héraut de l’écologie,
sensiblement terni depuis la dé­
mission de Nicolas Hulot il y a
tout juste un an.
Alors que tout le monde s’atten­
dait à ce que les questions géo­
stratégiques occupent l’essentiel
des discussions, le chef de l’Etat a
focalisé une partie de l’attention
sur les incendies qui ravagent la
forêt amazonienne. « Nous de­
vons répondre à l’appel de l’océan
et de la forêt qui brûle », a­t­il dé­
claré en préambule du sommet,
promettant des avancées en ma­
tière de lutte contre les feux en

cours mais aussi de préservation
de la biodiversité.
Signe d’une action réfléchie,
Emmanuel Macron avait lancé
l’offensive dès jeudi soir, en pu­
bliant un Tweet dans lequel il
fustige l’inaction face aux incen­
dies en Amazonie. « Notre maison
brûle. Littéralement », a­t­il écrit
en français et en anglais, repre­
nant une formule déjà utilisée
par Jacques Chirac lors d’un som­
met climatique à Johannesburg
en 2002, ajoutant : « C’est une crise
internationale. »

Prêt à « changer la loi »
Surtout, le chef de l’Etat a mis en
scène un affrontement avec Jair
Bolsonaro et annoncé qu’il sus­
pendait son soutien à l’accord
commercial du Mercosur, accu­
sant le président brésilien de lui
avoir « menti » sur les actions me­
nées par Brasilia pour lutter con­
tre la déforestation. « La France ne
signera aucun accord commercial
avec un pays qui ne respecte pas
l’accord de Paris et ne s’engage pas

concrètement dans la préserva­
tion du climat et de la biodiver­
sité », justifie­t­on à l’Elysée.
L’offensive climatique du chef de
l’Etat ne s’est pas limitée à l’Amazo­
nie. Dans un entretien accordé
vendredi au site Konbini, M. Ma­
cron a dit soutenir « dans ses inten­
tions » le maire de Langouët, une
commune bretonne qui a interdit
l’utilisation de pesticides à moins
de 150 mètres des habitations ou
des locaux professionnels et qui
est poursuivi en justice par le
préfet d’Ille­et­Vilaine.

Le glyphosate « a des conséquen­
ces pour la santé publique, il faut
arrêter de dire des bêtises », y dé­
fend le chef de l’Etat, se disant
prêt à « changer la loi » pour per­
mettre aux élus locaux de pren­
dre des mesures de protection. En
juin, le Conseil d’Etat avait annulé
une partie de l’arrêté interminis­
tériel de 2017 qui régit l’usage des
pesticides en France, estimant
qu’il ne protégeait pas suffisam­
ment la santé des citoyens et l’en­
vironnement. Un nouvel arrêté
est attendu cet automne.
Au cours du G7, Emmanuel Ma­
cron s’est également réjoui que
des armateurs maritimes s’enga­
gent à réduire la vitesse de leurs
bateaux, pour diminuer leurs
émissions de gaz à effet de serre,
mais aussi à ne pas emprunter la
« route du nord », qui fait passer
les navires à travers l’Arctique
russe. « Beaucoup sont en train
d’expliquer que le réchauffement
climatique est une bonne nou­
velle, la glace est en train de fon­
dre, donc on va passer par là. Utili­

ser cette route nous tuerait », a
mis en garde le chef de l’Etat. Le
transporteur français CMA­CGM
s’est engagé à ne pas emprunter
cette route.
En insistant sur tous ces dos­
siers, le chef de l’Etat entend re­
prendre le leadership du combat
climatique, qu’il avait endossé
une première fois au début de son
mandat, lors du One Planet Sum­
mit de décembre 2017, à l’occasion
duquel il avait lancé le slogan
« Make our Planet Great Again »,
version détournée du « Make
America Great Again » de Donald
Trump. « J’avais des convictions,
j’ai changé d’ailleurs ces derniers
mois, très profondément », a con­
fié Emmanuel Macron au site
Konbini, assurant avoir « beau­
coup lu, beaucoup appris ».
La charge du chef de l’Etat est
aussi un moyen de ne pas se lais­
ser déborder en France par les
écologistes, qui ont réalisé un bon
score aux élections européennes
(13,5 % des voix en France) et me­
nacent les listes de La République

en marche (LRM) pour les munici­
pales de 2020. C’est aussi une fa­
çon de répondre à la mobilisation
pour le climat impulsée par la mi­
litante suédoise Greta Thunberg,
très populaire parmi la jeunesse.
M. Macron reconnaît d’ailleurs
que les manifestations de jeunes
de ces derniers mois, pour lutter
contre le réchauffement climati­
que, l’ont « fait réfléchir ».
« L’attitude d’Emmanuel Macron
correspond sans doute à un savant
dosage de stratégie politique et de
conviction, estime le député
Matthieu Orphelin, un proche de
Nicolas Hulot qui a quitté le
groupe LRM début 2019 pour pro­
tester contre l’inaction climatique
du gouvernement. Tout pas dans
cette direction est bon à prendre. A
la condition qu’on passe très vite
aux actes et qu’on ne s’en tienne
pas à des déclarations d’intention.
Il ne faut pas s’arrêter à des symbo­
les et à des compromis. Sinon, tout
cela risque de se traduire à nou­
veau par de la déception. »
cédric pietralunga

« Son attitude
correspond à
un savant dosage
de stratégie
politique et
de conviction »
MATTHIEU ORPHELIN
député ex-LRM

La secrétaire
d’Etat
auprès de la
ministre de
la transition
écologique
et solidaire,
Emmanuelle
Wargon,
à Paris,
le 23 août.
JULIEN DANIEL/MYOP

« On a passé les
vingt dernières
années
à se satisfaire
de grands appels
et de grands
discours »
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