Temps - 2019-08-27

(Martin Jones) #1

PUBLICITÉ


LE TEMPS MARDI 27 AOÛT 2019

20 Culture


Septembre
musical
Du 1er au
9 septembre.
septmus.ch

À VOIR


PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE BONIER
t @SylvieBonier

Une révolution se prépare sur la
Riviera. Le nouveau directeur, Mischa
Damev, rebat les cartes du Septembre
musical qui stagnait depuis plusieurs
années. Le premier cru du fringant quin-
quagénaire, chef d’orchestre et aussi res-
ponsable de la série des concerts sym-
phoniques de Migros Classics, ouvre les
fenêtres du festival sur le monde. Avec
vue sur la Russie cette année.

Ce choix initial a-t-il été dicté par une sen-
sibilité tournée vers l’Est ou d’autres cri-
tères? Il y a probablement une part liée à
mes racines. Mais ce qui m’a motivé avant
tout, ce sont les ponts très nom-
breux et puissants que les artistes
russes ont tendus avec la Riviera.
Des relations littéraires et musi-
cales historiques. Nabokov, Stra-
vinski, Tchaïkovski, Tolstoï, Dostoïevski
et tant d’autres sont venus dans la région,
y ont séjourné, créé, ou s’y sont installés
pour un temps plus ou moins long. La pré-
sence russe est omniprésente ici.

Aujourd’hui elle est devenue très impor-
tante partout. Est-ce un atout ou un han-
dicap pour cette première édition? Les
deux. Le choix est vaste, et d’une qua-
lité exceptionnelle. Mais beaucoup d’ar-
tistes viennent souvent jouer en Suisse
romande, notamment. Valery Gergiev,
qui passera trois jours chez nous pour
y donner quatre concerts, est devenu
chef attitré de l’orchestre du festival de
Verbier où il s’installe en été. On l’en-
tend aussi à Genève et dans les environs
pendant la saison. Mais c’est un artiste
unique, que je connais bien. Et qui aime
beaucoup, comme moi, les défis.

Par exemple? Les extraits de l’opéra
Eclipse d’Alexander Raskatov, qu’il a
créé en 2018 à Saint-Pétersbourg. Mais
il dirigera aussi Pierre et le loup, récité
par Henri Dès, des extraits de Roméo et
Juliette de Prokofiev, la 4e Symphonie
et le 2e Concerto pour piano de Tchaï-
kovski interprété par Alexandre Kanto-
row (fils de Jean-Jacques et médaille d’or

au concours Tchaïkovski). En ajoutant
le 2e Concerto pour violon de Prokofiev
par Daniel Lozakovich et Shéhérazade
de Rimski-Korsakov, Gergiev parcourt
un riche territoire national. Dans cette
diversité et cet équilibre-là, il est royal.

C’est quoi l’âme russe pour vous? Le monde
des extrêmes. Dans le meilleur sens du
terme. Une capacité immense de don-
ner et d’aller au-delà des limites dans
les sentiments, avec en même temps,
un corset très strict de discipline. Tchaï-
kovski disait: «Je veux que vous me don-
niez le cœur seulement, sans les intes-
tins.» Je suis fasciné par cette noblesse
de la folie contrôlée.

Et l’identité musicale? Elle est extraordi-
naire. La culture est très récente en Rus-
sie. Elle s’est réveillée en 1800. Avant, il n’y
avait presque rien à part des icônes. Elle
explose avec Pouchkine et donne pen-
dant un siècle une grande partie de notre
culture européenne. Avec ses
créateurs puissants, la Russie
est sortie d’un coup du Moyen
Age. C’est une jeune nation qui,
après 75 ans de communisme et
une des révolutions les plus sanglantes
de l’histoire de l’humanité, tente de sor-
tir de modèles anciens. Pourtant l’hysté-
rie et la brutalité de son passé ont aussi
engendré de grands génies.

Comment se traduit cette folie dans votre
programmation? Par un débordement
d’expressions et de talents. Le festival
Off propose des films, exposition et ren-
dez-vous gratuits de danse, humour,
jeux ateliers, dégustations culinaires,
visites guidées, animations de rues
ou conférences. La clôture du In a été

confiée au très physique Théâtre musi-
cal de Moscou et son spectacle Reverse.
Il y aura une pléiade de jeunes musiciens
(11 ans pour la benjamine Alexandra
Dovgan, 25 ans pour les aînés) et des
artistes de haute volée parmi lesquels
Mikhaïl Pletnev s’inscrit en chef de réfé-
rence.
L’illustration du paradoxe russe passe
encore par deux pianistes que j’adore:
Boris Berezovsky, sorte de punk du clas-
sique, capable de tout chambouler et qui
ne respecte que les partitions, et Niko-
laï Lugansky, son exact opposé, tout de
rigueur et de clarté.

La jeunesse est votre fer de lance. Avec
l’émerveillement de la découverte, est-ce
aussi une façon d’équilibrer le budget? Pas
du tout. Nous rémunérons généreuse-
ment ces jeunes qui sont invités en
grand nombre dans le In et le Off. C’est
avant tout l’occasion de rendre hom-
mage à leur soif de connaître, de créer
et de trouver leur propre identité artis-
tique. Et de faire découvrir à un public
qui ne les a jamais entendus des artistes
à la personnalité déjà très affirmée, dont
on n’imagine pas l’exceptionnalité.

Certains se disent choqués par une forme
d’exploitation de ces poussins à peine sortis
de l’œuf. Comment vivez-vous la précocité
artistique? Pendant l’ère communiste, on
peut se demander si l’utilisation poli-
tique d’une image de surhumanité, une
sorte de course à la suprématie, ne cas-
sait pas des enfants poussés à l’extrême,
tant dans le domaine du sport que de
la musique. Aujourd’hui, je pense que
les enfants ressentent un réel plaisir à
grimper sur la scène pour offrir le meil-
leur et partager la musique entre eux
comme avec le public.

Vos coups de cœur? Le concert des cinq
prodiges sortis du concours «Casse-noi-
sette». La télévision indépendante Rus-
sian Kultura a créé cet événement qu’elle
diffuse en prime time avec un succès fou.
Il faut voir la joie de ces enfants, et leur
talent! Quant au chœur Glinka, il est issu
d’une institution fondée au XIVe siècle
par Ivan le Terrible. Cette école pour
jeunes garçons inscrit la musique au
programme. Les élèves passent huit ans
à pratiquer un instrument et fréquen-
ter le chœur, quatre heures par jour. Ils
peuvent choisir ce cursus à partir de
10 ans. Le résultat est stupéfiant. ■

«La noblesse de la folie


contrôlée me fascine»


Parmi les artistes à l’affiche de la nouvelle édition du Septembre musical, Mischa Damev ne tarit pas d’éloges sur deux pianistes russes:
Boris Berezovsky, une «sorte de punk du classique», et Nikolaï Lugansky, «tout de rigueur et de clarté». (DOROTHÉE THÉBERT POUR LE TEMPS)

CLASSIQUE Le nouveau directeur du
Septembre musical, Mischa Damev,
plonge le festival de la Riviera dans un
grand bain russe. Tour d’horizon avant
l’ouverture

«L’âme russe, c’est le


monde des extrêmes.


Dans le meilleur sens


du terme. Une


capacité immense


de donner et d’aller


au-delà des limites


dans les sentiments»


INTERVIEW

Free download pdf