Echos - 2019-08-28

(lily) #1

Denis Fainsilber
[email protected]


Parmi les nombreux grands chan-
tiers actuels à l’aéroport d’Orly,
celui de la rénovation complète
d’une des principales pistes d’atter-
rissage n’est pas le plus simple.
Depuis la fin juillet et jusqu’au
2 décembre prochain, les vols sont
totalement interrompus sur la
piste 3, la plus au sud, l ivrée aux p el-
leteuses. Un chantier hors norme
de 110 millions d’euros, qui mobilise
chaque jour de 700 à 1.000 person-
nes, 7 jours sur 7.
Contrairement aux rénovations
de surface qui suffisaient jus-
qu’alors, il a fallu voir beaucoup
plus grand pour cette piste cons-
truite dès 1947 dans le cadre du
plan Marshall, et rallongée en 1959.
« Depuis 2016, nous savions que l’on
allait vers un chantier majeur, car, en
plus de la problématique d’adhé-
rence, nous avons découvert des
désordres structurels dans la chaus-
sée même, dont les dalles de béton ne
sont plus stabilisées, selon Régis
Lacote, le directeur de Paris-Orly.
Au total, il nous a fallu deux ans de
travail avant le chantier, que nous
avons décidé de réaliser en une seule
fois, car cela suppose une interrup-
tion de trafic beaucoup moins longue
que sur deux années consécutives. »


Béton recyclé
Au total, le chantier pharaonique
réalisé par un groupement
emmené par Colas suppose donc
de démolir et d’extraire l’ancien
béton sur une longueur totale de
2.200 mètres (soit les deux tiers de
la piste) et une épaisseur de 40 cen-
timètres, avec des machines fractu-
ratrices a d hoc venues tout droit des
Etats-Unis. Puis d’arracher la sous-
couche de terre ancienne, p our des-
cendre de 1,30 mètre en profondeur.
Au total, 300. 000 tonnes de béton
ont été broyées... dont 200. 000 ton-
nes seront concassées aussitôt sur
le chantier même, pour servir de
base à la nouvelle piste, une fois que
ces granulats sont mélangés à un
liant hydraulique.
Le solde (100.000 tonnes) sera
recyclé pour différents chantiers de
BTP du Sud francilien. « Nous avons
pu disposer ici trois usines à ciel
ouvert, qui produisent en flux con-
tinu : l’une pour concasser le vieux
béton, une autre pour fabriquer le


matériau nécessaire à l’assise, la der-
nière pour les 17 5.000 tonnes
d’enrobé venant par-dessus », expli-
que un responsable de Groupe
ADP. Des montagnes de granulats
sont disséminées sur 20 hectares.

Des obus de la Luftwaffe
En plus des problèmes de stabilité
interne de l’ouvrage, la piste devait
être remise aux normes européen-
nes, notamment pour les pentes
des accotements. En réalisant ces
opérations, des obus de la DCA alle-
mande ont é té mis au jour, datant de
l’époque où la Luftwaffe occupait
Orly, jusqu’aux bombardements
américains de l’été 1944. Complica-
tion supplémentaire : la piste 3
enjambe la nationale 7, via un pont
qu’il a fallu sérieusement renforcer
pour supporter la masse d es avions.
Outre le terrassement classique, la
modernisation comprend aussi des
opérations de désamiantage des
réseaux, l’installation d’un nouveau
balisage lumineux à lampes LED et
d’un nouveau système d’atterris-
sage par mauvais temps (ILS).
Ni le couvre-feu nocturne d’Orly
en vigueur depuis 1968 , ni le pla-
fond maximal de vols annuels
(250. 000 mouvements) ne sont
remis en cause à terme par cette
rénovation. Elle crée néanmoins
quelques remous chez des riverains
temporairement confrontés à des
survols inhabituels. Pour quelques
mois, les compagnies aériennes ont
surtout dû adapter leurs program-
mes à l’utilisation d’une piste uni-
que (puis deux au lieu de trois à
compter de septembre). Au total,
4.600 vols ont été supprimés pen-
dant les quatre mois de travaux et
3.000 autres ont été décalés à des
plages horaires moins chargées, à
comparer au total de 229.000 vols
réalisés l’an dernier. Le trafic d’Orly
devrait donc s’inscrire en légère
baisse cette année, après avoir déjà
commencé à piquer du nez en
juillet (–4,2 %). n

lUn chantier à flux tendu de 110 millions d’euros se tient à Orly : il s’agit de rénover pour la première fois une piste


en profondeur, pour des raisons de sécurité.


lADP a promis aux compagnies aériennes de leur rendre la piste début décembre.


A l’aéroport d’Orly, une piste à refaire


en un temps record


BTP


été le cas de mai à fin juillet », expli-
que Jean-Baptiste de Prémare,
délégué général du syndicat pro-
fessionnel Routes de France.
L’été constitue le pic d’activité
pour la réfection des revêtements
bitumineux et après la pénurie
intervenue à l’été 2018, l’approvi-
sionnement s’est révélé cette
année si tendu que la profession
craint la réfection technique pré-
vue dans une raffinerie mi-sep-
tembre. Sur le chantier en cours de
la rénovation de la piste 3 d’Orly,
« on a eu très peur en amont d’une
pénurie de bitume, mais nous avons
sécurisé le sujet grâce à des contrats
d’approvisionnement auprès de
Total », selon un responsable de
Colas.
« Nous avons demandé au minis-
tère une réflexion sur le caractère

structurel du problème », indique le
délégué général de Routes de
France. Certaines des causes sont
bien connues. Il ne reste plus que
huit raffineries en France métro-
politaine, ce qui laisse peu de
marge en cas de problème indus-
triel ou de maintenance. D e même,
le nombre de chauffeurs routiers
habilités au transport des matières
dangereuses a beaucoup diminué,
au point que cela avait constitué un
goulet d’étranglement à l’été 201 8.

Lisser davantage
les travaux sur l’année
Reste u n troisième f acteur structu-
rel à ces pénuries récurrentes : la
commande publique de travaux
routiers (70 % du total). « Les col-
lectivités locales votent toutes leur
budget au printemps, veulent toutes

dizaines de milliers de communes
ou intercommunalités donneuses
d’ordre. »

Refus de recyclage
Le dynamisme de la commande
publique depuis deux ans a exa-
cerbé l e problème. Tout comme les
préjugés des clients p ublics face au
recyclage. Refaire un revêtement
bitumineux implique de le raboter.
On peut alors recycler cet ancien
enrobé (du bitume et des cailloux)
pour réduire le besoin de matières
neuves. Mais les clients publics
freinent des quatre fers. « Techni-
quement, on pourrait recycler
davantage, ce sont les clients publics
qui refusent l’emploi de matières
recyclées, ou le limite à un taux à ne
pas dépasser », témoigne un grand
groupe de travaux publics.

En attendant de faire évoluer le
comportement des clients publics,
reste à gérer le pic de travaux de
septembre et octobre, à l’approche
des élections municipales. En cas
de pénurie de bitume, pas
d’inquiétude pour les gros chan-
tiers comme celui d’Orly. Mais
80 % de l’activité est constituée de
chantiers trop petits pour que ce
soit faisable (la taille moyenne d’un
chantier chez Colas, par exemple,
est de 100.000 euros).
Pour cette myriade de petits tra-
vaux, il faudra choisir ceux à
reporter si le bitume vient à man-
quer localement. De mai à juillet,
les reports ont souvent concerné
des campagnes d’entretien routier
courant. Mais ce n’est qu’une solu-
tion d’attente face à un problème
qu’il faudra bien régler un jour.n

Les travaux publics redoutent un nouveau manque de bitume


Myriam Chauvot
[email protected]


Pas de travaux publics s ans bitume
et le secteur s’inquiète pour son
approvisionnement. Une réunion
se tiendra ce mercredi avec les
pouvoirs publics, les transpor-
teurs et les pétroliers pour faire le
point car « nous craignons de man-
quer à nouveau de bitume à partir
de mi-septembre et de devoir diffé-
rer certains chantiers, comme cela a


Une réunion se tiendra ce
mercredi avec les pouvoirs
publics, les transporteurs et
les pétroliers pour faire le
point, car les travaux
publics craignent à nouveau
de manquer de bitume à
partir de mi-septembre.


des travaux en mai-juin avec un
achèvement en septembre-octobre
et les élections municipales de 20 20
ajoutent à la tension », souligne
Jean-Baptiste de Prémare. Il faut

davantage lisser les travaux sur
l’année, notamment en les démar-
rant avant mai. Les associations
d’élus nationaux sont sensibles au
sujet, mais c’est compliqué. Il y a des

En cas de pénurie
de bitume,
pas d’inquiétude
pour les gros
chantiers comme
celui d’Orly.

30 0.


TONNES
La quantité de béton qui a été
broyée, dont 200 .000 tonnes
seront concassées aussitôt
sur le chantier même
pour servir de base
à la nouvelle piste.

ENTREPRISES


Mercredi 28 août 2019 Les Echos

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