Echos - 2019-08-28

(lily) #1

Une rentrée marquée par des taux


historiquement bas


Guillaume Benoit
@gb_eco


Cela fait plusieurs années que les
investisseurs ne considèrent plus le
mois d’août comme une période
calme sur les marchés. Mais
mêmes des spécialistes aguerris
des obligations d’Etat ont été sur-
pris par la détente enregistrée au
cours des 15 derniers jours. « Lors
des deux dernières semaines, les
mouvements de marché sont allés
bien au-delà de ce que nous aurions
pu imaginer, confessent ainsi les
analystes d’UniCredit. Le rende-
ment allemand à 10 ans a ainsi perdu
15 points de base. »
Le 16 août, le taux du Bund à 10 ans
a même établi un record, à –0,73 %.
La veille, le taux f rançais à 10 ans, q ui
évoluait encore, fin juillet à –0,14 %
était tombé à –0,44 %. « La semaine
du 15 août a marqué les esprits des
investisseurs car la baisse a été très
rapide, un peu trop peut être, estime
Cyril Regnat chez Natixis. Son
ampleur s’explique notamment par
le petit nombre d’acteurs présents sur
le marché à cette période, et donc les
faibles volumes, mais également par
un contexte économique et politique
particulièrement riche. »


Les valeurs refuges
privilégiées
Entre les nouvelles tensions com-
merciales entre Pékin et Washing-
ton et la crise gouvernementale en
Italie, les investisseurs ont eu ten-
dance à privilégier les valeurs refu-
ges que constituent les obligations


d’Etat, même s’ils ont quand même
renâclé à a cheter la dette à 30 ans de
l’Allemagne, proposée pour la pre-
mière fois avec un rendement en
dessous de zéro. Sur les 2 milliards
d’euros proposés par Berlin,
824 millions ont trouvé preneurs.

Plusieurs risques
planent toujours
Depuis, les inquiétudes se sont par-
tiellement apaisées et les taux euro-
péens ont repris quelques points de
base. Mais ils sont encore à des
niveaux très faibles, et devraient y
rester durablement. La rentrée
s’annonce donc sous le signe des
taux négatifs. D’abord p arce que les
tensions internationales restent
fortes. Ensuite parce que plusieurs
risques planent toujours, qu’il
s’agisse d’un départ sans accord du
Royaume-Uni, ou d’une possible
récession outre-Rhin. Et, surtout,
tant la Banque centrale euro-
péenne que la Réserve fédérale
américaine devraient assouplir
leur politique monétaire d’ici à la
fin du mois prochain.
La Fed, qui a déjà baissé ses taux
de 25 points de base en juillet,
devrait renouveler l’opération le
18 septembre. Du côté de la BCE, les
marchés s’attendent à la fois à une
baisse du taux de dépôt, assorti d’un
mécanisme de différenciation afin
d’en limiter les effets négatifs pour
les banques, et une reprise des
achats massifs d’obligations, qu’elle
avait abandonnés en décembre der-
nier. Certains investisseurs envisa-
gent même de voir à terme le taux
de dépôt de l’institution de Franc-
fort, actuellement à –0,40 %, tom-
ber à terme à –0,75 %. Pourtant la
baisse qui devrait être annoncée le
12 septembre devrait plutôt tourner
autour de 10 points de base.
Pour les Etats européens, les con-
ditions d’emprunts devraient donc
rester très favorables, au moins jus-
qu’à la fin de l’année. Toutefois, les
différents Trésors sont déjà bien
avancés dans leur programme de
financement. Ils ont levé en
moyenne 70 % du montant prévu
pour 20 19. I ls pourraient profiter du
contexte pour placer des titres à la
maturité plus longue et donc plus
rémunérateurs. « Il n’est pas impos-
sible de voir la France proposer aux
investisseurs son obligation à
50 ans », avance Cyril Regnat.n

lLes taux d’emprunts des Etats européens ont connu un été hors norme, le rendement


du Bund allemand à 10 ans touchant même –0,71 %.


lIls devraient rester à des niveaux très bas encore longtemps, sous l’effet cumulé de l’action


des banques centrales et des craintes sur l’économie.


EMPRUNTS D’ÉTAT


inverse du prix des obligations – est
tombé à 1,13 % mardi, en chute de
18 points de base sur la journée, son
niveau le plus bas depuis septem-
bre 2016.
Les t aux i taliens se sont détendus
en deux phases, en fin d’année der-
nière avec le passage d’un budget
négocié avec Bruxelles et au début
de l’été, lors de l’euphorie obliga-
taire générale. Soit une chute de
plus de 230 points de base depuis
novembre, un mouvement impres-
sionnant pour de la dette d’Etat.
Certains gérants ont eu le nez
creux en augmentant leur exposi-
tion à la dette italienne. Les investis-
seurs étrangers ont acheté pour
plus de 15 milliards d’euros de dette
italienne depuis le début de l’année,
d’après une note de DWS. « Compte
tenu de la masse des obligations à
rendement négatif [ plus de
16.0 00 milliards de dollars, NDLR],
les emprunts d’Etat italiens avec leur

rendement encore positif sont ten-
tants », écrit Joern Wasmund, res-
ponsable obligataire chez DWS.

« L’un des meilleurs ratios
risque-rendement »
En France, Carmignac notamment
a misé sur la dette italienne, aug-
mentant son exposition depuis la
fin du premier trimestre. A la fin
juillet, Carmignac Sécurité
(10,6 milliards d’euros d’encours)
avait investi plus de 10 % de ses
actifs dans de la dette italienne, et
Carmignac Patrimoine (13 mil-
liards d’encours) plus de 13 % de ses
actifs.
La dette i talienne à 10 ans offre un
rendement d’environ 180 points de
base par rapport à la dette alle-
mande. Ce « spread » était de
260 points de base en moyenne au
premier semestre. « Les fondamen-
taux économiques ne justifient pas
autant de défiance des investis-

seurs », estime Marie-Anne Allier,
cogérante de Carmignac Sécurité.
Selon la gérante, l’écart de taux
pourrait encore se resserrer pour
retrouver ses niveaux précédents
l’arrivée au pouvoir de la Ligue et du
M5S, à moins de 150 points de base.
« Dans l’univers des dettes d’Etat,
la dette italienne offre l’un des
meilleurs ratios risque rendement,
encore aujourd’hui », argumente-t-
elle. De fait, les obligations italien-
nes à 10 ans ont vu leur prix grimper
de près de 14 % depuis début juin,
contre un gain de moins de 5 %
pour les obligations allemandes de
même maturité. La perspective
d’une reprise des achats d’actifs de
la Banque centrale européenne
(BCE) constitue un facteur de sou-
tien supplémentaire.
Pour autant, C armignac s urveille
de près la situation. « L’un des
grands problèmes de l’Italie c’est
l’influence des facteurs politiques qui

alimentent la volatilité », regrette
Marie-Anne Allier. La gérante reste
vigilante en attendant d’en savoir
plus sur la forme du nouveau gou-
vernement et le budget 202 0.n

L’espoir d’une coalition en Italie fait chuter les taux


Bastien Bouchaud
@BastienBouchaud


Les tensions politiques en Italie
sont loin d’effrayer les marchés. Au
contraire, la fin de la coalition gou-
vernementale entre la Ligue de
Matteo Salvini et le Mouvement
5 étoiles de Luigi Di Maio et la pers-
pective d’un accord entre ce dernier
et le Parti démocrate de Matteo
Renzi ont é té bien a ccueillies par les
investisseurs. Le taux d’emprunt à
10 ans de l’Italie – qui évolue en sens


La perspective d’une
coalition gouvernementale
entre le Parti démocrae
et le Mouvement 5 étoiles
rassure les investisseurs.
Le rendement des emprunts
d’Etat italiens à 10 ans
a fondu de 18 points de base
à 1,13 % mardi, au plus bas
depuis septembre 201 6.


Isabelle Couet
@icouet

Et si la zone euro perdait son
actif le plus sûr? La question
hante les marchés. « Alors que
les Etats-Unis risquent une inon-
dation de nouveaux emprunts
d’Etat au cours de la prochaine
décennie, l’Europe est menacée
d’une pénurie d’actifs sans ris-
que », constate Gilles Moëc, chez
AXA. Selon lui, si les principaux
paramètres restaient inchangés
au cours des 20 prochaines
années – croissance annuelle,
solde primaire rapporté au PIB
et trajectoire des taux d’intérêt –
la dette allemande, qui fait office
de valeur la plus sûre de la zone
euro, aurait totalement disparu
en 2039. L’économiste reconnaît
toutefois qu’un tel scénario est
peu probable.

Flambée des prix
Il n’en reste pas moins que
la rareté de la dette allemande
est une réalité avec laquelle les
investisseurs doivent composer.
Elle a pour effet de faire flamber
le prix de cet actif. Quelques
(rares) gérants ont même
accepté des taux négatifs sur des
obligations à 30 ans émises
récemment par Berlin. Cela
signifie qu’ils sont prêts à perdre
de l’argent pour détenir ce
« papier » très sûr. Du jamais vu
sur une t elle maturité e n
Europe. Ce phénomène de raré-
faction à l’œuvre depuis plu-
sieurs années s’explique par
l’état des finances publiques
allemandes, qui permettent au
gouvernement de ne plus émet-
tre de dette nouvelle. Cette
année Berlin emprunte 154 mil-
liards d’euros sur les marchés,
comparé à environ 200 mil-
liards pour la France. La dette
allemande ne représente par
ailleurs que 15 % de l’encours
d’emprunts d’Etat de la zone
euro, contre 26 % pour l’Italie et
23 % pour l’Hexagone.

Meilleure alternative
Autre facteur : le programme
d’achats de la Banque centrale
européenne (BCE), qui détient
environ 30 % du stock total de
dette allemande. Si depuis le
début de l’année l’institution
limite ses interventions, elle
achète encore les quantités
nécessaires pour maintenir la
taille de son portefeuille. Cette
politique a largement contribué
à assécher le marché des titres
allemands. Et le fera encore si,
comme prévu, elle redémarre
dans les prochains mois. Les
banques centrales étrangères et
autres gérants qui ont besoin
d’actifs sûrs risquent dès lors de
payer un prix stratosphérique
pour obtenir du « papier » alle-
mand. Ils se reporteront aussi
sans doute sur la dette française
qui, si elle n’a pas le même statut
« sans risque », constitue la
meilleure alternative.n

Berlin n’émet plus de
dette nouvelle et la BCE
achète des quantités
massives d’obligations.
Le marché des titres
allemands s’amenuise.

La dette


allemande,


un actif sûr


en voie de


disparition


« La semaine
du 15 août a
marqué les esprits
des investisseurs
car la baisse
a été très rapide,
un peu trop peut
être. »
CYRIL REGNAT
Chez Natixis

« L’ un des grands
problèmes
de l’Italie
c’est l’influence
des facteurs
politiques qui
alimentent
la volatilité. »
MARIE-ANNE ALLIER
Cogérante
de Carmignac Sécurité

FINANCE & MARCHES


Les EchosMercredi 28 août 2019

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