Echos - 2019-08-28

(lily) #1

06 // MONDE Mercredi 28 août 2019 Les Echos


Ninon Renaud
@NinonRenaud
—Correspondante à Berlin

Les perspectives d’une détente
commerciale entre la Chine et les
Etats-Unis redonnent du baume
au cœur à l’Allemagne et à son
ministre de l’Economie, Peter Alt-
maier, en visite ce mercredi à l’uni-
versité du Medef. La publication,
mardi, des détails des performan-
ces économiques du pays révèle
que le recul de la croissance au
deuxième trimestre (– 0,1 %) est
exclusivement dû à la chute des
exportations, pour l’essentiel en
produits industriels, malmenées
par les tensions commerciales
internationales.
Cela devrait réduire le courroux
du président américain : Berlin a
importé davantage de biens qu’il
n’en a vendu dans le monde. Alors
que les exportations ont chuté de
1,3 % au cours du deuxième trimes-

L’Allemagne garde


le cap malgré


les vents contraires


tre, les importations n’ont reculé
que de 0,3 %. Sur un an, celles-ci
ont même progressé de 1,8 %, tan-
dis que le recul des exportations
atteint 0,8 %, soit la plus forte
baisse jamais atteinte depuis six
ans. L’économie domestique
résiste grâce aux dépenses publi-
ques, à la baisse du chômage et à
la hausse de revenus des ménages,
dont les salaires n ets ont progressé
de 4,8 % en un an, entraînant une
augmentation de 3,1 % de leur
revenu disponible. Au total, la con-
sommation des ménages a pro-
gressé de 1,5 % sur un an, et les
dépenses publiques de 1,9 % sur la
même période.

Le moral des entrepreneurs
au plus bas
Le risque de fléchissement n’est
pas dissipé pour autant. Le moral
des entrepreneurs allemands
est au plus bas depuis novem-
bre 2012, selon le baromètre Ifo
publié lundi, et il n’est pas exclu
qu’il déteigne sur celui des ména-
ges. « Les signes d’une récession en

Allemagne se multiplient », estime
Clemens Fuest, président de l’Ins-
titut de recherche économique de
Munich. « La baisse de l’indice pour
le secteur manufacturier ne s’arrête
pas » et « un pessimisme similaire a
été observé pour la dernière fois
pendant l’année de crise 2009 »,
rappelle-t-il.
L’Office national de la statisti-
que Destatis f ait néanmoins état c e
mardi d’un excédent budgétaire
de 45,3 milliards d’euros au pre-
mier semestre – soit 2,7 % du PIB.
C’est moins que les 51,8 milliards
atteints il y a un an, mais cela reste
confortable et nourrit les appels de
plus en plus pressants en faveur
d’un programme de relance pour
doper l’économie.
Peter Altmaier répond pour
l’heure par la négative, assurant
qu’il faut raison garder. Une posi-
tion soutenue le week-end dernier
par le président de la Bundesbank,
Jens Weidmann, qui assurait dans
une interview au « Frankfurter
Allgemeine Zeitung » qu’« il n’y a
pas de raison de paniquer ».n

lLe recul de 0,1 % du PIB allemand au deuxième


trimestre tient exclusivement au recul des exportations.


lAvec un excédent budgétaire de 45,3 milliards d’euros


au premier semestre, le gouvernement juge


les fondamentaux de son économie suffisamment solides.


EUROPE


« Nous avons besoin d’une politique industrielle européenne


capable de peser dans les grands débats économiques mondiaux »


La croissance allemande
a de nouveau reculé
au deuxième trimestre.
Faut-il craindre une récession
en Allemagne?
Non, il s’agit plutôt d’une croissance
modérée, après une phase excep-
tionnelle de croissance continue
durant dix ans. Nous traversons un
ralentissement spécifique au sec-
teur industriel, qui est très dépen-
dant des exportations et des conflits
commerciaux internationaux, qu’il
s’agisse des tensions entre les Etats-
Unis et la Chine, entre l ’Europe et l es
Etats-Unis ou encore des incertitu-
des liées au Brexit.


Quel serait le coût
d’un Brexit dur
pour l’Allemagne?
Une sortie sans accord du Royau-
me-Uni de l’UE ne peut pas être
exclue, même si nous voulons l’évi-
ter. Cette incertitude pèse d’ailleurs
déjà sur notre économie comme
sur celle de nos partenaires euro-
péens. Si nous y sommes préparés,
ses conséquences financières ne
sont cependant pas calculables
aussi simplement. Nous ferons tout
ce qui est possible pour limiter ce
coût, et j’ai bon espoir que certains
points soient aplanis.


Pourriez-vous
néanmoins réviser
encore à la baisse
vos prévisions de croissance?
Nous avons déjà réduit nos antici-
pations au printemps pour les por-
ter à 0,5 % en 20 19, c e qui e st peu par
rapport aux niveaux de 2014 à 2017.
Il n e faut pas oublier que l’économie
allemande a atteint un niveau de
prospérité inédit depuis l’après-
guerre. Le pays a embauché plus de
monde que jamais dans son his-
toire et, selon l’Office de la statisti-
que, l’emploi en Allemagne e st resté
au deuxième trimestre supérieur
de 1 % à l’an dernier. Ce, malgré
le ralentissement économique.


Les appels à assouplir
votre politique budgétaire
pour redonner de l’air
à l’économie se font plus
pressants parmi les industriels
et vos partenaires européens.
Pourriez-vous renoncer au
dogme du « Schwarze Null »
ou déficit zéro?
Les appels de ce type ne sont pas
nouveaux! Personnellement, je
suis partisan d’une politique écono-
mique plus volontariste de l’Etat
pour encourager la croissance.
Mais je suis aussi convaincu que la
politique budgétaire doit respecter
des règles strictes. J’ai toujours
soutenu la politique de Bruno Le
Maire de rééquilibrage du budget
français, et il est essentiel que tous
les pays membres de l’Union euro-
péenne respectent les règles euro-
péennes en la matière. La discipline
budgétaire permet d’abaisser le
coût des crédits publics : l’A llema-
gne bénéficie désormais de taux
d’intérêt à trente ans négatifs, c’est
un symbole de la confiance des
marchés dans le sérieux de notre
politique budgétaire, il faut respec-
ter cette confiance.

Ne serait-ce justement
pas l’occasion de profiter
de ces taux avantageux
pour investir davantage?
Ces dernières années, l’Allemagne a
mené des investissements sans pré-
cédent dans les infrastructures,
l’éducation ou encore la recherche
et développement. Et ce, tout en
réduisant le déficit public à zéro.
Pour le moment la baisse du chô-
mage et les recettes fiscales ne peu-
vent que nous conforter dans notre
approche.

Les recettes fiscales
se réduisant avec
le ralentissement économi-
que, aurez-vous assez de
moyens pour relever les défis
industriels, notamment liés
au changement climatique,
auxquels le pays fait face?
Nous avons entamé un processus
de délibérations sur les mesures à
mettre en œuvre pour protéger le
climat et soutenir les accords de
Paris. Le 2 0 septembre, n ous arrête-
rons ainsi une décision sur la tarifi-
cation du CO 2. J’ai une préférence
pour un élargissement du système
européen d’échange de quotas
d’émissions aux secteurs non
encore couverts comme le bâti-
ment et le transport mais le débat
sur la création d’une taxe CO 2 n’est
pas tranché. Il le sera à la fin du mois
prochain.

L’objectif de votre
gouvernement d’une
tarification du CO 2 indolore
pour les ménages
et les industriels n’est-il pas
un vœu pieu?
L’Allemagne a toujours eu un rôle
pilote dans la protection du climat
mais nous constatons que la majo-
rité de ses habitants aspire désor-
mais à une politique encore plus
courageuse. C’est une bonne nou-
velle, mais elle ne doit pas entraîner
une perte de compétitivité. C’est un
grand défi pour nous tous, qui
demande une coordination avec
nos voisins européens les plus pro-
ches. Le sujet est complexe mais
nous sommes bien décidés à res-
pecter n os engagements en matière
de réduction d’émission de gaz à
effet de serre d’ici à 2030.

Regrettez-vous d’avoir
pris la décision de renoncer
au nucléaire dès la fin 20 22
avant le charbon en 2038,
lequel est beaucoup plus pol-
luant en matière de CO 2?

Le volet nucléaire est un thème plus
sensible en Allemagne qu’ailleurs
depuis plus de trente ans, mais la
décision de fermer la dernière cen-
trale nucléaire d’ici fin 202 2 reflète
un large consensus social au sein
des partis et des citoyens. Les émis-
sions de CO 2 par habitant en Alle-
magne étant deux fois plus impor-
tantes qu’en France, nous devons
cependant augmenter les efforts
dans d’autres secteurs.

Le modèle industriel
allemand, très traditionnel
et énergivore, est sous
pression : quelles sont les
conditions de sa pérennité?
De la bonne performance de notre
industrie dépendent notre standard
de v ie et la réussite d u modèle d’inté-
gration européenne. Il est donc
essentiel de préserver nos sites
industriels e n Allemagne mais aussi
dans le reste de l’Europe. C’est un de
nos plus grands défis et il passe par
la définition d’une politique indus-
trielle européenne capable de peser
dans les grands débats économi-
ques mondiaux. La définition de
cette stratégie sera la priorité de la
nouvelle commission européenne.
Dans ce cadre, le couple franco-
allemand a un rôle clef d’impulsion,
comme nous l’avons montré avec
Bruno Le Maire en présentant en
février dernier notre manifeste
franco-allemand pour une politi-
que industrielle européenne. La
Pologne nous a déjà rejoints le mois
dernier à Poznań en signant une
proposition commune pour
moderniser la politique euro-
péenne de concurrence. Il faut
poursuivre dans cette logique.

La commission a bloqué
la fusion Alstom-Siemens.
L’arrivée d’Ursula von der
Leyen à sa présidence vous
rend-elle optimiste sur une
évolution de sa doctrine en
matière de concurrence?

C’est en effet une présidente franco-
allemande dans la mesure où c’est
Emmanuel Macron qui a proposé
son nom! Ursula Von der Leyen a
en outre dit clairement qu’elle agi-
rait en tant que telle et c’est une
vraie nécessité. Elle est, avec une
mission beaucoup plus large, dans
une configuration comparable à
celle du français Jacques Delors il y
a trente ans, qui avait mis en œuvre
la politique impulsée par le couple
Miterrand-Kohl.

Outre la création
de consortiums de production
de cellules de batterie
électrique en cours,
vous aviez évoqué un « Airbus
de l’intelligence artificielle » :
où en est-il?
Je suis en étroites discussions avec
Bruno Le Maire pour présenter
bientôt des propositions. La créa-
tion de structures européennes de
stockage de données pour les
acteurs industriels sera notam-
ment clef pour la mise en œuvre de
solutions basées sur l’intelligence
artificielle. Il faut absolument assu-
rer à nos entreprises une alterna-
tive aux systèmes chinois ou améri-
cains. Nous avons pris du retard du
fait de nos calendriers domestiques
respectifs chargés, mais le dossier
avance.

Dans ce domaine,
craignez-vous que
les élections régionales en
Saxe et dans le Brandenbourg
le 1er septembre prochain
fragilisent plus encore votre
coalition gouvernementale
avec le SPD?
Je r este c onvaincu que les membres
du SPD auront conscience de leurs
responsabilités. Les tensions inter-
nationales et les défis économiques
actuels ne nous donnent pas droit
au divorce.

Propos recueillis par N. R.

PETER ALTMAIER
Ministre
de l’Economie

Il a dit


« La création
de structures
européennes
de stockage
de données
pour les acteurs
industriels sera
notamment clef
pour la mise
en œuvre
de solutions basées
sur l’intelligence
artificielle. »

Micha

el

Soh

n/AP/S

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