Echos - 2019-08-14

(coco) #1
dans ce sens) cache deux concep-
tions divergentes de la justice fis-
cale, qui se sont toutes deux expri-
mées lors du mouvement des
« gilets jaunes ».
Dans ses travaux, le chercheur a
identifié une première accepta-
tion, selon laquelle l’impôt doit
prendre suffisamment en compte
les inégalités de richesse, et une
seconde focalisée sur l’efficacité
économique et l’autonomie des
contribuables. Deux conceptions
« qui ne sont pas nécessairement
identiques et stables », explique-t-il.
Dans le premier groupe,
« l’adhésion au système fiscal est le
corollaire d’un fort attachement à
l’Etat et aux services publics », ajou-
te-t-il. On y trouve proportionnel-
lement plus de fonctionnaires et

de contribuables se déclarant à
gauche. Les répondants auront
plutôt tendance à penser que la
TVA est injuste et que les autres
impôts sont justes.

Efficacité économique
Dans le second groupe, plutôt
classé à droite, « la conception de la
justice fiscale privilégie l’efficacité
économique s ur t oute considération
relative aux fonctions redistributi-
ves », précise l’é tude. Les artisans,
commerçants, chefs d’entreprise,
ou cadres supérieurs y sont davan-
tage représentés. Ces contribua-
bles o nt 1,7 f ois plus de chances q ue
les professions intermédiaires de
trouver que l’impôt sur la fortune
est injuste. A l’inverse, la TVA est
plus souvent perçue comme étant

juste. C’est le cas pour 72 % des
membres des professions libéra-
les et pour 63 % des cadres et pro-
fessions intellectuelles supérieu-
res, alors que cette proportion est
de 43 % pour l’ensemble de la
population. « Ce raisonnement ges-
tionnaire s’inscrit dans une concep-
tion de l’Etat valorisant s a capacité à
maîtriser ses dépenses de façon
rigoureuse », décrit Alexis Spire.
Cette pluralité explique sans
doute la profusion de propositions
fiscales dans le grand débat, de la
TVA au taux réduit à la fin de l’ISF,
en passant par la lutte contre la
fraude. Sachant que, quelle que
soit la conception de la justice fis-
cale, le bon impôt, c’est celui qu’on
ne paie pas!
— In. F.

Deux conceptions divergentes de la justice fiscale


Dans son enquête, publiée par la
Revue de l’OFCE, le sociologue
Alexis Spire a demandé à quelque
2.900 personnes représentatives
de la population française si elles
considéraient tel ou tel impôt
comme juste. Encore faut-il savoir
ce que l’on appelle un « impôt
juste ». L’apparent consensus fran-
çais sur le poids écrasant des
impôts (88 % de réponses vont

L’apparent consensus
français sur le poids
écrasant des impôts cache
deux conceptions diver-
gentes de la justice fiscale,
l’une axée sur la redistri-
bution des richesses,
l’autre sur l’efficacité
économique.

loi pour l a liberté de choisir son ave-
nir professionnel du 5 septembre
2018 est déjà en partie dévoyée! La
prochaine présentation par Muriel
Pénicaud, la ministre du Travail,
d’une ordonnance recadrant une
partie de ce texte va apporter de
l’eau au moulin de tous ceux qui cri-
tiquent la gestion de la formation
professionnelle par les partenaires
sociaux. Même si la réforme de l’an
passé a réduit à la portion congrue
leur possibilité de jouer avec les
fonds mutualisés.
Le recadrage en question porte
sur un nouveau dispositif de recon-
version ou de promotion par alter-
nance Pro-A. Apparu lors des

débats parlementaires, il cible les
personnes peu qualifiées dont le
métier est menacé de disparition
par les évolutions technologiques.
Pour éviter d’en arriver à une sup-
pression de poste, les branches pro-
fessionnelles sont encouragées à
s’en servir dans le cadre de réflexion
sur les évolutions de leurs métiers.

Dérive sérieuse
Concrètement, la formation, de 6 à
36 mois selon les profils, vise
l’obtention d’une qualification
reconnue, après avoir suivi un cur-
sus d’enseignements généraux et
professionnels. Elle peut se dérou-
ler durant le temps de travail –

auquel cas la rémunération d u sala-
rié est assurée – ou en dehors.
Point majeur, comme pour
l’apprentissage des jeunes, aucune
limite n’est fixée : même si la
demande explose, toute formation
Pro-A sera financée, assure le
ministère du Travail, via les opéra-
teurs de compétences (opco), les
nouveaux organismes à la main des
syndicats et d u patronat qui définis-
sent les niveaux de prise en charge.
Pour quel bilan, près de douze
mois après son entrée en vigueur?
Contacté, le ministère du Travail ne
produit pas de chiffres, mais fait
état d’un nombre de demandes
important. Important, mais pas

La dérive a été jugée suffisamment
sérieuse pour y mettre le holà.
L’ordonnance, qui sera présentée
lors du Conseil d es ministres d e ren-
trée du 21 août prochain, va sévère-
ment encadrer le recours à Pro-A. Il
faudra désormais que les branches
arrêtent par accord des listes de
métiers menacés, de métiers visés,
ou des catégories de salariés éligi-
bles. Surtout, l’accord devra être
étendu par le ministère du Travail.
« C’est hyperexigeant en termes
d’analyse de l’évolution des compé-
tences de manière à empêcher tout
dévoiement », assure-t-on dans
l’entourage de la ministre, Muriel
Pénicaud.n

Alain Ruello
@AlainRuello


Même pas un an au compteur et la


EMPLOI


Le dispositif de recon-
version ou de promo-
tion par alternance
Pro-A est détourné
de son usage.


Une ordonnance va
encadrer le recours
à ce dispositif.


Formation : le ministère du Travail va stopper certains abus


l Neuf mois après le début du mouvement des « gilets jaunes », une étude publiée par l’OFCE revient


sur les fondements de la crise du consentement à l’impôt en France.


lL’auteur, chercheur au CNRS, identifie une relation avec le niveau de diplôme, l’âge et l’éloignement d’une grande ville.


Plus on s’éloigne des grandes villes,

moins l’impôt est accepté

Ingrid Feuerstein
@In_Feuerstein


Le débat sur le rejet de l’impôt s’est
souvent focalisé sur l’exil fiscal, ce
qui laisse à penser que le phéno-
mène concerne avant tout les plus
riches. Le mouvement des « gilets
jaunes » a montré que cette crise du
consentement à l’impôt pouvait
éclater dans les classes populaires.
Neuf mois après les premiers ras-
semblements sur les ronds-points,
le chercheur au CNRS, Alexis Spire,
a publié dans la revue de l’OFCE de
nouvelles conclusions sur le ras-le-
bol fiscal des Français, en retraitant
les données de sa dernière enquête
réalisée auprès d’un échantillon
représentatif de 2.900 personnes en
2017.
L’étude est riche en enseigne-
ments sur le rejet de l’impôt. Pre-
mièrement, le chercheur a trouvé
une corrélation entre le sentiment
d’injustice fiscale et la distance par
rapport à une grande ville. Son
travail montre que les habitants
des petites villes (entre 2.000 et
20.000 habitants) sont respective-
ment 1,68 et 1,35 fois plus enclins
à trouver la CSG et l’impôt sur le
revenu injustes que ceux des gran-
des agglomérations (de 200.000 à
1,9 million d’habitants).


Clivage selon le diplôme
En milieu rural, la proportion est
1,4 fois plus élevée que dans les
grandes villes. « Plus on s’éloigne des
grandes villes, plus le sentiment
d’être taxé injustement s’accroît,
affirme Alexis Spire, qui associe ce
sentiment à la distance par rapport
aux services publics. Résider en
zone rurale ou dans les petites villes
peut nourrir la conviction d’être pré-
levé comme les autres, sans pour
autant jouir des mêmes investisse-
ments publics. »
Autre clivage : le niveau de
diplôme des répondants. L’étude
montre que « les diplômés du supé-
rieur se démarquent par leur adhé-
sion à l’ensemble des prélèvements
(excepté l’ISF) par rapport aux
moins diplômés qu’eux ». Le cher-
cheur a testé la connaissance de
deux prélèvements, l’impôt sur le
revenu et la TVA, auprès des per-
sonnes interrogées, et constaté que
l’impôt était mieux accepté lorsqu’il
était compris. Parmi les individus
ayant un niveau supérieur au bac, la
part de ceux qui jugent l’impôt sur
le revenu injuste est de 10 points


FISCALITÉ


complètement dans les clous de la
loi. Rue de Grenelle, on s’est aperçu
que des entreprises, encouragées

par certains opco, utilisaient les
fonds fléchés vers Pro-A pour
financer de la formation standard.

Des entreprises,
encouragées
par certains opco,
utilisent les fonds
fléchés vers Pro-A
pour financer de la
formation standard.

inférieure (18 % au lieu de 28 %)
selon qu’ils connaissent ou non son
fonctionnement.

« Effets de connaissance »
Autre enseignement : le sentiment
d’injustice fiscale décroît avec l’âge.
Ainsi les jeunes de 18 à 29 ans sont
31 % à trouver l’impôt sur le revenu
injuste, alors que les plus de 60 ans
sont seulement 16 % de cet avis, un
écart qui peut s’expliquer « par des
effets de connaissance ». Seule la
CSG est c onsidérée comme particu-
lièrement injuste par les plus âgés.
« Les plus jeunes ont toujours connu
la C SG comme un prélèvement stable
sur leur rémunération, ce qui n’est
pas le cas d es plus de 5 0 ans qui ont vu
son taux passer de 1 % à 9,2 % »,
explique l’étude.
Paradoxalement, l’enquête
n’identifie pas de corrélation nette
en fonction du niveau de revenus.
Les trois quarts des contribuables
d’un foyer imposable considèrent
que l’impôt sur le revenu est juste,
contre 64 % pour ceux qui n’y sont
pas assujettis. Cependant, l ’étude ne
fait pas de distinction parmi les
foyers gagnant plus de 4.000 euros,
ce qui reste une catégorie de contri-
buables très hétérogène.
Dans tous les cas, le sentiment de
ras-le-bol fiscal paraît s’être exa-
cerbé ces dernières années. Pas
moins de 88 % des contribuables
pensent que « la France est un pays
où l’on paie trop de charges et trop
d’impôts ». Dans une précédente
enquête datant de 2013, cette
phrase recueillait 84 % d’approba-
tion. L’étude rappelle l’attachement
des Français à l’ISF, que seuls 20 %
des répondants ont q ualifié
d’injuste, contre 25 % pour l’impôt
sur le revenu, 41 % pour la taxe
d’habitation et 48 % pour la CSG.n

« Résider en zone
rurale ou dans
les petites villes
peut nourrir
la conviction d’être
prélevé comme
les autres, sans
pour autant jouir
des mêmes
investissements
publics. »
ALEXIS SPIRE
Chercheur au CNRS

FRANCE


Mercredi 14 et jeudi 15 août 2019Les Echos

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