Echos - 2019-08-14

(coco) #1

Les Echos Mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 MONDE// 05


TURQUIE


Yves Bourdillon
@yvesbourdillon


C’est un véritable autodafé auquel a
procédé le régime turc il y a quel-
ques jours. Près de 300.000 livres
liés, parfois assez vaguement, à
Fethullah Gülen, allié du chef de
l’Etat Recep Tayyip Erdogan
devenu son ennemi juré, ont été
brûlés sur ordre du gouvernement.
Dans un pays où le quart des mai-
sons d’édition et près de 150 médias
ont été fermés depuis trois ans et
5.800 professeurs d’université
licenciés, ce nouveau tour de vis
illustre la crispation du président
turc, qui traverse actuellement une
mauvaise passe.
Alors qu’il avait accumulé une
douzaine de victoires électorales
d’affilée depuis son arrivée au pou-
voir en 2003, R ecep Tayyip Erdogan
a perdu en juin les mairies cruciales
d’Istanbul et d’Ankara au profit du
Parti républicain du peuple (CHP,
opposition laïque). Puis deux des
ténors de son parti islamo-conser-
vateur, AKP, ont claqué la porte et
comptent créer un nouveau parti à


l’automne : Abdullah Gül, qui avait
créé l’A KP avec Recep Tayyip Erdo-
gan et était resté son compère loyal
en tant que Premier ministre ou
chef d e l’Etat, e t Ali B abacan. Ce der-
nier, considéré par les investisseurs
comme le garant du sérieux de la
politique économique du gouver-
nement quand il était ministre des
Finances entre 2009 et 2015, a fait
part de « profondes divergences »
avec la politique suivie par l’AKP.

Fâcheries tous azimuts
La formation dirigée par le chef de
l’Etat a perdu sa majorité absolue
aux élections législatives organi-
sées il y a un peu plus d’un an, obli-
geant Erdogan à s’allier à l’extrême
droite nationaliste. « Dans les cir-
constances actuelles, la Turquie a
besoin d’une vision totalement nou-
velle pour son avenir. Il faut corriger
les analyses dans tous les domaines,
développer de nouvelles stratégies, de
nouveaux plans et de nouveaux pro-
grammes pour notre pays », a souli-
gné Ali Babacan. Les deux fron-
deurs pourraient être rejoints par
l’ancien Premier ministre, Ahmet
Davutoglu. La situation n’est guère
plus flatteuse sur le plan diplomati-
que. Certes, Ankara a ébauché un

« La politique monétaire, c’est moi. »
Le chef de l’Etat turc, Recep Tayyip
Erdogan, avait fait dévisser la livre
turque par cette déclaration toni-
truante il y a quinze mois. Il persiste
et signe aujourd’hui. Après qu’il a
débarqué le gouverneur de la ban-
que centrale, Murat Cetinkaya,
début juillet, c’est toute l’équipe
de ce dernier qui a été limogée
la semaine dernière.
L’économiste en chef, le chef de
l’analyse économique, le manager
crédit... En tout, ce sont neuf cadres
de premier plan de l’institut d’émis-


sion qui payent la politique de taux
d’intérêt suivie depuis des
années. Un coup de balai qui con-
duira « non seulement à une mau-
vaise politique monétaire mais à une
situation où ne restera plus personne
pour dire ce qu’il convient de faire »,
a estimé Refet Gurkaynak, de
l’université Bilkent à Ankara.

Crédit bon marché
Erdogan n’a de cesse depuis trois
ans de dénoncer le « lobby des taux
d’intérêt », affirmant, à rebrousse-
poil de tous les économistes, que
des taux d’intérêt élevés nourris-
sent l’inflation. Le président veut
surtout soutenir la croissance éco-
nomique, qui a toujours été la
source de sa popularité, grâce à une
politique de crédit bon marché.
Quitte à ce que les ressources finan-

Un mois après que le
gouverneur de la banque
centrale a été débarqué par
le président turc, ce sont
tous ses collaborateurs
qui ont été limogés lundi.


Sans aller jusqu’à le comparer à
Tchernobyl, à la fois en termes
d’opacité des autorités russes et
de gravité, l’incident nucléaire
de jeudi dernier dans le Grand
Nord russe demeure mysté-
rieux. Rosatom, l’agence russe
de l’énergie atomique, a mis
deux jours à reconnaître une
explosion « à caractère isotopi-
que », impliquant donc de l’ura-
nium, mais sans pour autant
parler de réaction nucléaire, en
mer Blanche dans le Grand
Nord, l ors d ’un « test de nouvelles
armes ». L’accident, près d’une
base spécialisée dans les essais
de missiles de la flotte russe, a
fait cinq morts et provoqué une
hausse de la radioactivité envi-
ronnante évaluée mardi par
l’agence russe de météorologie à
seize fois le taux habituel, sans
pour autant représenter un
danger pour la santé.

Ruée sur les pharmacies
La mairie de Severodvinsk, une
ville de 190.000 habitants située
à une trentaine de kilomètres
de là, a indiqué, dans une infor-
mation retirée ultérieurement
de son site Internet, une hausse
pendant une demi-heure de la
radioactivité, sans en préciser
l’ampleur. Ses habitants se sont
rués sur les pharmacies pour
acheter de l’iode, médicament
censé être efficace contre une
contamination radioactive. Les
450 habitants du village le plus
proche du lieu de l’incident
devaient toutefois être évacués
mercredi. La « ville fermée »
(interdite depuis les années
1950 aux non-habitants et ne
figurant sur aucune carte offi-

EUROPE


Un prototype du
missile nucléaire de
croisière « invulné-
rable » vanté par
Poutine, aurait
explosé dans le
Grand Nord russe.

Cinq jours après le coup de force
du ministre de l’Intérieur Mat-
teo Salvini, les groupes politi-
ques italiens n’ont pas e u
d’autres choix que d’accepter
son ultimatum. Si les sénateurs
ont rejeté mardi soir la proposi-
tion d u chef de la Ligue (extrême
droite) de signer, dès mercredi,
la fin du gouvernement qu’il a
formé il y a quatorze mois avec
le Mouvement 5 étoiles (M5S,
anti-système), ils ont toutefois
accepté que soit organisé, la
semaine prochaine, le 20 août,
un débat sur la motion de cen-
sure contre le gouvernement
Conte.
Le président du Conseil
s’exprimera ce jour-là devant la
Chambre haute s ur l a crise poli-
tique qui agite l’Italie depuis
une semaine avant un vote qui
scellera sa chute. C’est un
contretemps r elatif p our

ITALIE


Le Sénat italien
a décidé mardi
que le débat sur la
motion de défiance
déposée par la Ligue
aurait lieu
le mardi 20 août.

La motion de censure


contre le gouvernement


italien votée le 20 août


de dollars en juin, un soutien sans
précédent).
La situation économique de ce
pays d e 80 millions d’habitants n’est
pas en reste, ce qui a contribué
au revers électoral du printemps.
Le chômage frappe 14 % de la popu-
lation active. La croissance écono-
mique devrait être négative sur
l’ensemble de l’année pour la pre-
mière fois depuis la crise de 2008,
elle s’est repliée de 2,6 % au premier
trimestre. Les v entes d e véhicules se
sont effondrées de 66 % en juillet,
un mois après la fin d’aides fiscales,
illustrant à quel point l’économie
turque dépend des aides gouverne-
mentales.
Nombre d’entreprises ont dû
négocier des « konkordato » avec
leurs banques, étranglées par leurs
dettes en devises (équivalentes au
tiers du PIB) en raison de la chute de
la livre turque l’an dernier. Une
chute liée à la politique monétaire
excentrique défendue par Recep
Tayyip E rdogan. La récession a tou-
tefois eu un résultat positif, la
réduction du déficit de la balance
des paiements à 548 millions de
dollars en juin, selon des données
récentes de la banque centrale. Six
fois moins qu’en juin 2018.n

lLa baisse spectaculaire des taux d’intérêt illustre la stratégie


de soutien aveugle à la croissance du chef de l’Etat.


lLe chômage frappe 14 % de la population active.


Le régime turc en difficulté sur


le plan économique et politique


pays. Ce qui a renchéri d’autant les
importations, alimentant une infla-
tion montant à 30 % l’été dernier
avant de redescendre à 17 % en juin,
et étranglé les entreprises turques
endettées en devises, au risque de
faillites en chaîne.

« Captive dans un palais »
Le nouveau gouverneur,
Murat Uysal, numéro deux de la
banque jusqu’au 6 juillet, ne veut
pas subir le même sort que son pré-
décesseur. A peine nommé, il a
réduit les taux, pour la première
fois en trois ans, de 425 points de
base, à 19,75 %, la plus forte réduc-
tion en dix-sept ans. Et il a annoncé
que d’autres réductions suivraient.
Le parti d’opposition CHP a qualifié
la banque centrale de « captive dans
un palais ». —Y. B.

Erdogan dicte sa loi à la banque centrale turque


Les chantiers, comme ici dans le sud-est du pays pour la construction d’un barrage hydroélectrique, ont fleuri en Turquie ces dernières
années et dopé la croissance. Photo Bulent Kilic/AFP


cières s’investissent dans des pro-
jets pas forcément rentables.
Le gouverneur limogé avait, au
contraire, maintenu des taux élevés
pour rendre les placements en
livres turques plus rémunérateurs,
afin d’essayer tant bien que mal
d’enrayer la chute de l a devise natio-
nale. Cette dernière a perdu 30 %
l’an dernier par rapport au dollar,
sous l’effet du déficit de la balance
des paiements et des tensions avec
les partenaires occidentaux du

Le chef de l’Etat
veut baisser
les taux d’intérêt
à tout prix pour
soutenir l’activité.

accord avec Washington sur une
zone tampon entre ses forces et cel-
les des Kurdes dans le nord de la
Syrie. Mais le régime turc, qui a
acheté le s ystème antimissiles russe
S-400 tout en étant membre de
l’Otan, est menacé de sanctions par
Washington en matière d’approvi-
sionnement militaire pour la pre-
mière fois depuis le coup d’Etat
militaire de 1980.

Les entreprises étranglées
par leurs dettes en devises
L’Union européenne a aussi puni la
Turquie pour des forages pétroliers
dans les eaux chypriotes. Comme le
régime d’Erdogan est aussi fâché
avec l’Arabie saoudite, l’Egypte,
Israël, la Syrie, il n’a plus guère de
bonnes relations qu’avec la Russie
et la Chine (qui lui a prêté 1 milliard

66 %

DES VENTES DE VÉHICULES
se sont effondrées en juillet,
un mois après la fin d’aides
fiscales, illustrant à quel point
l’économie turque dépend
des aides gouvernementales.

cielle jusqu’à récemment) de
Sarov, qui accueille le principal
centre de recherches nucléai-
res russe, a décrété dimanche
une journée de deuil.

Vol illimité
Cette fuite radioactive et divers
éléments de source américaine
indiquent que l’arme testée est
très vraisemblablement un
missile 9M730 Bourevestnik
(nom de code Otan SSC-X- 9
Skyfall), une des six armes stra-
tégiques dévoilées par Vladimir
Poutine en mars 2018. Le prési-
dent russe avait alors affirmé
qu’il s’agissait d’un missile de
croisière à charge nucléaire
« invulnérable », capable de
percer et d’esquiver toutes les
défenses antimissiles et de frap-
per partout d ans le monde. Il est
effectivement propulsé par un
réacteur nucléaire miniaturisé,
ce qui lui permet un vol illimité.

Cet accident constitue donc
un revers pour le programme
d’armement russe. Un pro-
gramme qui laisse toutefois
les spécialistes perplexes,
même si Donald Trump a
affirmé lundi que son pays d is-
posait de missiles Skyfall (ce
que des experts ont démenti).
On sait que Washington avait
tenté de mettre au point des
avions et missiles à propulsion
nucléaire dans les années 1950
et 1960, mais ils s’étaient révé-
lés trop dangereux pour le
personnel militaire.
—Y. B.

Incident nucléaire


en Russie : l’opacité


demeure


L’accident a fait
cinq morts et
provoqué une
hausse de la
radioactivité.

Cela constitue un
revers pour le
programme
d’armement russe.

Matteo Salvini qui, après avoir
fait voler en éclats son alliance
avec le Mouvement 5 étoiles
jeudi dernier, cherche à provo-
quer des élections législatives
anticipées et profiter de sa forte
popularité pour mettre les clefs
du pouvoir dans les seules
mains de son parti.
Du côté des opposants à
Matteo Salvini, il s’agit de gagner
du temps. L’ex-chef de gouver-
nement, Matteo Renzi, a tenté
ces derniers jours de forger une
alliance de circonstance – qui
irait de Forza Italia à la gauche

radicale –, pour proposer une
alternative à des élections antici-
pées. L’ex-président du Conseil
cherche à tout prix à retarder
l’arrivée au pouvoir d’un gouver-
nement d’extrême droite et
compte faire voter le budget
2020 à l’automne. —G. N.

C’est un
contretemps relatif
pour Matteo
Salvini qui cherche
à provoquer
des élections
législatives
anticipées.
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