Echos - 2019-08-14

(coco) #1
Les manifestants, qui exhibent des pancartes dénonçant la répression policière des derniers jours, ont utilisé des chariots à bagages puis formé une chaîne humaine
pour bloquer le passage aux voyageurs. Photo Tyrone Siu/Reuters

lLes manifestations antigouvernementales ont bloqué mardi l’aéroport pour la deuxième journée d’affilée.


lAucune désescalade des contestataires, aucun geste politique du gouvernement n’est en vue.


Hong Kong : la contestation dans l’impasse


Catherine Chatignoux
@chatignoux


Mardi, pour la deuxième journée
d’affilée, l’aéroport de Hong Kong
s’est transformé en un camp retran-
ché où la foule des jeunes manifes-
tants antigouvernementaux blo-
quaient l’accès aux guichets
d’enregistrement et aux contrôles
de sécurité, obligeant les autorités
aéroportuaires à suspendre la plu-
part des vols au départ et à l’arrivée
du territoire chinois. Parmi les plus
fréquentés du monde, l’aéroport de
Hong Kong a dû annuler plus de
300 vols en vingt-quatre heures. Au
chaos politique s’est ajouté un
début de déstabilisation économi-
que déplorée par de nombreux res-
ponsables.
Dans la matinée, les milliers de
contestataires déjà présents se sont
montrés plutôt paisibles. Commen-
çant la journée par un sit-in, exhi-
bant des pancartes dénonçant la
répression policière des derniers
jours, ils ont utilisé des chariots à
bagages puis formé une chaîne
humaine pour bloquer le passage
aux voyageurs. Mais, très vite, des
échauffourées ont éclaté avec la
police. Dans la soirée, des heurts
violents ont éclaté avec les forces de
l’ordre à l’extérieur de l’aéroport
après un affrontement à propos
d’un homme battu par des manifes-
tants, soupçonné d’être un policier
en civil du continent.


Etat de panique et de chaos
Aucun geste de pacification n’est
venu du pouvoir. A l’occasion d’une
courte conférence de presse, la
cheffe de l’exécutif, Carrie Lam, a
morigéné les manifestants : « Prenez
une minute regardez notre ville! » a
t-elle lancé puis, accusant le mouve-
ment de contestation d’avoir plongé
Hong Kong dans u n « état de panique
et de chaos » : « Pouvons-nous tolérer
qu’on la pousse vers l ’abîme, pouvons-
nous la voir éclater en morceaux? »
Démarrée dans le calme, l’interven-
tion de la dirigeante s’est terminée
dans un désordre inimaginable en
Chine, même à Hong Kong. Les jour-
nalistes l’ont interrompue à plu-
sieurs reprises, exigeant des répon-
ses aux questions qu’elle éludait.
Notamment le fait de savoir si elle
avait l’autonomie suffisante vis-à-vis
de Pékin pour retirer le projet de loi
sur l’extradition de suspects vers le
continent.
Personne n’entrevoit pour l’ins-
tant l’issue de la crise. La situation
paraît chaque jour plus tendue et le
pouvoir n’est pas prêt à faire la moin-
dre concession aux revendications
des manifestants : ni retrait de la loi
contestée sur les extradition auto-
matiques vers Pékin, ni démocrati-
sation du régime. Des troupes de
l’armée chinoise sont amassées de
l’autre côté de la frontière à Shen-
zhen, prête à intervenir, a fait savoir
Pékin. Un haut responsable du
Bureau des affaires de Hong Kong et


ASIE


« Une intervention militaire comme


à Tiananmen me paraît invraisemblable »


A


lors que la violence des
affrontements a franchi
un nouveau palier à Hong
Kong, le sinologue estime que
Pékin parie sur l’essoufflement
d’une contestation sous pression.
Selon le chercheur, Xi Jinping
aurait beaucoup à perdre en appe-
lant l’A rmée populaire de libéra-
tion à faire usage de la force.

Peut-on établir un parallèle
entre les événements
de Tiananmen de 1989
et les manifestations
qui secouent Hong Kong?
Si l’adversaire des manifestants est
commun – le régime communiste
chinois –, ce ne sont ni les mêmes
protagonistes, ni la même époque,
ni le même lieu. On peut dresser
un parallèle, car ces manifesta-
tions engagent une grande partie
de la population. Mais Hong Kong
n’est pas le cœur de la Chine. C’est
une région différente, avec un sys-
tème politique qui lui est propre.
Ce mouvement massif de contes-

tation constitue plutôt une conti-
nuation de la révolte des para-
pluies de 2014. A l’instar de la crise
actuelle, elle avait été provoquée
par une décision de Pékin, qui avait
douché les espérances de suffrage
universel en dépit de ses promes-
ses. Et comme le projet de loi
d’extradition porté par Carrie
Lam, cette décision était apparue
comme une menace contre l’ave-
nir de Hong Kong.

Pékin avait attendu près
de deux mois avant de
réprimer dans le sang le mou-
vement étudiant de 1989. Une
intervention armée similaire
est-elle envisageable?
En 1989, il existait de très fortes
tensions au sein du Parti commu-
niste chinois quant à la manière
avec laquelle il fallait répondre au
problème du mouvement étu-
diant. Le régime a opté pour la vio-
lence et pratique depuis la politi-
que de l’amnésie. Si la répression
de Tiananmen était perçue

comme un succès, les manuels
d’histoire chinois expliqueraient
que le régime a été sauvé cette
année-là. Pour ce qui est de Hong
Kong, le Parti s’est accordé pour
laisser le gouvernement local agir.
Je pense que Xi Jinping mise sur le
pourrissement du mouvement.
Une attitude semblable à celle
adoptée en 2014. La vie quoti-
dienne devenant difficile, l’opinion
publique avait fini par se retourner
contre la révolte populaire. Les
manifestants ne veulent pas subir
à nouveau un tel revers. Beaucoup
de gens estiment qu’ils n’ont rien à
perdre.

Les mises en garde répétées
et les démonstrations de force

de Pékin ne seraient donc
qu’un moyen de faire pression
sur les manifestants?
Le pouvoir chinois tend à se raidir
et refuse toute solution politique.
Xi Jinping tente de dissuader les
manifestants en cognant très fort
sur les « terroristes » e t multiplie les
arrestations. La violence des
affrontement a choqué et contri-
bue à attiser la flamme des protes-
tataires. Xi Jinping veut montrer
ses muscles : 2019 marque les
trente ans de Tiananmen, alors il
agite la menace d’une interven-
tion. Cependant, Hong Kong n’est
pas Pékin. Si la crainte d’une c onta-
gion existe, ces événements ne
remettent pas en question le pou-
voir de Pékin sur le reste de la
Chine. Une intervention militaire
me paraît invraisemblable. Cela
signifierait la fin de Hong Kong
comme entité autonome : ce serait
dramatique aux yeux du monde et
très nocif pour le commerce chi-
nois. C’est un ultime recours.
Propos recueillis par F. B.

JEAN-PHILIPPE
BÉJA
Directeur de
recherche émérite
au CNRS-
Ceri-Sciences Po

pour la seconde journée d’affilée.
Plus de 300 vols ont été annulés
lundi. Huitième mondial par sa
taille avec 75 millions de passagers
en 2018, l’aéroport de Hong Kong
est une plate-forme de correspon-
dance majeure entre l’Asie et le
monde entier. Près de 120 compa-
gnies aériennes y opèrent, dont
la compagnie hong-kongaise
Cathay Pacific, désormais au cœur
du conflit politique. Lundi,
33.000 passagers clients de la
compagnie ont été touchés par ces
annulations. Les aéroports voi-

sins, et notamment celui de Shen-
zen, tentent de profiter de cette agi-
tation pour reprendre des parts de
marché. Mardi, les actions des
aéroports situés de l’autre côté de
la frontière ont fortement aug-

menté. Celle de l’aéroport interna-
tional de Shenzhen a grimpé de
10 % alors que celle de l’aéroport
international de Guangzhou
Baiyun a augmenté de 4,5 %, attei-
gnant un niveau record. Les trou-
bles pourraient amener les opéra-
teurs mondiaux à réévaluer le rôle
de Hong Kong en tant que plaque
tournante internationale.

Cathay Pacific
dans la tourmente
Cathay Pacific, sous pression de la
Chine, a averti lundi ses salariés

qu’ils pourraient être licenciés
« s’ils soutenaient ou participaient
aux manifestations illégales » à
Hong Kong. La veille, l e syndicat des
personnels de bord de l’opérateur
avait soutenu le mouvement mais
la compagnie a été placée par les
médias d’Etat chinois sur la liste
noire des entreprises à boycotter
parce que favorable à la contesta-
tion. La Direction générale de l’avia-
tion civile chinoise a exigé de
Cathay Pacific les noms du person-
nel à bord de ses vols à destination
de la Chine ou qui traversent son

espace aérien, en précisant que les
employés soutenant le mouvement
pro-démocratie ne seraient pas
autorisés sur ces vols.
« Nous sommes, de par la loi, obli-
gés de nous conformer aux règle-
ments » de l’aviation civile chinoise,
d’autant que « les vols vers la Chine
continentale font partie de notre
cœur de métier », a expliqué le
directeur général de la compagnie,
Rupert Hogg, alors que la compa-
gnie a déjà dû suspendre un pilote
qui a aidé les manifestants.
—V. J.

Le trafic de l’aéroport encore perturbé mardi


En réaction aux blocages des
manifestations antigouvernemen-
tales, les autorités aéroportuaires
de Hong Kong ont décidé mardi
après-midi, comme la veille, de
suspendre l’enregistrement de
tous les vols, bloquant l’aéroport


Les embarquements
ont été fermés
pour la deuxième journée
de suite à l’aéroport
de Hong Kong à cause
des manifestations
pro-démocratie.


33.
PASSAGERS
clients de la compagnie
ont été touchés
par les annulations, lundi.

Macao à Pékin a déclaré lundi voir
« les germes du terrorisme » à l’œuvre
dans les dernières manifestations,
un terme employé pour la première
fois par le pouvoir central et qui
a conduit des juristes hong-kongais
à redouter que Pékin ne prépare
la mise en œuvre de l’arsenal
légal antiterroriste pour mater la
contestation.
Pour autant, peu de responsables
veulent croire à une intervention
armée comme au temps de Tienan-
men. Pour l’ancien gouverneur bri-
tannique Chris Patten, « ce serait une
catastrophe ». Ce qu’il faut, selon lui,
c’est un processus de réconciliation.
« C’est la seule manière, je pense, de
refermer la crise et de revenir à la paix
et à la stabilité de Hong Kong. »

(


Lire l’éditorial
de Nicolas Barré
Page 10

La situation paraît
chaque jour plus
tendue et le pouvoir
n’est pas prêt
à faire la moindre
concession
aux revendications
des manifestants.

MONDE


Mercredi 14 et jeudi 15 août 2019Les Echos

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