LeSoir - 2019-08-14

(ff) #1
Page 6Mercredi 14 août 2019Mad

Only You
★★★
De Harry Wootliff,
avec Laia Costa,
Josh O'Connor,
119 mn.

entretien

O


n a la sensation d’assister à
la naissance d’une réalisa-
trice bien que Harry Woot-
liff ne soit pas totalement une in-
connue. Son premier court-mé-
trage, Nits, avait été sélection à la
Quinzaine des réalisateurs à
Cannes en 2005 et son deuxième
court, Trip, fut présenté au Festi-
val de Berlin. Près de quinze ans
après, la scénariste-réalisatrice
anglaise signe son premier long-
métrage dont se dégage un style
original, une maîtrise formelle
personnelle, un point de vue sin-
gulier et attachant sur les choses
de la vie. Elle prépare son pro-
chain film, produit par The Bu-
reau et Jude Law, l’histoire d’une
célibataire avec Ruth Wilson (la
série The Affair).

D’où vient l’envie de raconter une
comédie romantique à l’envers?
C’est une motivation très person-
nelle. J’ai toujours voulu écrire
une histoire relationnelle, et exa-
miner l’envers d’un décor qu’on
présente souvent comme idyllique
dans une relation. Et puis, à
l’époque, je tentais moi-même de
tomber enceinte, sans succès. Et
dans le couple, c’est d’autant plus
difficile puisqu’on
connaît ensemble des
hauts et des bas, parfois
de différente nature, et la
communication n’est pas
toujours très facile. Il y a
aussi un certain tabou
autour de cette question,
peu de gens en parlent
ouvertement. En tant
que femme, on subit aussi pas
mal de jugements sur le fait que ce
serait bien ou normal que vous
soyez mère... Et si on ne peut avoir
d’enfant se pose alors la question
de ce que vous avez peut-être fait
de mal. Souvent, ces jugements
sont injustes. L’ironie, c’est qu’en

pleine écriture, je suis tombée en-
ceinte, par accident. C’était ma-
gnifique mais du coup, je me suis
retrouvée mère!

N’avez-vous pas eu peur qu’avoir
un enfant perturbe votre projet?
Non, je pense même que quelque
part, ç’aurait sans doute été plus
dur à tourner sans cet
événement. C’est vrai que
je n’ai pas voulu leur
donner de bébé, à mes
deux personnages. Je
voulais que le message du
film qui veut que, quand
vous ne vivez pas quelque
chose de la manière dont
vous l’aviez envisagé, l’es-
poir néanmoins subsiste, reste ce-
lui-là. Mais cela ne concerne pas
seulement le fait d’avoir un en-
fant. Tant de choses peuvent arri-
ver dans la vie qui peuvent y faire
entrer le chaos... Je voulais aussi
faire un film pour ceux et celles
qui n’ont pas envie de mener une

vie conventionnelle. Je ne voulais
surtout pas montrer une femme
désespérée de ne pas avoir d’en-
fant : elle ne l’est pas. Mais elle
veut trouver la bonne personne.
Et elle trouve un homme plus
jeune qu’elle! Je ne voulais pas
que la différence d’âge fasse débat
comme je ne voulais pas d’un
homme qui corresponde aux cli-
chés du type irresponsable, qui ne
veut pas d’enfant dans l’immé-
diat. Il fallait que ce soit lui qui
pousse la décision. C’est un couple
amoureux qui veut concrétiser,
ensemble, une naissance, afin de
créer une famille.

Est-ce un tabou, en Angleterre, de
parler des femmes qui n’ont pas
d’enfant?
En tout cas, je crois que celles qui
décident ouvertement de ne pas en
avoir suscitent la curiosité, voire
la suspicion. Et si vous êtes une
femme désirant un enfant, mais
que vous ne pouvez en faire, ’il y a
automatiquement un jugement
sur la longueur de vos essais, sur

leurs difficultés. L’infertilité est
un sujet mal compris. D’autant
que je crois que les gens en général
sous-estiment à quel point nous
sommes, pour la plupart, « pro-
grammées » pour désirer un en-
fant. Pour créer la vie, comme un
animal, en fait.

L’acteur Josh O’Connor dit que
votre film est aussi important que
« I, Daniel Blake »...
Je crois qu’il veut surtout dire que
ce film est au fond politique, qu’il
se bat contre l’idée que de ne pas
avoir un enfant n’est rien. Alors
que ce peut être un acte politique
personnel. Tout comme la diffé-
rence d’âge. On ne s’étonne pas
d’un homme plus âgé avec une
femme plus jeune. L’inverse crée
encore le débat. Pourquoi ?!

Comment avez-vous préparé
vos acteurs à l’intimité du film?
On s’est beaucoup appelés au télé-
phone pour qu’ils soient prêts
pour le voyage émotionnel auquel
ils allaient être confrontés. C’était

« C’est un film pour ce


pas envie d’une vie co


« Je voulais un film poétique,
atmosphérique, intime. » ©D.R.

Avec « Only You »,


comédie romantique


réaliste, Harry


Wootliff s’impose


comme nouvelle


cinéaste dans


le paysage anglais.


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