MONDE
A l’aéroport de Hongkong, lundi.PHOTO ISSEI KATO TPX. REUTERS
Hongkong: «Plus ils vont
taper, plus on va se rebeller»
Signe de la
radicalisation du
conflit, l’aéroport
restait bloqué
mardi pour la
deuxième journée
consécutive, en
dépit de la violente
semonce de Pékin.
C
ouloirs bondés, esca-
liers à l’arrêt, trains
bloqués, passagers
empêtrésdanslafouledema-
nifestants, check-in suspen-
dus: l’aéroport international
de Hongkong, d’ordinaire si
fluide et efficace, n’était à
nouveau mardi qu’une pâle
copie de lui-même sous la
pression de centaines de per-
sonnes déterminées à répon-
dre «œil pour œil» aux coups
de la police et au «mépris des
autorités» et ce, en dépit de la
violente semonce de Pékin et
deladangereuseescaladedes
tensions.
Lundi, pour la première fois,
les mots avaient été lâchés:
«Les manifestants radicaux»
et leurs méthodes révèlent
«les premiers signes de terro-
risme», a déclaré le porte-pa-
role du Bureau des affaires de
Hongkong et Macao, Yang
Guang, avertissant que «ceux
qui jouent avec le feu périront
par le feu». Une surenchère
sémantique qui révèle com-
bien la crise, inédite dans le
petit territoire semi-auto-
nome, prend de l’ampleur.
Des médias officiels chinois
ont même diffusé sur des ré-
seaux sociaux des images de
véhicules de l’armée chinoise
roulant vers Shenzhen, la
mégapole aux portes de
Hongkong. S’agit-il d’exerci-
ces militaires déjà prévus?
D’images anciennes? Bluff
ou pas, cette menace, loin
d’apeurer les opposants, n’a
fait qu’envenimer la situa-
tion.
De nouvelles vagues de pro-
testataires outrés par les mé-
thodes musclées de la police
sont en effet venues contes-
ter, mardi, l’autorité chinoise
au cœur de l’aéroport, vitrine
du hub financier inauguré en
juillet 1998, au lendemain de
la rétrocession, et symbole
des ambitions internationa-
les de l’ex-colonie britanni-
que. La veille, l’autorité aéro-
loi soit bafouée par la police»,
affirme Agnès, architecte
d’une trentaine d’années, qui
distribue des tracts pour sen-
sibiliser les touristes aux as-
pirations démocratiques des
manifestants. Le refus de la
cheffe de l’exécutif local,
Carrie Lam, de
satisfaire leurs
demandes, déjà,
passait mal. La
force employée par la police,
qui va crescendo pour mater
les rassemblements eux
aussi plus nombreux et plus
violents, est encore moins to-
lérable pour une partie
des 7,5 millions de Hongkon-
gais, très respectueux des rè-
gles et de la hiérarchie.
Depuis dimanche, beaucoup
s’offusquent des blessures
à l’œil infligées par la police
à une jeune femme. En son
hommage, du
personnel médi-
cal a par exemple
manifesté avec
un œil bandé dans l’enceinte
d’un hôpital public mardi.
Une prise de position rare.
«Comment continuer à tabas-
ser un manifestant déjà au
sol et les menottes aux poi-
gnets? Et pourquoi tirer pres-
que à bout portant sur des
gens qui courent, ou tirer des
gaz lacrymogènes à l’inté-
rieur du métro ?» s’énerve
Kris, jeune ingénieur, pour
qui «c’est le signe que le gou-
vernement est dépassé» et que
la seule sortie de crise est de
« laisser les Hongkongais élire
librement leurs dirigeants».
Le suffrage universel, jamais
accordé par le colon britan-
nique mais promis lorsque
Londres et Pékin ont scellé
l’avenir de Hongkong, a res-
surgi en tête des revendi-
cations dans cette crise pro-
voquée au printemps par
le projet d’autoriser les extra-
ditions de la région admi-
nistrative spéciale (RAS) vers
la Chine.
Depuis juin et les premières
manifestations monstres
contre le texte controversé,
plus de 400 personnes ont
été arrêtées, autant ont été
blessées. Plus de 40 person-
nes ont déjà été présentées
aux juges (elles risquent jus-
qu’à 10 ans de prison), et plu-
sieurs centaines d’ «éléments
radicaux», qui n’hésitent
plus à jeter parapluies, bri-
ques ou autres projectiles sur
la police, sont dans le viseur
des forces de l’ordre.
Pour autant, la mobilisation
ne faiblit pas. Elle semble au
contraire rallier chaque se-
maine de nouveaux secteurs
de la société. La Chine a donc
haussé le ton et décidé de
mettre aussi les milieux d’af-
faires au pas, notamment en
lançant une campagne de
boycott d’entreprises qui
soutiendraient les manifes-
tants hongkongais.
Choisir un camp. Le mil-
liardaire Peter Woo, magnat
de l’immobilier et des trans-
ports à Hongkong, vient
ainsi de voler à la rescousse
de Carrie Lame et d’appeler
les manifestants à cesser
les violences. D’autres ont
également dû sortir de leur
silence et choisir un camp.
Swire Pacific, conglomérat
incontournable dans l’acti-
vité économique de Hong-
kong, s’est ainsi fendu
d’un communiqué mardi
pour exprimer son «soutien
fort au gouvernement de la
région administrative spé-
ciale de Chine» et pour souli-
gner le fait qu’il «partage
la vision du gouvernement
central» d’intégrer Hong-
kong à la Greater Bay Area, le
vaste projet du président
Xi Jinping dans le sud de la
Chine. C’est aussi que Swire
Pacific est actionnaire de la
compagnie aérienne Cathay
Pacific,menacée par la
Chine d’interdiction de sur-
vol pour tout équipage com-
prenant au moins un sympa-
thisant prodémocratie.
Mardi, son PDG, Rupert
Hogg, a même dû faire
amende honorable et mena-
cer de licenciement tout sa-
larié qui prendrait part aux
manifestations.•
portuaire avait annulé plus
de 200 vols, une réaction ju-
gée par certains excessive
mais qui illustre, selon An-
tony Dapiran, avocat et écri-
vain basé à Hongkong, «une
tentative pour miner le capi-
tal sympathie et le soutien»
dont jouit pour l’instant la
majorité des manifestants.
Œil bandé. «Plus ils vont ta-
per, plus on va se rebeller. On
est désormais coincés dans un
cercle vicieux et l’issue va
sans doute être terrible, mais
on ne peut pas tolérer que la
Par
ROSA BROSTRA
Correspondante à Hongkong
L'HISTOIRE
DU JOUR
Les témoignages
de trois activistes
hongkongais
Wong, étudiante de 25 ans, Shirley,
employée dans une agence
d’assurances de 49 ans, et Anthony,
étudiant de 21 ans, ont expliqué à
Libération les motivations de leur action.
PHOTO TYRONE SIU. REUTERS
LIBÉ.FR
8 u Libération Mercredi^14 et Jeudi^15 Août^2019