Le candidat à la présidentielle Alberto Fernández, dimanche.PHOTO TOMAS F. CUESTA. AP
S
a large victoire lors des primaires de diman-
che fait d’Alberto Fernández le vraisembla-
ble prochain président argentin. Est-il un
dangereux révolutionnaire antisystème, le couteau
entre les dents? Pas précisément. Ce péroniste mo-
déré et discret, ancien chef de cabinet de Cristina
Kirchner et de son défunt mari Néstor (de 2003
à 2008), a pris la tête du ticket à la suite d’une
manœuvre tactique avisée de la part de l’ancienne
présidente. Consciente que sa personnalité, com-
bative jusqu’à l’arrogance, divisait jusque dans son
propre camp et agissait comme un repoussoir pour
une partie des Argentins, elle a choisi le rassem-
bleur Alberto Fernández. Mais convaincue que
l’élection ne se gagnerait pas sans elle et le large
réservoir de votants qui lui restait fidèle, elle s’est
attribué la candidature à la vice-présidence.
Fernández l’a ainsi théorisé: «Sans Cristina c’est
impossible, avec Cristina ça ne suffit pas.»
En à peine trois mois, il a entrepris d’articuler les
hétérogénéités du péronisme, cette pieuvre aux
mille courants, résuméepar le terme galvaudé de
«populiste» par ses détracteurs. C’est une force po-
litique construite, déconstruite et reconstruite au
fil des décennies et selon les besoins électoraux.
Traversée de tensions, de fractures idéologiques
et géographiques, entre les gouverneurs conserva-
teurs du nord du pays, les progressistes de Patago-
nie et le patchwork des factions de la capitale. Fer-
nández lui-même en est l’illustration: c’est à la
suite d’un profond désaccord qu’il avait quitté le
gouvernement de Cristina Kirchner. Il avait par la
suite été critique à son encontre ces dix dernières
années, avant de la retrouver il y a un an.
Axe du débat. En Argentine, on dit que lorsque
le péronisme est uni, aucune autre force politique
ne peut gagner une élection. La victoire de Mauri-
cio Macri et de son jeune parti Cambiemos («chan-
geons»), en 2015, en était une confirmation. Sadé-
faite (32% des voix, contre 47% à Fernández)
dimancheenestlapreuve.Enparallèledelaconso-
lidation de ce formidable outil électoral, le candi-
dat de centre gauche a changé l’axe du débat et a
installé la question de l’économie dans la campa-
gne, ce que le gouvernement Macri souhaitait évi-
ter,sonbilanenlamatières’avérantdésastreux.Ses
promesses: «rallumer l’économie», «changer le
schéma spéculatif en schéma productif». Pour ce
faire, il compte baisser les taux d’intérêt farami-
neuxde la Banque centrale, qui découragent tout
investissementdansl’économieproductiveetdrai-
nent les réserves du pays. Peu de propositions con-
crètes, certes. MaisMacri n’en a pas fait non plus.
La campagne s’est donc construite sur deux idées
de pays opposées plutôt que sur des programmes
détaillés. Un modèle plus social, mais pas aussi à
gauche que le souhaiterait une partie des Argen-
tins. Il a par exemple spécifié àmaintes reprises
ques’ilcomptaitbienenrenégocierlestermes,l’Ar-
gentine continuerait toutefois de payer sa dette à
sescréditeursprivéscommeauFMI.Cepointparti-
culier a été utilisé par l’équipe Macri, jouant sur la
craintehistoriqued’unpaysperçucommeimprévi-
sible et mauvais payeur à la suite du défaut de paie-
ment de 2002. Crainte encore bien vivace et illus-
trée par les violentes secousses de ce lundi.
Ficelles. Fernández avait pourtant laissé enten-
dre qu’une dévaluation serait nécessaire, sans en
préciser la mesure. Et puis l’ombre de Cristina Kir-
chner, soupçonnée de vouloir tirer les ficelles de-
puis la vice-présidence, est tenace. Les marchés
financiers gardent un mauvais souvenir de sa pré-
sidence aux accents keynésiens, très intervention-
niste, qui avait certes consolidé la classe moyenne
et permis aux plus pauvres d’accéder à la consom-
mation, mais aussi grandement creusé les déficits.
Mais malgré son image d’Argentin bonhomme (il
joue de la guitare, adore son chien et les asados
–barbecues– du dimanche entre amis), sa période
d’opposition virulente à Cristina Kirchner et un
solide sens de la repartie laissent entrevoir un ca-
ractère bien trempé. A lui maintenant de dessiner
les contours du «fernándisme». Pour l’instant, on
parle encore de kirchnérisme.
M.Gu. (à Buenos Aires)
Le rassembleur Alberto
Fernández veut
«rallumer l’économie»
Le rival du président libéral
sortant Mauricio Macri, ancien
directeur de cabinet de Cristina
Kirchner, propose un modèle
plus social mais pas aussi
à gauche que l’espère une partie
des Argentins.
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avait même pensé à supprimer ces
primaires. D’où la stupeurà l’an-
nonce des résultats: la défaite est de
quinze points et, sauf miracle ou
coup tordu, le retard est impossible
à remonter. Et la province de Bue-
nos Aires, la plus peuplée du pays,
le joyau du parti présidentiel qui
l’avait arrachée au péronisme, re-
tourne également en son giron.
Le Président, visiblement affecté, a
reconnu la défaite avant même l’an-
nonce des résultats officiels.Il s’est
contenté de dire qu’il se sentait
«mal» et qu’il avait fait «de [son]
mieux». Depuis, il semble avoir lâ-
ché le guidon: lundi, lors d’une con-
férence de presse assez erratique, il
a refusé toute responsabilité pour
cette crise et a blâmé l’opposition
qui «manque de crédibilité et doit
faire son autocritique». Aucune an-
nonce concrète pour l’instant, sa
stratégie d’ici à octobre semble re-
poser uniquement sur la peur: «Ce
qui s’est passé aujourd’hui est un
échantillon de ce qui va arriver» si
Alberto Fernandez gouverne, a-t-il
menacé. Lui, ou le chaos.
Cette dévaluation était attendue
pourtant, mais pas maintenant: le
gouvernement caressait l’espoir de
l’éviter jusqu’au scrutin d’octobre.
Depuis des mois, il tentait tant bien
que mal de conserver artificielle-
ment un peso fort en remontant les
taux de la Banque centrale et en
vendant ses réserves de dollars
constituées principalement de l’ar-
gent emprunté au FMI (57 milliards
de dollars). Une saignée presque
quotidienne destinée à préserver
l’image de l’équipe présidentielle en
campagne, mais qui n’a fait que re-
tarder l’inévitable et a accéléré un
peu plus la fuite de capitaux.
«HIRONDELLES»
Selon les chiffres officiels, durant le
seul premier semestre de cette an-
née, le montant des sommes ayant
quitté le pays sont supérieures à cel-
les pour tout 2018. Depuis l’arrivée
au pouvoir de Mauricio Macri, il y a
trois ans et demi, le total atteint le
chiffre astronomique de 72 mil-
liards de dollars.L’instabilité est
telle qu’aprèstrois ans passés à spé-
culer sur l’Argentine et face à la dé-
faite actée de l’architecte de ce mo-
dèle qui leur a tant profité, les
capitaux qu’on a ici surnommés «hi-
rondelles» repartent vers d’autres
cieux moins tourmentés. Et laissent
derrière eux un pays à l’économie
exsangue et à la population dépri-
mée par des mesures d’austérité im-
posées entre autres par le FMI :
inflation, capacité productive, chô-
mage, pauvreté, tous les indicateurs
clignotent.
Surtout, la falote capacité de rem-
boursement du pays pour la colos-
sale dette contractée par l’adminis-
tration Macri laisse présager un
ténébreux futur pour la prochaine
administration et pour les Argen-
tins. Avant cela, il reste delongues
semaines avant l’élection du 27 oc-
tobre et la passation de pouvoir pré-
vue le 10 décembre. C’est beaucoup
pour un gouvernement à l’autorité
et à la légitimité sapées par cette dé-
faite. Ça l’est encore plus pour un
pays fragilisé, en crise et exposé à
tous les risques.•
Libération Mercredi 14 et Jeudi 15 Août 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 7