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MERCREDI 14 AOÛT 2019 france| 9
L’affaire Epstein fait des remous en France
La garde des sceaux a recadré deux ministres qui ont demandé l’ouverture d’une enquête judiciaire
L
a demande a de quoi sur
prendre. Deux secrétai
res d’Etat du gouverne
ment d’Edouard Phi
lippe ont réclamé, lundi 12 août,
dans un communiqué commun,
« l’ouverture d’une enquête » sur
les faits qui pourraient éventuel
lement être reprochés en France
au financier américain Jeffrey
Epstein. Ce multimillionnaire de
66 ans, soupçonné de nombreu
ses agressions sexuelles sur mi
neures, a été retrouvé mort, le
10 août, dans sa cellule d’une pri
son de New York. « Un suicide ap
parent », selon la justice améri
caine, qui « ne doit pas priver les
victimes de la justice à laquelle el
les ont droit », estiment dans leur
communiqué Marlène Schiappa
et Adrien Taquet – la première
est secrétaire d’Etat à l’égalité en
tre les femmes et les hommes, le
second est chargé de la protec
tion de l’enfance.
« L’enquête américaine a mis en
lumière des liens avec la France. Il
nous semble ainsi fondamental,
pour les victimes, qu’une enquête
soit ouverte en France afin que
toute la lumière soit faite », esti
mentils. Une telle prise de posi
tion de la part de membres du
gouvernement contrevient au
principe de séparation des pou
voirs. Leur collègue garde des
sceaux, Nicole Belloubet, le rap
pelle d’ailleurs au Monde : « Les
poursuites ne sont pas des déci
sions du gouvernement. Depuis
2013, les instructions individuelles
sont prohibées, conformément au
principe d’indépendance de l’auto
rité judiciaire. » Du côté de Mati
gnon, on se refuse à tout com
mentaire. « Le parquet est en train
de regarder le dossier », précise
tout juste un proche du premier
ministre, Edouard Philippe.
Joint par Le Monde, Adrien Ta
quet précise quelque peu sa posi
tion. « La garde des sceaux a par
faitement raison de rappeler que
ce n’est pas au gouvernement de
décider de poursuites, juretil. Ce
n’était d’ailleurs pas le sens de no
tre prise de parole, qui a juste pour
idée d’espérer que le décès d’Eps
tein ne conduise pas à une clôture
d’enquête en cours ou à venir si
des liens devaient être confirmés
avec la France. »
« Les ministres sont dans leur
rôle en demandant justice et pro
tection pour les victimes, ajoute
ton dans l’entourage de Marlène
Schiappa. Imaginez une seconde
qu’ils se taisent face à une affaire
dont il est dit qu’elle a des ramifi
cations en France? » Une source
au sein de l’exécutif estime ainsi
que les faits pourraient relever de
l’article 40 du code de procédure
pénale, qui intime à « toute auto
rité constituée » de « donner avis »
à la justice des crimes ou délits
dont elle aurait connaissance.
M. Taquet affirme néanmoins, à
ce stade, ne pas avoir « d’informa
tion supplémentaire » par rap
port à celles qui ont déjà été ren
dues publiques.
Victimes françaises
Audelà de la question institu
tionnelle soulevée par l’initiative
de Mme Schiappa et M. Taquet se
pose un potentiel problème di
plomatique. « Cela s’appelle une
ingérence dans les affaires d’un
pays allié, où la justice n’est pas
moins indépendante qu’en
France, grince un haut fonction
naire au fait des us et coutumes
du pouvoir. Pourquoi attendre la
mort d’Epstein? L’affaire n’est pas
nouvelle, ils ont eu tout le temps
pour s’y intéresser quand il était
vivant, au lieu de le faire le 12 août,
seul moment de l’année où il y a
une chance qu’on s’intéresse à
leurs déclarations. »
Le parquet de Paris n’a pas sou
haité faire de commentaire à ce
stade, indiquant lundi que « les
éléments qui [lui] ont été trans
mis » étaient « en cours d’analyse
et de recoupement » : « Les premiè
res vérifications sont en cours afin
de déterminer si une enquête doit
être ouverte sur le territoire fran
çais. » « La France est concernée
par ce dossier puisque les investi
gations menées par le FBI font ap
paraître plusieurs personnes de
nationalité française », affirme,
dans une lettre ouverte au par
quet de Paris publiée par L’Obs,
l’association Innocence en dan
ger, qui dit tenir « de source fia
ble » que « plusieurs victimes du ré
seau prostitutionnel créé par Jef
frey Epstein et ses complices sont
de nationalité française ».
« Un massage érotique »
Cette dernière information n’est
pas confirmée. Mais divers élé
ments rattachent l’affaire Epstein
à la France, à commencer par la
résidence située au 22, avenue
Foch, piedàterre parisien du fi
nancier américain qui a enregis
tré, en 2002, une entreprise bapti
sée « JEP » à cette adresse. Jeffrey
Epstein se rendait fréquemment
à Paris, d’où il avait décollé le
6 juillet, quelques heures avant
son arrestation à l’aéroport de Te
terboro, dans le New Jersey.
Des infractions sexuelles ontel
les été commises en France? Vir
ginia Roberts Giuffre, l’accusa
trice principale, a affirmé s’y être
rendue en compagnie de Jeffrey
Epstein et sa compagne Ghislaine
Maxwell, notamment en 2001,
alors qu’elle était encore mineure,
pour l’anniversaire du manne
quin Naomi Campbell, célébré
sur un yacht à SaintTropez (Var).
A cette occasion, atelle déclaré à
la justice américaine, Ghislaine
Maxwell lui aurait « donné pour
instruction d’aller faire un mas
sage érotique » à un homme dési
gné comme le « propriétaire d’une
grande chaîne d’hôtel ».
Par ailleurs, la justice française
pourrait s’intéresser au cas de
JeanLuc B., dont le nom apparaît
plusieurs fois au fil des 2 024 pa
ges de documents rendus publics
par la justice américaine ven
dredi. Virginia Roberts Giuffre dé
clare avoir été contrainte à des re
lations sexuelles avec ce citoyen
français, haut placé dans le
monde du mannequinat, qu’elle
accuse également d’avoir fait ve
nir aux EtatsUnis de jeunes fem
mes, parfois mineures, à des fins
sexuelles – l’intéressé a toujours
démenti.
Enfin, en 2015, le site américain
Gawker, consacré à l’actualité des
célébrités, publiait les pages d’un
répertoire téléphonique apparte
nant à Jeffrey Epstein. On y décou
vrait une trentaine de numéros
- masqués, mais débutant par
l’indicatif 33 – sous l’entrée « Mas
sage Paris », accolés à des pré
noms presque tous féminins.
olivier faye
et henri seckel
Coup de blues au ministère du travail
Baisse des moyens humains, réorganisation... les agents s’inquiètent du « démembrement » de leurs services
I
l y a presque cent treize ans,
le ministère du travail voyait
le jour. Cet « organisme » fut,
en effet, fondé le 25 octobre 1906,
en assemblant « des services
épars pour former une adminis
tration distincte », selon les mots
employés à l’époque par Georges
Clemenceau, à l’initiative de
cette réforme alors qu’il venait
d’être nommé président du Con
seil. Aujourd’hui, bon nombre
d’agents en poste dans ce com
partiment de l’appareil d’Etat
ont l’impression d’assister à son
« démembrement ».
C’est le constat, unanime, que
dressent huit syndicats qui y
sont implantés. Fait plutôt rare
dans ce secteur de la fonction pu
blique, les huit organisations en
question se sont coalisées, quel
ques jours avant la coupure esti
vale, pour dénoncer les évolu
tions en cours : manifestation à
Paris, mouvements de grève un
peu partout en France... Si la mo
bilisation, orchestrée le 26 juin
fut peu suivie, les inquiétudes
n’en sont pas moins bien réelles.
A l’origine de cette poussée
d’angoisse, il y a tout d’abord la
problématique – récurrente – des
moyens humains. Déjà orienté à
la baisse depuis plusieurs exerci
ces (tout comme dans la majorité
des services de l’Etat), le nombre
d’agents affectés au ministère du
travail va poursuivre sa diminu
tion : − 2,6 % par an jus
qu’en 2022. Les syndicats en ont
eu la confirmation, le 16 juillet,
lors de la réunion d’un comité
technique ministériel (CTM)
- une instance de représentation
du personnel. « On ne peut pas se
réjouir de cette décroissance »,
commente Henri Jannes (CFDT).
« La saignée continue », renchérit
Laurent Lefrançois (Force
ouvrière).
« Plan social » inavoué
La baisse est très nette, par exem
ple pour l’inspection du travail :
fin 2018, il y avait près de
1 900 agents de contrôle (inspec
teurs et contrôleurs), un chiffre
en recul de 15,6 % en huit ans,
même s’il est reparti un peu à la
hausse depuis 2017, d’après les
données remises durant le CTM
de la mijuillet. Petit à petit s’ins
talle l’idée que, en moyenne, un
agent de contrôle couvrira envi
ron 10 000 salariés, soit une
charge plus lourde qu’auparavant
d’après plusieurs organisations
de fonctionnaires. D’autres sour
ces au ministère font remarquer
que le ratio de 1 pour 10 000 cons
titue non pas un objectif mais
une simple référence à ne pas dé
passer, comme le préconise le Bu
reau international du travail.
Si l’on prend en compte toutes
les autres catégories d’agents
placées dans le « système de l’ins
pection du travail » (assistants,
responsables d’unités de con
trôle, etc.), la décrue des effectifs
est cependant moins spectacu
laire : − 5,1 % entre 2010 et 2018
(avec, là aussi, un rebond entre
2017 et 2018).
Reste que ces tendances préoc
cupent. Les syndicats y voient un
« plan social » inavoué, avec des
ressources sans cesse en réduc
tion, alors même que la liste des
objectifs assignés à cette admi
nistration ne cesse de s’étoffer :
veiller à l’égalité professionnelle
entre les femmes et les hommes,
combattre le travail illégal et la
fraude aux salariés détachés, in
tervenir de manière renforcée
sur les chantiers du bâtiment...
« On ne peut pas tout faire, des
pans entiers de notre activité sont
abandonnés », résume Domini
que Rols (SNU TEFEFSU).
L’autre gros motif d’anxiété est
lié à la nouvelle organisation ter
ritoriale de l’Etat (OTE), dont la
mise en place est programmée au
cours des prochains mois. Deux
circulaires de Matignon, diffu
sées en juillet 2018 et en juin, ont
fixé un cap, dans des délais extrê
mement serrés puisque les pré
fets doivent proposer des solu
tions au premier ministre « avant
fin octobre » afin de réagencer la
base de la pyramide administra
tive. Ce qui va se traduire par la
fusion de services déconcentrés –
dans des directions départemen
tales interministérielles (DDI).
Manque de clarté
L’émergence de ces nouvelles en
tités soulève de multiples ques
tions. Celle tout d’abord du deve
nir de l’inspection du travail, dé
sormais intégrée dans des DDI
qui se retrouveront sous la férule
des préfets : les agents de con
trôle, dans ce schéma, garderont
ils leur indépendance, définie
par la loi et par des conventions
de l’Organisation internationale
du travail? Lors du CTM du
16 juillet à laquelle elle partici
pait, la ministre du travail, Muriel
Pénicaud, a assuré, en substance,
que oui. La circulaire publiée en
juin par Matignon mentionne
d’ailleurs que « l’inspection du
travail conserva son système ac
tuel d’organisation de la ligne hié
rarchique ». Mais il s’agit de décla
rations d’intentions qui pèchent
par leur manque de clarté, aux
yeux de Julien Boeldieu (CGT) :
« Le plus grand flou prévaut sur
l’organisation à venir. »
Autre interrogation : la réparti
tion des moyens matériels, dé
sormais mutualisés dans des se
crétariats généraux « à la main
des préfets », selon la formule de
Brigitte Pineau (UNSA). Bon
nombre d’agents du ministère
du travail redoutent d’y laisser
des plumes, même si, là encore,
Mme Pénicaud a promis que les
ressources allouées à ses troupes
s’inscriront dans une « trajec
toire » identique à celle des
autres services.
Mais ses paroles, qui se veulent
rassurantes, n’ont pas pleine
ment produit leurs effets. Le dé
senchantement est tel que « des
collègues ne posent aucune ques
tion lorsqu’il y a une réunion de
service », témoigne Mme Pineau.
Un désenchantement accentué
par le fait que les fonctionnaires
du ministère se sentent rincés
après une cascade de réformes
durant la décennie écoulée :
réorganisation de l’administra
tion territoriale de l’Etat sous les
quinquennats de Nicolas
Sarkozy et de François Hollande,
refonte de l’inspection du travail
à partir de 2013... « Il y a une
forme de lassitude, glisse M. Rols.
Le changement est permanent. »
Et l’arrêt de ce mouvement per
pétuel n’est absolument pas à
l’ordre du jour.
bertrand bissuel
Fin 2018,
il y avait près
de 1 900 agents
de contrôle
à l’inspection du
travail, un chiffre
en recul de 15,6 %
en huit ans
Vue de
l’immeuble
situé au 22,
avenue Foch,
à Paris,
où est situé
l’appartement
de Jeffrey
Epstein,
le 12 août.
JACQUES DEMARTHON/AFP
« Les poursuites
ne sont pas
des décisions du
gouvernement »
NICOLE BELLOUBET
garde des sceaux
J U S T I C E
Antonin Bernanos
reste en prison
La cour d’appel de Paris a
maintenu, lundi 12 août, le
militant antifasciste Antonin
Bernanos en prison. Le jeune
homme, arrièrepetitfils de
l’écrivain, est incarcéré depuis
sa mise en examen, le 18 avril,
pour « violences en réunion »
et « vol avec violences » du fait
d’une bagarre avec des mili
tants nationauxidentitaires
croisés dans la nuit du
15 au 16 avril, à proximité
de la cathédrale NotreDame
alors en feu. – (AFP.)
Bac : le Conseil d’Etat
relève dix-sept recours
Au moins dixsept recours
contestant les résultats du
bac 2019 ont été déposés de
vant les tribunaux adminis
tratifs en juillet, a confirmé
le Conseil d’Etat, à la suite
d’une information de
BFMTV. Les plaignants esti
ment avoir été défavorisés du
fait de la grève : 53 000 copies
avaient été retenues par les
enseignants.
Attentat de la rue
des Rosiers : le CRIF
demande une enquête
Le Conseil représentatif des
institutions juives de France
(CRIF) a demandé, le 12 août,
l’ouverture d’une enquête
parlementaire sur le pacte
que l’expatron des renseigne
ments français, Yves Bonnet,
aurait noué avec les terroris
tes palestiniens ayant perpé
tré, en 1982, l’attentat de la rue
des Rosiers, à Paris. – (AFP.)