L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

JOSSE/LEEMAGE L’OBS/N°2858-15/08/2019 17


Le général Bugeaud est envoyé en Algérie
en juin  1836. Sa mission est d’écraser la
révolte du jeune émir. Il remporte une pre-
mière victoire contre les troupes d’Abd
el-Kader le mois suivant et signe un accord
de paix à Tafna, en mai 1837, qui reconnaît
la souveraineté de l’émir sur l’Oranais et
l’ensemble du Titteri et qui laisse à la France
les villes et le littoral. Le traité ne dure que
deux ans. En novembre 1839, Abd el-Kader
écrit au gouverneur général d’Algérie
Sylvain Charles Valée, après une expédition
française menée sur Hamza, territoire
contesté : « La rupture vient de vous. Mais
pour que vous ne m’accusiez pas de trahison,
je vous préviens que je vais recommencer la
guerre. Préparez-vous donc, prévenez vos
voyageurs, vos isolés, en un mot prenez toutes
vos précautions. »
Bugeaud rafl e tous les pouvoirs. Il est
nommé gouverneur général de l’Algérie
en 1840 et, pendant sept ans, il va cumuler
cette fonction avec le commandement de
l’armée et son siège de député (conserva-

teur et antirépublicain) de la Dordogne.
100  000  hommes sont sous ses ordres.
Recrues métropolitaines, Légion étrangère
et « indigènes » (spahis, chasseurs d’Afrique,
zouaves). Rustre, hâbleur, amateur de
blagues grivoises et préconisateur du
« repos du guerrier » (avec son lot de beu-
veries et de débauches), il est vénéré par
ses soldats, mais peu apprécié de ses pairs.
Pour lui, la colonisation est un prolonge-
ment de l’action militaire, avec ses soldats-
laboureurs qui récupèrent des terres,
comme au temps des Romains. « Il faut une
grande invasion militaire, proclame-t-il, une
invasion qui ressemble à ce que faisaient les
Francs, à ce que faisaient les Goths... » Une
razzia, une avalanche d’attaques sans répit
pour l’adversaire. Inspiré par les batailles de
Vendée du temps de la Révolution fran-
çaise, Bugeaud organise des «  colonnes
infernales » de 6 000 à 7 000 hommes qui
s’emparent des terres, pillent les récoltes et
le bétail, «  enfument  » la population. A
Dahra, en juin 1845, un colonel allume un

brasier à l’entrée d’une caverne où s’est réfu-
giée la tribu des Ouled Riah. Plus de sept
cents hommes, femmes et enfants meurent,
asphyxiés. « C’est une cruelle extrémité, écrit
Bugeaud, mais il fallait un exemple terrible
qui jetât la terreur parmi ces fanatiques et
turbulents montagnards. »
Abd el-Kader ne peut compter, lui, que
sur 15  000  soldats, six fois moins. Mais il
tente de compenser son infériorité numé-
rique en jetant les bases d’un Etat centralisé.
Il gouverne avec la justice coranique, met en
place une capitale, Tagdempt, à l’est de Mas-
cara, des circonscriptions et des fonction-
naires, établit une dîme sur les récoltes, un
impôt sur les troupeaux, et frappe monnaie
(le boudiou). Entre deux combats, l’émir
prie, médite, jeûne, tient des conférences sur
l’islam. « Croyez-vous que les Arabes laisse-
ront leur religion et la victoire pour devenir
infi dèles ?, écrit-il à Bugeaud. Nous préférons
succomber que de faire pareille chose. Vous
nous avez cité votre force, nous avons des
hommes courageux et nous mourrons en
musulmans. La terre de Dieu est très vaste. Sa
miséricorde est prête à nous recevoir et sa
colère tombera sur les infi dèles. »
La lutte est perdue d’avance. Les troupes
françaises s’emparent de Tlemcen, Mas-
cara, Médéa, Saïda et même de Tagdempt,
la « capitale ». La smala de l’émir (familles
et équipages qui l’accompagnent) est prise
en mai 1843. Replié dans le Rif, lâché par
le sultan marocain, poursuivi, acculé, Abd
el-Kader se rend en décembre  1847 au
général Louis Juchault de Lamoricière,
contre la promesse d’être conduit avec sa
suite à Alexandrie, en Egypte, ou à Akka, en
Syrie. La presse française et le Parlement
sont vent debout. L’émir restera empri-
sonné dans les châteaux de Pau puis d’Am-
boise jusqu’à ce que Louis Napoléon
Bonaparte honore la promesse française et
l’envoie s’établir à Damas.
Le maréchal Bugeaud meurt en juin 1849,
du choléra, dans un hôtel particulier du quai
Voltaire, à Paris, alors qu’il vient tout juste
d’être élu, une nouvelle fois, à la législative
par la Charente inférieure. L’émir Abd el-
Kader décède, lui, en exil à Damas, en 1883,
après avoir consacré le reste de sa vie à l’islam
soufi. Aujourd’hui, leurs statues sont tou-
jours séparées par la Méditerranée. Celle du
maréchal, rapatriée en 1962, a été installée à
Excideuil, en Dordogne, où il a été maire
pendant cinq ans. Celle de l’émir n’a pas
bougé, elle est toujours en face du Milk Bar,
sur la place d’Isly qui a été rebaptisée place
Abd-el-Kader à l’indépendance. Q

Le maréchal Thomas-Robert Bugeaud, peinture de Charles Larivière, 1845.

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