L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

A P/ SI PA L’OBS/N°2858-15/08/2019 51


ENQUÊTE


sont ministres, soit ont de gros contrats avec le gouver-
nement. Il n’existe pas de système d’équilibre des pou-
voirs.  » L’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe a donc voté, le 26 juin, à une écrasante majo-
rité, le rapport et la résolution de Pieter Omtzigt exi-
geant du gouvernement maltais qu’il mette sur pied
une «  enquête publique indépendante  », une sorte
d’audit de la manière dont cette aff aire a été abordée
et prise en main par les autorités maltaises. Un ulti-
matum a été fi xé à Joseph Muscat : il a trois mois pour
s’exécuter et lancer la procédure. Mais, pour l’instant,
rien ne se passe. Une déclaration du ministre des
Aff aires étrangères, Carmelo Abela, de passage à
Londres, a pu laisser penser que Malte allait obtem-
pérer, mais le Premier ministre semble bien moins
pressé que son chef de la diplomatie.

SOCIÉTÉS OCCULTES
Que redoute tant Joseph Muscat de cet audit indé-
pendant? Le Premier ministre, un quadra ambitieux
et charismatique, semble protéger ses proches, impli-
qués dans un nombre impressionnant d’aff aires.
Le rapport de Pieter Omtzigt est là aussi impla-
cable. Le député – surnommé dans son pays « le Pit-
bull » – recense au moins six « scandales majeurs »
qui, du fait des « défaillances fondamentales » du sys-
tème maltais, sont « restés impunis ». Il y a d’abord
eu les Panama Papers, qui ont fait apparaître au
grand jour les montages du ministre Mizzi et du
directeur de cabinet Schembri, sans déclencher
aucune poursuite. Puis l’aff aire Eloctrogas : le mar-
ché public de cette centrale a été attribué au terme
d’une « procédure très irrégulière » à un consortium
possédant notamment une société dubaïote, 17 Black
(« 17 noir », comme au casino), abondée par des fonds
azerbaïdjanais : elle « devait eff ectuer des versements
mensuels à des sociétés occultes panaméennes appar-
tenant à M.  Mizzi et à M.  Schembri  ». On retrouve
aussi les deux compères dans l’« aff aire Hillman »,
du nom d’un directeur de journal que Schembri a
tenté de corrompre. Puis, dans l’aff aire dite « Vitals
Global Healthcare  », la société à laquelle Mizzi a
confi é la gestion de l’hôpital de l’île de Gozo, aussi-
tôt revendue à un groupe américain. Ou dans celle
des «  passeports en or  », un business ouvrant la
vente de la citoyenneté européenne à des oligarques
russes, moyennant investissements à Malte et
paiement d’une commission de 100 000  euros à
Schembri, via un intermédiaire, Brian Tonna, juste-
ment gestionnaire de 17 Black.
«  Schembri, Mizzi et Tonna, au cœur de tous les
scandales, sont protégés par le Premier ministre  »,
dénonce Pieter Omtzigt, que Konrad Mizzi, actuel
ministre du Tourisme, a tout simplement refusé de
rencontrer. Une fi n de non-recevoir inacceptable
pour le député. Décidé à ne rien lâcher, celui-ci
insiste : « Il ne faut jamais oublier que ce qui se passe
à Malte ne reste pas à Malte, mais se propage à toute
l’Union. La citoyenneté que cet Etat accorde permet à

ceux qui la reçoivent de s’installer partout en Europe,
y compris en France. Les passeports qu’il délivre per-
mettent de voyager partout. S’il accorde un agrément
bancaire à un établissement qui ne devrait pas l’avoir,
celui-ci pourra exercer en France. »
La famille de Daphne Caruana Galizia – ses trois
fi ls, son mari, ses parents et ses trois sœurs – est
dans le même état d’esprit. Ils réclament depuis
longtemps cette « enquête publique » sur l’enquête
et, depuis le 26 juin, affi chent sur leur site Internet
le compte à rebours des trois mois depuis le vote du
26 juin. « Nous voulons que l’Etat maltais apprenne
de ses erreurs, fasse ce qui est nécessaire pour qu’un
assassinat ne puisse plus se reproduire, faute de quoi
tous les journalistes qui écrivent sur la corruption res-
teront en danger. Ce que Daphne n’aurait jamais
accepté. Cela nous concerne tous », explique Corinne
Vella, la sœur de Daphne. Et ce n’est pas abstrait :
les blogueurs Manuel Delia ou Caroline Muscat
(TheShiftNews), qui ont repris le fl ambeau de
Daphne, ou les députés de l’opposition Simon
Busuttil, Marlene et Godfrey Farrugia sont harcelés
par des hordes de trolls sur le Net, voire menacés
physiquement. Ils sont démunis face à un gouver-

nement qui joue la montre et l’oubli des Maltais.
Certains d’entre eux résistent encore et vont régu-
lièrement déposer fl eurs et bougies sur un mémorial
improvisé à la mémoire de Daphne dans le centre
de La Valette, face au palais de justice, mais les auto-
rités – qui ont refusé de répondre aux questions de
«  l’Obs  » – nettoient systématiquement le monu-
ment, refusant obstinément que la mémoire de l’in-
vestigatrice soit honorée. Q
(1) Consortium de 300 journalistes qui a reçu le prix Pulitzer 2017 pour avoir révélé l’af faire
des Panama Papers, des montages d’évasion fiscale du cabinet d’avocats panaméen
Mossack Fonseca.
(2) A ne pas confondre avec le Conseil européen, qui réunit les chefs d’Etat de l’Union.
Le Conseil de l’Europe, créé en 1949 sur une idée de Winston Churchill, regroupe 47 pays –
dont la Russie et la Turquie – et se concentre sur la défense des droits de l’homme
et du respect de la démocratie en Europe.

“SCHEMBRI,


M I Z Z I E T


TONNA, AU


CŒUR DE


TOUS LES


SCANDALES,


S O N T


P R O T É G É S


P A R L E


PREMIER


MINISTRE.”


PIETER OMTZIGT

Le Premier
ministre,
Joseph Muscat,
annonce
lui-même
l’arrestation des
trois suspects
à la télévision.

̄ La semaine
prochaine :
« Le préfet allemand
et les néonazis »

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