L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

« THE NEW EUROPEAN » L’OBS/N°2858-15/08/2019 53


DÉCRYPTAGE


tabloïd proche du Parti travailliste), qui a
rejoint l’éditeur Archant spécialisé dans la
presse municipale et régionale pour y diri-
ger les contenus, pressent que cette com-
munauté a besoin d’un journal. «  Vingt-
quatre heures plus tard, le business plan était
établi. Et, dix jours après le référendum, le
premier numéro, bouclé. »
C’est un succès inattendu : 40 000 exem-
plaires! Depuis, les ventes se sont un peu
tassées mais demeurent très respectables,
à quelque 20 000 copies par semaine. Avec,
en sus, près de 8 000 abonnés, l’entreprise
est profi table. Un exploit considérable pour
un journal papier lancé sans publicité, sans
marketing, qui ne parle que d’Europe. Et
qui ne se brade pas : 2,50  livres sterling
(soit 2,90 euros), une somme élevée pour
la presse britannique dont les tabloïds avoi-
sinent les 50  centimes. Symboliquement
imprimé sur 48 pages, le journal des 48%
de remainers, les partisans du maintien
dans l’UE, est devenu l’organe des pro-
européens dans une Grande-Bretagne où
les formations politiques historiques se
déchirent sur l’avenir du pays. Il fait écho
aux très fortes mobilisations qui ont réuni
jusqu’à un million d’anti-Brexit en
mars 2019. C’est inédit dans ce pays où l’on
descend rarement dans la rue. Dépassant
les frontières partisanes, « The New Euro-
pean » est le seul ciment, dans un paysage
politique éclaté, des europhiles britan-
niques divisés et assez déprimés.
A une nuance près. « Ce journal n’est pas
celui de tous les “remainers”, souligne une
analyste d’un grand quotidien britannique,
car le soutien de l’ex-Premier ministre tra-
vailliste Tony Blair et la collaboration de son
conseiller Alastair Campbell le désignent
comme “blairiste”. Pas très populaire chez
les europhiles, même travaillistes. » En sou-
tenant la seconde guerre d’Irak voulue par
le président américain George Bush, Tony
Blair avait sérieusement terni sa réputa-
tion. « Le camp des anti-Brexit est puissant
mais il est très divisé, encore plus divisé que
celui des pro-Brexit, précise cette analyste.
Pourtant, “The New European” a un
immense mérite : il rappelle aux Britan-
niques que l’Europe n’est pas seulement un
lieu de vacances, qu’elle a sa culture, son éco-
nomie, son histoire. » Le journal dissèque
aussi toutes les conséquences d’un Brexit,
des menaces sur le commerce à celles sur
la paix en Irlande du Nord.
L’hebdomadaire europhile est réalisé par
une équipe fi xe et réduite de quatre perma-
nents à laquelle s’ajoutent de nombreux

contributeurs : hommes d’aff aires, roman-
ciers, philosophes, journalistes, intellec-
tuels britanniques mais aussi d’autres pays
d’Europe. Exemple : auteure d’une biogra-
phie remarquée d’Angela Merkel et, plus
récemment, d’un essai original et décapant
sur l’UE  (1), Marion Van  Renterghem,
ancienne journaliste au «  Monde  » et à
« Vanity Fair » France, collabore régulière-
ment au « New European » en raison de
ses fortes convictions européennes. «  Au
Royaume-Uni, “Europe” est un mot qui
n’existe quasiment pas dans les médias, sauf
pour en dire du mal. Avec son titre qui sonne
comme une provocation, surtout dans un for-
mat tabloïd, “The New European” a réussi à
s’imposer et à exister dans les débats publics.
Rien que pour ça, non seulement il est utile,
mais son aventure est historique », explique
la journaliste. «  The New European  » a
publié, en exclusivité, le journal d’une de ses
signatures régulières : Alastair Campbell,
l’ancien conseiller stratégique de Tony
Blair. Autre fait d’armes du titre  : il a
dénoncé la façon dont la presse tabloïd a
lavé le cerveau des Britanniques pour les
pousser à voter pour le Brexit en attisant,
avec des articles sans grand fondement, leur
peur de l’immigration.
Grâce à des économies d’échelle dans
l’impression et la distribution, Archant, le
cinquième groupe de presse locale britan-
nique, démontre qu’à l’heure du numé-
rique, miser sur l’imprimé peut être ren-
table. Lancé en 2014 en soutien à
l’indépendance de l’Ecosse, le quotidien
papier « The National » a, lui aussi, rencon-
tré le succès avec ses 15 000  exemplaires
par jour. D’autant plus remarquable qu’à la
même époque, et malgré ses gros moyens,
Trinity Mirror, l’un des poids lourds du
secteur, avait dû saborder le quotidien
« The New Day » au bout de dix semaines.
« The New European » a fait irruption
dans un paysage médiatique britannique
plutôt hostile à l’Europe. « La plupart des
journaux populaires britanniques ont fait
campagne pour le Brexit », explique une
éditorialiste à Londres. Quant aux titres
«  de qualité  », même s’ils sont plutôt
pro-européens, « ils ont été inconscients,
nonchalants : ils n’ont pas pris au sérieux
le risque d’un vote contre l’UE et, après le
référendum, ils ont été très lents à réagir,
poursuit-elle. Comme si personne ne se
posait la question : que veut dire le Brexit ? »
Une question que « The New European »
pose maintenant chaque semaine. Q
(1) « Mon Europe, je t’aime moi non plus, 1989-2019 », Stock.

Connu pour ses couvertures chocs,
le magazine, qui a reçu de nombreux prix,
est devenu l’organe des pro-européens.

Vu sur https://www.french−bookys.com

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