Le Temps - 19.08.2019

(やまだぃちぅ) #1

Je m’appelle Jacques (ou Paul, ou autre). J’ai la


chance d’avoir quelques moyens et suis détenteur


d’un portefeuille d’actions bien garni. Pendant


longtemps, tout allait bien, je ne me posais pas trop


de questions. Les marchés évoluaient favorable-


ment, je touchais des dividendes. Mais, depuis


quelque temps, je lis les journaux qui ne parlent


que d’investissements responsables, dits aussi ESG


(pour investissements prenant en compte des cri-


tères environnementaux, sociaux et de gouver-


nance). Mes enfants manifestent pour le climat.


J’ai décidé de devenir un investisseur éthique.


J’ai donc commencé à analyser mon portefeuille,


afin de le rendre plus «clean» et aligné avec mes nou-


velles convictions. J’ai immédiatement vendu les


titres de sociétés actives dans l’armement. Evident:


comment peut-on être responsable et investir dans


les armes? Puis, j’ai vendu les titres de sociétés actives


dans le tabac et l’alcool, ces poisons!


Choix radicaux


Continuant sur ma lancée, j’ai cédé les sociétés


actives dans les jeux d’argent. Puis des titres de


médias: certains sont actifs dans la pornographie.


Pas éthique, évidemment. J’ai ensuite vendu les


entreprises actives dans la production d’énergie


nucléaire (qui génère des résidus). Puis je me suis


attaqué à la sauvegarde du climat: j’ai cédé les exploi-


tants de charbon et toutes les sociétés pétrolières.


Dans la foulée, je me suis séparé des fabricants


d’automobiles, des compagnies aériennes et des


transporteurs maritimes. J’ai aussi liquidé les


titres des secteurs des biens de consommation qui


utilisent de l’huile de palme ou mettent de l’eau en


bouteilles, puis les sociétés actives dans le luxe,


qui utilisent des matériaux précieux produits je


ne sais comment pour fabriquer des bijoux, et aussi


les industries lourdes, qui sont souvent confron-


tées à la corruption. En passant, j’ai sorti les titres


pharmaceutiques, qui font augmenter les coûts de


la santé.


Faut-il brûler ses billets?


Il ne me restait plus grand-chose dans mon por-


tefeuille. J’ai alors décidé d’être encore plus


éthique, encore plus radical: j’ai vendu les sociétés


de services informatiques, qui délocalisent en Inde,


et j’ai vendu les agences de pub, qui nous forcent


à consommer (c’est bien connu).


Il me restait les banques. Je les ai vendues: elles


seraient responsables de la crise financière et cer-


taines financent toutes les activités que je venais de


biffer dans ma liste. Il ne restait plus rien dans mon


portefeuille. A la place, j’avais devant moi un gros tas


de billets de banque.


Puis un doute terrible m’a envahi: ces billets, ce


sont des créances contre des banques centrales,


dont la contrepartie est l’actif de leur bilan, lui-


même investi en titres de sociétés cotées dans tous


les secteurs de l’économie: armement, tabac,


alcool, médias, nucléaire, charbon, pétrole, auto-


mobiles, transports, biens de consommation,


pharma, luxe, services, etc. Devais-je donc brûler


mes billets?


Responsabiliser, pas exclure


Dans le fond, qu’avais-je fait? Céder mes titres


à quelqu’un d’autre avait-il eu un impact quel-


conque? Ou n’était-ce pas simplement une façon


de me voiler la face, de me donner bonne


conscience tout en continuant à consommer tous


ces biens et services offerts par ces mêmes socié-


tés comme si de rien n’était?


J’ai tout racheté, et me suis mis à voter systéma-


tiquement aux assemblées générales des sociétés


investies. Je me suis impliqué dans des résolutions


d’actionnaires leur demandant de prendre en


compte les aspects ESG, en particulier le climat,


dans leurs stratégies. J’ai aussi privilégié les entre-


prises qui faisaient des efforts allant dans le sens


de la prise en compte du développement durable.


Je suis ainsi devenu, dans la mesure de mes


moyens, un actionnaire plus responsable. n


J’ai décidé


de devenir


un investisseur


durable


Au cœur des marchés


JEAN NIKLAS


RESPONSABLE


DES INVESTISSEMENTS


EN ACTIONS, BCV


Les taux négatifs bientôt pour tout le monde?


11 433


LE NOMBRE D’EMPLOIS DANS L’INDUSTRIE DU


TABAC SELON L’USAM. Une guerre des chiffres est


citée par Le Matin Dimanche. La Suisse compte 11 


emplois dans l’industrie du tabac selon l’USAM et


Swiss Cigarette, mais seulement 5493 emplois selon


les milieux de la prévention du tabagisme.


50 milliards


EN EUROS, LE MONTANT DES DÉPENSES QUE


L’ALLEMAGNE POURRAIT ENGAGER EN CAS DE


CRISE ÉCONOMIQUE. C’est la première fois que le


ministre allemand des Finances, Olaf Scholz,


mentionne un possible plan de relance budgétaire


pour soutenir l’activité économique.


NICOLAS DUJOVNE


Ministre argentin


des Finances


Le ministre a démissionné


samedi, après une semaine


de turbulences qui a vu le


peso perdre plus de 20%


et la bourse plonger de plus


de 30%. Il sera remplacé


par Hernan Lacunza.


SÉBASTIEN RUCHE


t @sebruche


Les ménages devront-ils bientôt


payer pour qu’une banque stocke


leur argent, de la même manière


qu’on paie un garde-meuble? En


tout cas, les banques veulent de


moins en moins supporter seules


le coût des taux d’intérêt négatifs


de la Banque nationale (BNS). Dès


le 1er novembre, UBS prélèvera


0,75% sur les dépôts de particu-


liers s’élevant à au moins 2 mil-


lions de francs. Ces 75 points de


base correspondent à ce que lui


coûtent ses dépôts à vue auprès


de la BNS. Auparavant, la pre-


mière banque du pays ne réper-


cutait pas le coût des taux néga-


tifs sur ses clients privés et le


faisait au cas par cas pour les


clients institutionnels. La plu-


part des banques avaient mis en


place des politiques de ce type


suite à l’entrée en vigueur des


taux d’intérêt négatifs de la BNS,


après la crise financière. A l’ins-


tar d’UBS, certains établisse-


ments ont récemment serré la


vis. Quels seront les effets de ces


mesures? Les petits épargnants


doivent-ils s’attendre à être ponc-


tionnés à leur tour? Eléments de


réponse.


«Le but des taux d’intérêt néga-


tifs est d’encourager les individus


à consommer ou à investir dans


l’économie réelle, pas dans des


actifs financiers, rappelle Jean-


Charles Rochet, spécialiste des


politiques monétaires à la Geneva


School of Economics and Mana-


gement. Mais l’effet de cette poli-


tique, qui repose largement sur


la psychologie, est limité. Il se


concrétise essentiellement à tra-


vers les taux d’intérêt que les


banques offrent pour des prêts


ou des hypothèques.»


La fin du filtre


Jusqu’à cet été, les banques


jouaient donc un rôle de filtre.


Elles ne répercutaient pas ou pas


totalement le coût des intérêts


négatifs sur les dépôts de leurs


clients, selon des modalités


diverses. Elles limitaient ainsi


l’impact de la politique monétaire


sur les individus. Ce geste com-


mercial est en voie d’extinction


maintenant qu’un ralentissement


de la croissance se profile aux


Etats-Unis notamment.


Cette perspective a poussé la


Réserve fédérale à abaisser ses


taux directeurs d’un quart de point


le 1er août, tandis que la Banque


centrale européenne s’apprête


probablement à abaisser les siens


en septembre. Pour éviter que le


franc s’apprécie, la BNS est en pra-


tique condamnée à maintenir ses


taux négatifs. Depuis que certaines


banques commerciales ont abaissé


le seuil à partir duquel des frais


seront facturés sur le cash, elles


permettent en quelque sorte à la


BNS de toucher le dernier bastion


de l’épargne: les dépôts.


Impression


de généralisation


Cette impression de généralisa-


tion est accentuée par le fait que


les comptes en euros détenus en


Suisse seront eux aussi frappés


d’une taxe chez UBS. A partir de


500 00 euros et à un taux de 0,6%.


Le seuil était auparavant fixé à


1 million d’euros, depuis 2017. A


la rentrée, Credit Suisse prélèvera


pour sa part 0,4% sur les dépôts


dépassant 1 million d’euros.


Ce mouvement va-t-il boulever-


ser la vie des petits épargnants?


Par exemple en encourageant les


retraits de cash et leur dissimu-


lation sous les bons vieux mate-


las? Probablement pas, poursuit


Jean-Charles Rochet: «En


période de taux d’intérêt néga-


tifs, les individus ont au moins la


certitude que les liquidités qu’ils


détiendraient hors du système


bancaire, c’est-à-dire à la maison,


ne se déprécieraient pas. Mais si


de gros montants sont en jeu,


l’opération devient risquée», ana-


lyse celui qui est également pro-


fesseur de banque au Swiss


Finance Institute.


Une autre limite à l’efficacité de


cette politique provient des mon-


tants à partir desquels des banques


facturent des frais sur les dépôts


en cash. Bien qu’abaissés par un


certain nombre d’établissements


au cours de l’été, ces seuils


demeurent élevés. Par exemple à


3 millions de francs pour la Banque


cantonale de Genève (BCGE),


contre 5 millions respectivement


auparavant. Des montants qui


mettent le petit épargnant à l’abri


des taux négatifs.


Peut-être pas éternellement,


cependant. «Il y a une sur-épargne


privée depuis la crise financière,


le compte courant de la Confédé-


ration est donc très excédentaire,


estime Samy Chaar, chef écono-


miste chez Lombard Odier. Les


banques reçoivent beaucoup de


dépôts, ce qui représente doréna-


vant un coût pour elles. Elles


finissent donc par faire payer ce


service de dépositaire, comme un


garde-meubles facture des hono-


raires pour sa prestation».


Selon lui, il n’est pas exclu


qu’un jour, des frais similaires


soient prélevés à partir de


quelques dizaines de milliers de


francs, ce qui toucherait une


grande partie de la population.


«Avec la faible visibilité sur la


croissance, des taux bas voire


négatifs sur la durée et le vieil-


lissement de la population, la


situation est très différente de


celle des 60 années d’après-


guerre, qu’on pense encore trop


souvent être la norme», conclut


Samy Chaar.


Près de 1200 milliards


de dépôts


Pour le moment, il est difficile


d’évaluer le montant total des


frais qui frapperont l’épargne en


Suisse. Selon des chiffres de l’Of-


fice fédéral de la statistique


(OFS), les résidents détenaient


en 2017 1193,4 milliards de francs.


Mais les statistiques ne four-


nissent pas le détail des montants


détenus, ce qui permettrait de


savoir quelle partie de ces avoirs


dépasse 2 ou 3  millions par


compte – et donc quelle partie est


potentiellement frappée de ces


0,75% de taxe.


Quant au coût global pour les


banques elles-mêmes, on sait


que les taux négatifs s’appliquent


à une partie des 469 milliards de


francs que les établissements


ont en dépôt à vue auprès de la


BNS (le chiffre date de la semaine


du 9  août). Sur ce total, les


réserves obligatoires ne sont pas


taxées, ni les réserves excéden-


taires tant qu’elles ne repré-


sentent pas plus de 20 fois les


réserves obligatoires. Seule une


petite partie de ces 469 milliards


est effectivement frappée de


l’intérêt négatif. n


Les banques veulent de moins en moins supporter seules le coût des taux d’intérêt négatifs de la Banque nationale (BNS). (CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE)


FINANCE Plusieurs banques suisses ont récemment décidé de répercuter plus largement le coût des taux d’intérêt négatifs sur leurs clients.


Un premier pas vers une généralisation de cette pratique? La politique monétaire en est-elle plus efficace?


SMI


9728,


+1,27%


k


Dollar/franc 0,
l

Euro/franc 1,
l

Euro Stoxx 50


3329,


+1,41%


k


Euro/dollar 1,1093 k


Livre st./franc 1,1901 l


FTSE 100


7117,


+0,71%


k


Baril Brent/dollar 58,
l

Once d’or/dollar (^1513) l
LUNDI 19 AOÛT 2019 LE TEMPS
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