4 |international DIMANCHE 11 LUNDI 12 AOÛT 2019
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Les tueries de
Dayton et d’El
Paso atteignent
une NRA fragilisée
A l’inverse du lobby des armes, Donald
Trump défend désormais le principe de la
vérification des antécédents des acheteurs
washington correspondant
C
omme après chacune
des tueries de masse qui
endeuillent régulière
ment les EtatsUnis, les
tragédies d’El Paso et de Dayton
ont ravivé des appels à un plus
grand encadrement de l’accès aux
armes à feu. Elles ont également
renouvelé les interrogations sur
le pouvoir de dissuasion de la
National Rifle Association (NRA).
Le puissant lobby a été capable
au cours des dernières années de
mettre en échec la moindre tenta
tive de régulation, défendant un
laxisme qui fait des EtatsUnis à la
fois le pays le plus armé du
monde mais également le cham
pion des homicides et des suici
des par arme à feu. Avec l’élection
de Donald Trump, soutenue
en 2016 à hauteur de trente mil
lions de dollars, la NRA a semblé
au faîte de son pouvoir.
L’arrivée à la Maison Blanche de
ce partisan inconditionnel a
pourtant coïncidé avec une crise
sans précédent. Elle est apparue
au grand jour lors de sa conven
tion annuelle, en avril, marquée
par l’éviction de son président,
Oliver North, après les accusa
tions portées contre le puissant
directeur exécutif du lobby,
Wayne LaPierre, mis en cause
pour un train de vie et des dépen
ses jugées somptuaires.
Un rouage important, Chris
Cox, responsable des relations
avec les élus du Congrès, a égale
ment été emporté par la bourras
que. La direction de l’organisation
est désormais à couteaux tirés
avec l’agence de communication
qui a contribué à asseoir l’image
dans l’opinion américaine de ce
qui n’était à l’origine qu’une asso
ciation de chasseurs. Coïncidence
funeste, l’un des principaux diri
geants de cette agence, Angus Mc
Queen, qui avait milité pour la
création d’un canal de télévision,
réputé pour ses plaidoyers coup
de poing, est décédé en juillet des
suites d’un cancer du poumon.
Démobilisation
Cette crise a souligné les difficul
tés financières de la NRA, qui ac
cumule les déficits depuis
trois ans et voit s’amoindrir ses
rangs. Cette démobilisation est
paradoxalement due en bonne
partie à la conviction que l’actuel
président est le meilleur rempart
du deuxième amendement de la
Constitution relatif au droit à pos
séder une arme à feu, poussé en ce
sens par ses deux fils, Donald Jr. et
Eric. La NRA semblait indispensa
ble pendant les deux mandats du
démocrate Barack Obama, qui ne
en 2011, ont investi 37 millions de
dollars dans ces élections intermé
diaires, soit bien plus que les
20 millions de dollars de la NRA.
Cette mobilisation, renforcée
par celle des lycéens survivants de
la tuerie de masse de Parkland
(Floride) en février 2018, a permis à
quinze candidats démocrates affli
gés de la pire « note » décernée par
l’association de l’emporter sur des
adversaires disposant au contraire
de l’appréciation maximale du
lobby. Les accointances de la NRA
avec une Russe accusée d’agir pour
le compte de Moscou ont aussi
brouillé son image. Cette Russe,
Maria Butina, a été condamnée le
26 avril à 18 mois de prison à
Washington pour avoir tenté d’in
filtrer le camp conservateur en se
servant du lobby des armes.
Les partisans d’un contrôle ren
forcé peuventils profiter de la
mauvaise passe traversée par la
NRA? Donald Trump semble dé
sormais prêt à apporter son sou
tien à la vérification des antécé
dents des acheteurs : « Des armes
ne devraient pas être mises entre
les mains de gens mentalement dé
rangés », atil tweeté. Au point de
déclencher un tir de barrage pré
ventif de Wayne LaPierre. Ce der
nier a déjà mis en avant auprès de
l’intéressé, mardi, selon la presse
américaine, l’incompréhension
que provoquerait un tel revire
ment auprès de la base électorale
du président. La NRA combattra
« toute loi qui empiéterait injuste
ment sur les droits des honnêtes ci
toyens », atil mis en garde jeudi.
Le chef de la majorité républi
caine du Sénat, Mitch McConnell,
qui y était également opposé, a
assuré jeudi que cette mesure se
rait au cœur des débats qui inter
viendront lorsque le Sénat, actuel
lement en vacances, siégera de
nouveau, en septembre. Elle a déjà
été adoptée par la Chambre des re
présentants dirigée par les démo
crates depuis le début de l’année
mais Mitch McConnell, maître de
l’ordre du jour, a refusé jusqu’à
présent de la mettre en discussion.
La NRA serait alors placée le dos
au mur, avec des marges de
manœuvres limitées. Son intran
sigeance est d’autant moins né
gociable que sa crise interne ne
peut que profiter à des organisa
tions qui campent sur une ligne
maximaliste. La Second Amend
ment Foundation, Gun Owners of
America ou la Firearms Policy
Coalition sont en effet hostiles à
la moindre disposition, y compris
la plus consensuelle qui vise à
permettre à la justice de confis
quer son arme à une personne
dont le comportement ou les pro
pos sont jugés suffisamment in
quiétants par son entourage.
gilles paris
Pendant le discours de Donald
Trump lors de la réunion annuelle
de la NRA à Indianapolis (Indiana),
le 26 avril.SETH HERALD/AFP
La décriminalisation de l’avortement passe
une première étape en NouvelleZélande
La chef du gouvernement, Jacinda Ardern, espère obtenir la légalisation de l’IVG d’ici six mois
sydney correspondance
S
i les femmes qui souhaitent
avorter « disent la vérité,
alors techniquement, sous
nos lois, ce sont des criminelles », a
déploré jeudi 8 août la première
ministre néozélandaise, Jacinda
Ardern (travailliste) face aux
membres du Parlement. « Et je
suis fondamentalement en désac
cord avec cela », a martelé la pre
mière femme à diriger le pays.
Elle s’exprimait avant un vote
très attendu sur un projet de loi
porté par son gouvernement, vi
sant à légaliser l’avortement jus
qu’à la vingtième semaine de gros
sesse, approuvé par 94 voix pour
et 23 contre. Cela ouvre un proces
sus législatif pour que la pratique
sorte du code pénal d’ici six mois.
Corriger une loi remontant aux
années 1970 qualifiant l’avorte
ment de crime faisait partie des
promesses de campagne de Ja
cinda Ardern. La pratique n’est lé
gale à ce jour qu’en cas d’inceste,
d’« anomalie mentale », d’anoma
lie fœtale, ou de risque pour la
santé physique ou mentale de la
femme enceinte.
Or, c’est ce dernier argument qui
est invoqué dans 97 % des cas. « Il
faut mentir à un docteur pour
avoir accès à un soin médical », ré
sume Terry Bellamak, présidente
et porteparole de l’association
pour le droit à l’avortement
Abortion Law Reform Association
of New Zealand (Alranz). L’Organi
sation des nations unies (ONU) a
d’ailleurs dénoncé à plusieurs
reprises la législation néo
zélandaise « alambiquée », ren
dant les femmes « dépendantes de
l’interprétation bienveillante d’une
règle qui annule leur autonomie ».
En NouvelleZélande, environ
13 000 femmes ont été autorisées
à pratiquer un avortement
en 2017, soit 13,7 avortements pour
1 000 naissances – une proportion
similaire à la France (14,4 pour
1000 en 2017, selon l’Institut na
tional d’études démographiques).
Cependant, elles ont dû pour cela
convaincre au préalable deux mé
decins que leur grossesse les met
tait en danger physiquement ou
mentalement. « La plupart des
gens en NouvelleZélande pensent
qu’ils ont accès à l’avortement, ce
qui est vrai en soi, mais ils ne sa
vent pas que la loi ne reflète pas la
pratique. La jeune génération de
Néozélandaises est choquée de
découvrir la situation », explique
Alison McCulloch, journaliste et
auteure d’un ouvrage sur le com
bat pour le droit à l’avortement
dans le pays (Fighting to Choose :
The Abortion Rights Struggle in
New Zealand, Victoria University
Press, 2013, non traduit).
En dépit des apparences, la so
ciété et la sphère politique néo
zélandaises « demeurent sous bien
des aspects très conservatrices, que
ce soit en matière de racisme ou de
droits des femmes », explique Terry
Bellamak. Si le projet de décrimi
nalisation fait débat dans l’archi
pel, c’est que « divers groupes ont
une connexion plus traditionnelle
à l’Eglise et à la religion, dont certai
nes communautés polynésien
nes », décritelle. « De nombreuses
églises opposées à l’avortement
s’organisent et disposent de res
sources pour en empêcher l’accès »,
ajoutetelle, évoquant des appuis
étrangers, avec notamment la
venue d’évangéliques américains.
« Faire la différence »
En se saisissant de la question de
l’avortement, Jacinda Ardern
« vient donc vraiment faire la diffé
rence, assure Mme McCulloch.
Aucun politicien à ce jour ne voulait
sérieusement aborder le sujet et
faire preuve de leadership en la ma
tière. Elle est la première qui affirme
fermement qu’elle soutient incon
ditionnellement le droit des fem
mes ». Mme Ardern l’a illustré au
cours des deux dernières années
de son mandat : elle est seulement
la seconde chef de gouvernement
au monde à mener à terme une
grossesse (après la Pakistanaise
Benazir Bhutto en 1990) et la pre
mière à prendre un congé mater
nité ou à allaiter dans l’hémicycle
du Parlement néozélandais
comme dans celui de l’ONU.
Terry Bellamak se dit satisfaite
d’un projet de loi qui permettra à
la NouvelleZélande d’être en
phase avec ses partenaires inter
nationaux. Elle apprécie particu
lièrement que le texte prévoie des
« zones de sécurité » aux abords
des cliniques pratiquant l’avorte
ment. « Il est important que les
femmes se sentent en sécurité pour
accéder à des soins médicaux obs
tétriques et ne soient pas sujettes à
de l’intimidation et à du harcèle
ment. Le texte garantit l’accès à ces
soins sans compromettre le droit
de protester », reconnaîtelle. Il est
courant qu’en NouvelleZélande
un ou deux militants antiavorte
ment se postent à l’entrée des
cliniques pour manifester.
Les associations antichoix
Family First et Family Life Inter
national espèrent que, parmi les
94 députés qui ont voté en faveur
du texte, certains changeront
d’avis au cours des prochains vo
tes, en deuxième et troisième lec
tures. Il y a, en effet, « un véritable
risque » que le projet porté par la
coalition de Jacinda Ardern soit
finalement repoussé, reconnaît
Alison McCulloch. « La société
néozélandaise est largement sécu
laire, mais les gens qui militent
[contre la décriminalisation de
l’avortement] sont très engagés,
les associations caritatives sont
très riches », expliquetelle.
Avant de soumettre son projet
de loi au vote, Jacinda Ardern a
rappelé avoir grandi dans un foyer
religieux (mormon) et a affirmé
respecter la liberté d’opinion de
chacun. « Mais je fais la distinction
quand cette opinion nuit aux droits
des autres », atelle insisté.
- Intérim.
L’arrivée à la
Maison Blanche
de Donald
Trump, partisan
de la NRA,
a coïncidé avec
une crise sans
précédent
mâchait pas ses critiques contre
elle. Ce n’est plus le cas.
La NRA est également fragilisée
par l’accumulation des fusillades
de masse. Au lendemain de la tue
rie de Dayton (9 morts), deux des
élus républicains de l’Ohio qu’elle
avait activement soutenus lors des
élections de 2018, le gouverneur
Mike DeWine et le représentant
Mike Turner, ont publiquement
apporté leur soutien à des mesu
res d’encadrement qu’elle combat,
comme la vérification des antécé
dents des acheteurs, une proposi
tion soutenue par une majorité
écrasante de la population améri
caine, y compris parmi ceux qui
détiennent une arme à feu.
Lors des élections de miman
dat, en novembre 2018, la NRA a
déjà été débordée par le camp
favorable à une plus grande régu
lation. Everytown for Gun Safety,
financé par l’ancien maire de New
York Michael Bloomberg, et l’orga
nisation créée par Gabrielle
Giffords, une ancienne élue démo
crate d’Arizona ellemême griève
ment blessée dans une fusillade
En Algérie, premier revers pour
la « bataille des drapeaux »
A
rrêté le 5 juillet à Annaba, dans l’est de l’Algérie, pour
avoir brandi un drapeau berbère lors d’une manifes
tation du vendredi, Nadir Fetissi, 41 ans, risquait gros :
le procureur avait requis contre lui une peine de dix ans de
prison pour « atteinte à l’unité nationale ». Le tribunal
d’Annaba a provoqué la surprise et le soulagement général
en prononçant, jeudi 8 août, son acquittement et « la restitu
tion des deux drapeaux amazigh », selon son avocat, cité
par le quotidien El Watan.
Pour certains, c’est un souci d’apaisement qui a prévalu,
alors que la « commission du dialogue » mise en place par le
pouvoir tente laborieusement d’engager son travail. Karim
Younes, ancien président de l’Assemblée nationale, désormais
à la tête de cette instance, avait critiqué la sévérité du réquisi
toire. Il s’est empressé de saluer le verdict. Pour d’autres, le
tribunal d’Annaba a surtout infligé un camouflet au pouvoir et
à sa « bataille des drapeaux ». La décision signe en réalité un
retour au droit : les juristes n’ont cessé
de rappeler qu’il n’existe aucun texte
interdisant de brandir un autre drapeau
que l’emblème national.
Depuis le début du mouvement de
contestation pacifique, le 22 février, les
Algériens ont pris l’habitude de porter,
outre le drapeau national, les emblèmes
berbère, palestinien et parfois souda
nais lors des rassemblements. Sans pro
voquer d’animosité. Le pouvoir a lancé
cette « bataille des drapeaux », le 19 juin,
lors d’un discours du chef d’étatmajor
de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, accusant ceux qui brandissent
l’étendard berbère de vouloir « infiltrer les manifestations ».
« L’Algérie n’a qu’un seul drapeau, pour lequel sont morts des
millions de martyrs. Elle n’a qu’un seul emblème, qui représente
sa souveraineté, son indépendance et son intégrité territoriale et
populaire », avait assuré le nouvel homme fort du pays, accusé
par des opposants de chercher à diviser le mouvement en
jouant sur des clivages identitaires.
La charge du chef de l’armée a créé de vives tensions lors des
manifestations du vendredi, les forces de l’ordre traquant sans
ménagement ceux qui brandissent les emblèmes berbères.
Plus de 35 personnes ont été arrêtées et placées en détention
préventive. Elles sont considérées par l’opposition comme des
« détenus d’opinion ». Deux personnes ont été jugées et
condamnées à des peines de prison avec sursis.
amir akef (alger, correspondance)
LES JURISTES N’ONT
CESSÉ DE RAPPELER
QUE RIEN N’INTERDIT
DE BRANDIR UN
AUTRE DRAPEAU QUE
L’EMBLÈME NATIONAL