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DIMANCHE 11 LUNDI 12 AOÛT 2019 international| 3
sées sur les atteintes de Pékin aux droits hu
mains pour décrédibiliser l’Etat chinois.
Que veulent les Chinois?
J’ai exposé à l’Académie militaire de West
Point le cercle concentrique des priorités chi
noises, exposé que mes amis chinois ont
jugé objectif : un, garder le parti au pouvoir ;
deux, l’unité nationale [Xinjiang, Tibet,
Taïwan, Hongkong] ; trois, la prospérité éco
nomique pour légitimer le parti et renforcer
la capacité à agir.
Quatre, et c’est nouveau depuis ces cinq
dernières années, avoir une croissance éco
logique car le parti est attaqué sur la pollu
tion aujourd’hui et sur le climat demain.
Cinq, avoir des voisins aussi bénins et ac
commodants que possible. Six, faire reculer
les Américains jusqu’à la première chaîne
d’îles, du Japon au nord aux Philippines au
sud, pour permettre une plus grande liberté
d’action en mer et traiter si nécessaire le fu
tur de Taïwan. Sept, sécuriser la frontière ter
restre et avoir une Eurasie dépendante éco
nomique de la Chine. D’où l’initiative des
routes de la soie et la transformation de la
Russie d’adversaire en allié.
Et enfin, poursuivre la politique historique
du G77 [groupe des Nations unies qui réunit la
Chine et plusieurs pays en développement] en
Afrique et en Amérique latine pour amasser
des soutiens, ce qui nous conduit au dernier
point : changer l’ordre international pour
qu’il soit plus tolérant sur la politique inté
rieure chinoise plutôt qu’un ordre interna
tional fondé sur les valeurs occidentales qui
cherchent à mettre en cause l’ordre intérieur
chinois (parti unique), ses valeurs intérieu
res et ses pratiques économiques. La Chine
ne veut pas changer l’ordre mondial, elle
veut simplement qu’il soit moins intrusif.
Mais face aux EtatsUnis de Donald
Trump, que vontils faire?
Les Chinois connaissent leurs forces,
comme la capacité à définir une politique
économique sans dissensus démocratique
ou la poursuite de la croissance par l’urbani
sation, mais ils sont conscients aussi de leurs
faiblesses. La plus forte est le dilemme non
résolu entre le parti et le marché, l’entreprise
privée et l’entreprise d’Etat, le contrôle du
crédit rationné et l’allocation par le marché
des ressources vers les entreprises les plus
performantes. Il ne s’agit pas d’un débat
idéologique obscur, mais d’un problème
réel, quotidien en Chine.
La Chine a ralenti ces dernières années car
l’administration de Xi Jinping a préféré le
parti au marché, les conglomérats d’Etat aux
entreprises privées et a rendu la vie plus
dure aux entreprises privées avec sa campa
gne anticorruption et une restriction du cré
dit au détriment du secteur privé. Or, ce der
nier représente 61 % du produit intérieur
brut, 90 % de la croissance, 80 % de l’innova
tion et environ 55 % des impôts. Le dilemme
de Xi Jinping, c’est qu’il a besoin d’un secteur
privé performant pour réaliser la percée éco
nomique et technologique dont il a besoin
pour le futur.
Les Américains ontils sabordé l’accord
prévu en mai en humiliant les Chinois?
Dans la plupart des négociations avec les
Chinois, il y a une négociation sur le fond et,
bien sûr, il y a de la pure politique. Il y avait
une convergence raisonnable sur les ques
tions de fond, mais là où les négociations ont
rompu, c’est sur la politique. Les Américains
ont insisté sur leur capacité à maintenir des
droits de douane après la signature de l’ac
cord, imposer des droits punitifs s’ils ju
geaient unilatéralement que les Chinois
avaient violé le fond ou l’esprit dudit accord et
avoir leur mot à dire sur la mise en œuvre des
réformes. J’étais à Pékin à ce moment, où j’en
seignais, et j’ai parlé à de nombreux déci
deurs : cela équivalait pour eux à une seconde
génération de « traités inégaux », comme la
Chine avait dû en signer avec les impérialistes
anglais, français et d’autres au XIXe siècle. Ils
ne pouvaient pas l’accepter. Trump a été un
piètre négociateur en ignorant ces facteurs
politiques de dignité de la nation alors que
l’accord de fond était plus important.
L’intransigeance américaine fait, diton,
le jeu des nationalistes chinois.
La Chine est face à ses choix, les plus im
portants depuis 1978. La première possibilité
est que les Chinois envoient bouler les Amé
ricains : nous ne capitulerons pas mais nous
étendrons notre ouverture au reste du
monde et nous allons libéraliser davantage
l’économie intérieure. Nous envoyons le
message au monde que la Chine est ouverte
au commerce mais ne se soumet pas aux
pressions unilatérales des EtatsUnis. Estce
probable? Non. Estce possible? Oui, mais
cela exige beaucoup de courage économi
que. Le vicepremier ministre, Liu He, a in
sisté sur la possibilité de transformer l’adver
sité économique en opportunité. C’est du
langage codé pour retourner à une plus
grande ouverture.
La deuxième possibilité est d’envoyer bou
ler le reste du monde. Nous allons accélérer la
demande domestique, réduire notre dépen
dance au commerce extérieur, qui décroît
déjà, augmenter nos pratiques mercantilis
tes et être encore plus protectionnistes, nous
allons cesser de libéraliser et réprimer la dis
sension politique... Troisième solution, les
Chinois cèdent aux Américains, mais c’est de
moins en moins probable. Tout le monde an
ticipe une récession et Trump met de l’huile
sur le feu. En dépit de tout, je pense néan
moins que Xi Jinping souhaite un accord
avant la fin de l’année et que secrètement,
Donald Trump le souhaite aussi car il ne veut
pas aller à l’élection de 2020 avec une écono
mie affaiblie par les guerres commerciales.
Quels alliés peuvent trouver les Chinois?
Mes amis chinois voient l’Europe comme
les Etatspivots du futur. S’il y a un change
ment fondamental dans la relation américa
nochinoise, la Chine va réfléchir à limiter
l’impact d’une telle bascule en améliorant ses
relations avec trois entités : le Japon, l’Europe
et l’Inde. L’offensive de charme a commencé
et il n’est pas dur pour la Chine de défendre
son cas en raison du comportement de Do
nald Trump. La Chine cherche à neutraliser,
voire faire basculer ces trois zones de son
côté. Si cela arrivait, cela mettrait une pres
sion fondamentale sur les relations américai
nes avec l’OTAN et l’Union européenne. Une
histoire joyeuse pour les Français !
propos recueillis par
arnaud leparmentier
LE PROFIL
Ancien premier ministre tra-
vailliste d’Australie (2007-2010 et
2013), Kevin Rudd est le prési-
dent de l’Asia Policy Institute,
think tank de New York destiné à
favoriser les relations des Etats-
Unis avec l’Asie. A 61 ans, cet an-
cien candidat au poste de secré-
taire général de l’ONU est un
sinologue reconnu, qui connaît
personnellement le président
chinois, Xi Jinping. En ces temps
de tension, M. Rudd pratique
une diplomatie informelle entre
Pékin, les Etats-Unis, la zone pa-
cifique et l’Europe.
Matteo Salvini
demande « les pleins
pouvoirs » aux Italiens
Le ministre a déposé une motion de défiance envers
le chef du gouvernement, Giuseppe Conte
rome correspondance
I
l est arrivé, vendredi 9 août,
en fin d’aprèsmidi, sous les
applaudissements des tou
ristes rassemblés devant sa
résidence de La Maddalena, dans
le nord de la Sardaigne, pour
quelques jours de vacances pré
vues de longue date. Par tempé
rament et en raison de son rôle
institutionnel, qui lui impose de
se tenir audessus des partis, le
président de la République ita
lienne, Sergio Mattarella, est éco
nome de ses mots. Mais il maî
trise à la perfection l’art de ren
dre ses gestes éloquents. Face à la
pression du ministre de l’inté
rieur et chef de la Ligue, Matteo
Salvini, le chef de l’Etat a simple
ment rappelé qu’il conservait la
pleine maîtrise du calendrier.
En appelant, la veille au soir, les
Italiens à revenir aux urnes, puis,
en annonçant, vendredi, le dépôt
d’une motion de censure contre
son propre chef de gouverne
ment, le ministre de l’intérieur et
vicepremier ministre a ouvert
une séquence politique où la
marche forcée semble être l’un
de ses moteurs. « L’Italie est un
pays qui doit courir », atil
d’ailleurs lancé dans une for
mule révélatrice sur la Rai,
interrogé à l’issue d’un nouveau
bain de foule en bord de mer,
dans les Pouilles cette fois.
Depuis plusieurs mois le chef de
la Ligue (extrême droite) est
incontestablement devenu
l’homme fort du pays, mais de
puis mercredi soir, il assume une
nouvelle posture, celle de
l’homme seul face à tous les « sys
tèmes ». Fort du socle de popula
rité dont il bénéficie, et de sonda
ges très favorables (36 % à 38 %
d’intentions de vote, en nette
hausse depuis les élections euro
péennes du mois de mai), Matteo
Salvini n’a aucune raison de tem
poriser, ni de proposer des demi
mesures. Jeudi soir, à Pescara, il
annonçait son intention de se
présenter seul, sans constituer de
coalition, afin de demander aux
Italiens « les pleins pouvoirs ». Une
formule tout sauf innocente, ren
voyant au souvenir du fascisme,
en même temps qu’un message à
ses électeurs : si les Italiens lui
laissent les mains libres, rien, ni
l’opposition, ni Bruxelles, ni les
marchés, ne l’empêchera de met
tre en œuvre son programme.
Eloigner le péril
Si rien n’est encore figé,
une étrange coalition d’oppo
sants au ministre de l’intérieur
semble désormais se dessi
ner face à lui, rassemblant aussi
bien des membres du Parti
démocrate (PD, gauche) que des
Radicaux (RI, sociallibéralisme)
et des élus du Mouvement 5 étoi
les (M5S, antisystème). Pour
des raisons différentes, chacun a
besoin aujourd’hui de repousser
Matteo Salvini.
Au sein du PD, Dario Frances
chini, l’ancien ministre de la
culture de Matteo Renzi, n’a pas
caché son vœu de s’allier, tempo
rairement du moins, avec le M5S
pour éloigner le péril de la Ligue
seule au pouvoir. Du côté des
« 5 étoiles », d’étranges mécanis
mes de survie se mettent en
place, visant à empêcher un re
tour aux urnes qui serait syno
nyme de débâcle. Le député sici
lien Stanislao Di Piazza a ainsi
soufflé l’idée d’un « gouverne
ment du bien commun », qui inté
grerait aussi bien des M5S que des
démocrates ou des proches de
Silvio Berlusconi, soit tous ceux
que le mouvement vouait aux gé
monies il y a quelques jours en
core, et permettrait de voter un
budget d’ici la fin de l’année.
Punching-ball
Dans le même temps, le M5S a
déclenché des attaques particu
lièrement virulentes contre son
allié de la veille. « Salvini a décidé
en une journée de déchirer le
contrat de gouvernement, les Ita
liens ne méritaient pas cette trahi
son », a tonné le ministre de la
justice, Alfonso Bonafede, un des
fidèles lieutenants de Luigi Di
Maio, le dirigeant du M5S.
Le ministre de l’intérieur sait
parfaitement jouer le rôle de
punchingball qui conforte sa
stature auprès de ses partisans.
Dans cette séquence, malgré les
incertitudes du calendrier,
M. Salvini prend un malin plaisir
à nommer ses adversaires pour
mieux s’en démarquer. Parmi ses
cibles favorites, l’ancien prési
dent du conseil Matteo Renzi, qui
incarne selon lui la faillite de la
gauche proeuropéenne. Nicola
Zingaretti, l’actuel secrétaire
général du PD et gouverneur du
Latium, dont le charisme est
moindre, n’a même pas l’hon
neur d’être cité.
En tapant sur l’ancien maire de
Florence, Matteo Salvini s’est
trouvé l’ennemi parfait, esclave
selon lui des diktats venus de
Bruxelles. Une fois seul aux affai
res, il a annoncé aux Italiens sa
volonté de s’en affranchir, une
fois pour toutes : « Si vous nous en
donnez la force, nous voterons un
budget qui mettra au centre le tra
vail des Italiens et la baisse des
impôts, et si cela ne convient pas à
l’Europe nous le ferons quand
même », atil répété vendredi
soir lors de son dernier meeting.
Ces dernières heures, les pro
messes du patron de la Ligue ont
accru la nervosité des marchés
financiers. La Bourse de Milan a
perdu 2,48 %, avec de grosses chu
tes des titres des banques.
Lundi, les chefs de groupes par
lementaires devaient se retrou
ver autour de la présidente du
Sénat, Maria Elisabetta Casellati
(membre de Forza Italia, le parti
de M. Berlusconi), pour s’accor
der sur la date à laquelle sera dis
cutée la motion de censure
contre le gouvernement.
olivier bonnel
Depuis mercredi,
Matteo Salvini
assume
une nouvelle
posture, celle
de l’homme
seul face à tous
les « systèmes »
Si rien n’est
encore figé, une
étrange coalition
d’opposants
au chef de la
Ligue semble
désormais
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